Avant de se séparer, Noir Désir avait repris un titre
de Bashung, Aucun express, pour un riche album-hommage.
Une dizaine d’années plus tôt, ils s’étaient réunis autour
d’un micro pour un dialogue passionnant et inédit
dont voici un large extrait.
C’était le 9 mai 2000. Au début du siècle. Bashung sortait Climax, compilation riche d’une série de duos avec Rachid Taha, Rodolphe Burger, M, Marc Ribot ou Noir Désir. Il lançait aussi son site personnel et, pour créer l’événement, avait invité Noir Désir au grand complet à un entretien croisé, en direct et en streaming. La retransmission, à l’image d’un web balbutiant, n’avait été vue que par une poignée de personnes. En voici une retranscription, ainsi qu’un entretien avec Denis Barthe autour de l’album hommage Tels Alain Bashung.
Entretien par Thierry Danet, adapté par Marc Besse
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Bertrand Cantat – Se retrouver comme ça autour d’un titre, c’est un moment important. On s’était déjà croisés avec Alain, lors d’un concert mémorable à Blois et pour une tournée ensemble au Québec.
Denis Barthe – Nous étions convenus que l’un ferait la première partie de l’autre un soir sur deux. Nous n’en demandions pas tant : ouvrir tous les soirs nous aurait largement suffi… Quand Bashung fait ta première partie, tu caresses juste un vieux rêve…
Bertrand Cantat – Alain a donné des choses incroyables à tous les groupes de rock qui essayaient de sortir des sentiers battus au début des années 80. Pour nous, un disque comme Play blessures ou une chanson comme Imbécile ont montré une sorte de chemin à suivre. Le niveau est tellement haut… Tu mesures la somme de travail qui te reste à accomplir pour y arriver. Ça t’indique aussi le degré d’exigence à avoir avec toi-même.
Alain Bashung – Ça y est, ils commencent, ils sont fous… Quand ce projet de faire une chanson ensemble s’est présenté, je n’ai rien imposé. Finalement, ce n’est pas un hasard que vous ayez opté pour Volontaire. C’est un souffle romantique dans la lignée de ce qui vous anime. Quand on chante ensemble, il faut que les sensibilités de chacun soient respectées, sinon on se trouve dans une association forcée où il faut à tout prix faire coller des pièces d’un puzzle qui ne sont pas compatibles. Nous avons tous grandi avec nos différences et se retrouver autour d’une chanson, c’est avant tout se compléter, bâtir. Au départ, notre seule ambition consistait à faire quelque chose de propre, de très énergique. Puis la magie s’est invitée.
Denis Barthe – On pensait d’abord reprendre Aucun express. Mais après l’avoir écoutée, aucun d’entre nous ne voyait ce qu’on pouvait faire de plus.
Alain Bashung – C’est parfois très pénible de réécouter ses propres chansons. Elles sont toutes liées à certains souvenirs, parfois fabuleux mais aussi souvent pénibles… C’est la difficulté : trouver la bonne zone de frottement pour proposer une vraie idée de relecture qui corresponde de préférence à un moment heureux… Ce qui m’intéressait là, c’était aussi la notion de groupe. Noir Désir est plus qu’une somme de quatre musiciens, c’est une cohérence. J’ai dû me glisser dans leur son, trouver ma place à côté d’eux pour qu’un dialogue s’installe. J’ai ma méthode pour y arriver parce que j’ai survolé beaucoup de styles dans ma vie et que j’ai toujours eu besoin de les pervertir. Je sais à quel point détourner les genres peut permettre d’arriver à ce que l’on est soi-même. Sans perdre sa spontanéité, il faut même parfois aller jusqu’à la déformation pour se découvrir pleinement. Ici, la situation est un peu plus compliquée parce qu’il faut que je participe à la déformation de mes propres chansons.
Denis Barthe – Nous sommes habitués au chant de Bertrand et la première fois qu’Alain a pris le chant, ça nous a déroutés… Nous devions remettre en cause ce que nous savions déjà faire.
Bertrand Cantat – Un groupe est bourré de réflexes, d’habitudes qui le soudent mais qui finissent à la longue par le desservir. Nous avons tellement de codes entre nous ! Nous ne savons même plus comment ils se sont installés et nous sommes incapables de les déchiffrer pour les démonter. La confrontation avec un autre répertoire puis la confrontation physique avec l’artiste, surtout lorsqu’il y a deux personnes au chant, permet de déconstruire ces mécanismes et d’entrouvrir certaines portes.
Alain Bashung – Quand j’ai fini un album, j’ai souvent l’impression que je ne sais plus rien faire. Je me sens vide, comme si j’avais tout dit. Il faut presque que je me mette dans un état de manque pour réenclencher les choses. Comme je suis toujours insatisfait, ça m’oblige à revenir en permanence à ce que je viens de faire. Du coup, je peux prendre beaucoup de temps pour trouver sur quoi travailler à nouveau. Si je veux vraiment m’en sortir, je dois trouver un moyen de partager mon excitation avec d’autres. Alors, je peux espérer faire prendre forme à un nouveau disque.
Denis Barthe – Barbara disait qu’elle n’avait jamais écrit que cinq chansons dans sa vie et qu’elle avait eu la chance de les décliner avec plus ou moins de succès. Ce genre de propos peut te faire peur quand tu es un jeune groupe et que tu commences à composer. Ce n’est pas une perspective très engageante.
Alain Bashung – Pour les premiers disques, notre adolescence nous pousse à écrire très vite, à traiter certains sujets avec fougue. Puis on passe à d’autres états. Chacun a sa méthode pour négocier le passage de l’urgence à celui d’une écriture moins nécessaire. Certains écrivent des tonnes de chansons qu’ils travaillent tous les jours, de telle heure à telle heure, et en tirent des pépites qui les étonnent eux-mêmes. Moi, je ne peux pas fonctionner sur une répétition obsessionnelle, la musique ne peut pas naître de la routine… Je m’exprime par cycles. Je suis incapable de me mettre dans un état de désir artificiel.
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