Claude Tchamitchian rend hommage à ses racines arméniennes dans une composition savamment primitive. Ça commence en chaos, magma free, opacité de la matière, d’où s’élève soudain une phrase rythmique du piano, cursive et obsédante, suivie aussitôt d’une séquence des cuivres, en boucle, qui s’enfle, se déploie, pour s’ouvrir finalement sur un solo lyrique, tout en […]
Claude Tchamitchian rend hommage à ses racines arméniennes dans une composition savamment primitive.
Ça commence en chaos, magma free, opacité de la matière, d’où s’élève soudain une phrase rythmique du piano, cursive et obsédante, suivie aussitôt d’une séquence des cuivres, en boucle, qui s’enfle, se déploie, pour s’ouvrir finalement sur un solo lyrique, tout en fulgurances intérieures, qui donne sa direction à l’ensemble et l’organise, jusqu’au retour paroxystique à la matière sonore brute. Tout ça pour dire comment cette longue suite, ambitieuse et originale, composée pour
une large formation à l’orchestration aventureuse, va être à l’image de cette ouverture, magistrale, et progresser sans cesse sur le modèle de ce mouvement initial, de l’ombre à la lumière pour retourner à l’ombre, jouant sur le conflit originel entre l’ordre et la confusion s’alimentant de cette tension entre une volonté manifeste de laisser les formes émerger d’elles-mêmes du magma improvisationnel, de faire confiance à la puissance créative du chant pur, et le désir d’organiser
le lyrisme, de lui offrir des cadres, des structures, des vecteurs qui orienteraient sa dérive… Bref, dans cette partition, amoureusement dédiée à l’art du peintre et plasticien d’origine arménienne Henri Bassmadjian, Claude Tchamitchian va à l’essentiel, cerne au plus près ses désirs, définit clairement son matériau et invente des outils à la mesure de son ambition.
On connaissait ses talents de contrebassiste, la robustesse savante de son jeu, cette force brute, paysanne, dans la façon de charrier le tempo, épais, massif on retrouve les mêmes qualités mises en oeuvre dans son travail de composition : une façon physique, émotionnelle, de prendre la matière sonore à bras le corps, de la malaxer pour en extraire des formes simples, élémentaires, dont les musiciens de l’orchestre vont pouvoir s’emparer pour les engager dans de délicats processus de métamorphose. Il y a là un authentique primitivisme savant, une naïveté formelle revendiquée, qui joue sur les timbres et les couleurs, la tension entre les masses sonores dans des conflits d’à-plats, et privilégie la mélodie comme matériau et structure, la musique se développant essentiellement sur le modèle oriental de l’entrelacement des voix. Certes, cette oeuvre a les défauts de ses qualités : une certaine pesanteur, une certaine aridité : parfois la lumière a du mal à s’extraire de la tourbe. Mais dans ce jeu subtil entre la simplicité du matériau et la sophistication des discours, Claude Tchamitchian fait plus qu’intégrer habilement des éléments du folklore arménien au langage du jazz, il propose un véritable espace commun où se rencontrer et partager.
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