Noir, c’est noir, mais il y a de l’espoir. Avec une collection de murder ballads arrangées en orfèvre, Bastien Lallemant impressionne : classique, instantané.
A l’intérieur du livret du troisième album de Bastien Lallemant, on peut lire l’incipit suivant : “L’enregistrement du Verger a débuté un matin de février 2007 au studio Acousti.” Une simple phrase qui renferme en réalité beaucoup d’indices. On y devine ainsi entre les lignes que l’histoire de ce disque fut un combat de longue haleine, que son auteur est plutôt “du matin” et que le studio, Acousti en l’occurrence, fut pour beaucoup dans l’engrais qui aura nourri ce Verger extraordinaire.
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Avant cette date heureuse de l’hiver 2007, Bastien Lallemant a broyé autant de noir que les personnages qui habitent aujourd’hui ses chansons. Après deux albums – le très solitaire Les Premiers Instants (2003) et le plus expansif Les Erotiques (2005) –, la crise du disque croisant celle de la confiance de son directeur de label, il se retrouve sans contrat après avoir proposé de nouvelles pistes jugées sans horizon.
Etre viré de chez Tôt ou Tard, dans le milieu du disque français, constitue une forme de petite mort, car le label est l’un des rares qui mise encore de vraies billes sur des artistes non alignés. Impossible dès lors de toquer à d’autres portes, quand derrière celles-ci on vous oppose que si Tôt ou Tard ne peut plus rien pour vous, c’est qu’il est l’heure de songer à une reconversion dans le professorat ou la vente de fruits et légumes.
Mais le provincial Lallemant, homme à tête de chou qui vit dans la campagne dijonnaise, ne l’entend pas de cette oreille. Dans le camp retranché du studio Acousti, qui héberge un peu héroïquement son obstination, il réunit un commando imparable comme on tente un ultime combat. Ses potes Albin de la Simone et Bertrand Belin – à peine mieux lotis que lui dans leurs batailles perso – réaliseront l’album à quatre mains. Armelle Pioline de Holden viendra poser sa voix sur deux titres, JP Nataf prodiguera quelques judicieux conseils de parrain, et certains des musiciens les plus fins de l’Hexagone se chargeront d’habiller tout ce beau monde en tenue de gala.
Projet fauché, Le Verger affiche pourtant des richesses extérieures insolentes : bel objet façon livre, illustrations classieuses signées par Lallemant lui-même, roman-photo, captures vidéo… Mais cette opulence n’est rien à côté du disque luimême, de ces douze chansons comme expurgées d’une écume surnaturelle, qui vous saisit dès La Plage et ne vous lâche plus jusqu’à La Tombe. “Au début, c’était un album que je voulais appeler Intérieur. Je le voyais comme une suite de petites fictions qui révèleraient la part d’ombre des personnages. J’avais aussi envie de revenir à certaines musiques que j’avais écoutées adolescent, des choses assez sombres comme Cure, Joy Division, Bauhaus.”
Le projet a lentement mûri et divagué pour atterrir un jour à ce Verger, plus proche au final des chaudes et inquiétantes Murder Ballads de Nick Cave que de la cold-wave envisagée au départ. Bastien Lallemant possède un atout précieux, cette voix qui rappelle le jeune Gainsbourg – troublante sur le génial L’Empoisonneuse –, un timbre légèrement hautain et élastique, idéal pour raconter des horreurs avec une distinction moqueuse. Sur la pochette, il tient sa guitare comme Robert Mitchum son fusil dans La Nuit du chasseur, et l’ambiance du disque est de ce tonneau-là. Du noir lumineux, poétique, probablement éternel. Un classique.
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