Avant de se séparer, Noir Désir avait repris un titre
de Bashung, Aucun express, pour un riche album-hommage.
Une dizaine d’années plus tôt, ils s’étaient réunis autour
d’un micro pour un dialogue passionnant et inédit
dont voici un large extrait.
Bertrand Cantat – Mais on reste sur le fil du rasoir quand on chante en français. Pourtant, on doit toujours garder à l’esprit que c’est aussi le fil conducteur, celui qu’il faut suivre en connaissant les risques du cliché. C’est Alain qui a commencé à changer les choses. Le paradoxe, c’est que pour ouvrir des champs de liberté dans la perception des textes, il faut procéder à une sélection draconienne des mots qu’on utilise. Là on peut parler d’écriture.
Alain Bashung – C’est un travail sans fin… Il m’est arrivé de passer quinze jours sur une phrase… de six ou sept mots… Quinze jours !… C’est pas raisonnable (rires)…
Bertrand Cantat – Quand tu es sur scène, le public attend que tu lui donnes un bout de toi-même, un bout de ta vie. Si tu ne donnes pas ça, tu commences à te couper de lui. Alors les tournées et chaque sortie publique deviennent des épreuves épuisantes. Tu es dans une situation où la souffrance se mélange au plaisir de donner. On s’est retrouvés presque à chaque coup dans des tourbillons incroyables, des moments de tension… Puis à un moment, on ne maîtrise plus grand-chose.
Alain Bashung – C’est intéressant aussi de perdre le contrôle. La scène est un endroit où tu peux te permettre d’être radical. Tu peux faire du terrorisme, léger, sur scène. Et si les gens n’aiment pas à l’unanimité, tu peux toujours arrêter. Mais ça défoule, c’est comme faire la guerre à blanc. Après, tu peux recommencer sereinement à avoir de la délicatesse, du doigté…
Denis Barthe – La scène, c’est le meilleur moment de la vie d’un groupe. Entre le public et nous, c’est une relation très charnelle, directe, qui pousse vers l’exigence et peut donner lieu à des événements étranges. Par exemple, l’attente des spectateurs est tellement forte qu’on peut décider de ne pas jouer des titres par peur de l’erreur.
Alain Bashung – Gaby, je ne sais plus comment la chanter. J’en ai fait le tour tellement de fois, testé tant d’inflexions que j’ai décidé de la mettre sur la touche, quitte à décevoir un certain public. Aujourd’hui, il faudrait que quelqu’un la redécouvre et l’emmène ailleurs. Tu peux avoir été récompensé par tout un tas de prix, de Victoires, etc., il n’y a que sur scène que tu découvres la chose la plus importante de la vie : l’émotion. C’est la seule chose qui n’a pas encore été encerclée, expliquée, rationnalisée. Les soirs où je l’ai ressentie, j’aurais pu jouer de la harpe sur scène.
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