A peine quelques mesures d’introduction du pianiste en phrases vives, trempées dans le blues, l’exposition du thème à l’unisson, trompette enrouée, saxophone fantôme, l’inspiration de la rythmique qui gonfle ses poumons et installe sa pneuma, à peine quelques mesures, donc, et nous voilà embarqués dans la moiteur fébrile d’une cave bondée. En contre-jour, les volutes […]
A peine quelques mesures d’introduction du pianiste en phrases vives, trempées dans le blues, l’exposition du thème à l’unisson, trompette enrouée, saxophone fantôme, l’inspiration de la rythmique qui gonfle ses poumons et installe sa pneuma, à peine quelques mesures, donc, et nous voilà embarqués dans la moiteur fébrile d’une cave bondée. En contre-jour, les volutes de fumée se déploient en spirales ascensionnelles, les verres s’entrechoquent, les rires fusent, murmures alcoolisés soufflés au creux de l’oreille, la proximité, la présence d’un public attentif. Sur scène, une petite formation : quintette classique, costard chic, élégance, distinction, entre nonchalance et concentration. Printemps 1959, Club Saint-Germain une certaine mythologie du jazz in situ. Le saxophoniste (ténor, jeune, frêle, lunettes d’écaille, raie sur le côté) Barney Wilen, à peine 22 ans, fait figure de musicien prodige depuis sa participation quelques mois plus tôt à la mythique séance d’Ascenseur pour l’échafaud aux côtés de Miles Davis. Il est d’ailleurs depuis lors partenaire occasionnel des plus grands l’espace de quelques nuits Bud Powell, J.J. Johnson, Thelonious Monk, Dizzy Gillespie. Depuis lors également dans l’objectif de quelque cinéaste en panne d’inspiration. Le jazz est dans l’air du temps, Molinaro lui confie la musique de son film Un Témoin dans la ville. Il s’entoure pour ce faire de quelques Américains à Paris : Duke Jordan au piano, elliptique, percutant, et surtout Kenny Dorham, l’un des plus grands stylistes bop de la trompette, et l’immense Kenny Clarke, l’inventeur de la batterie moderne. Une musique à jamais emblématique d’un lieu et d’une époque, le swinging Paris sous influence américaine de la fin des fifties. Ce disque, le premier de Barney sous son nom, est le complément indispensable de cette BO. Daniel Humair, depuis peu dans la capitale, tient la batterie, et le quintette s’abandonne sans retenue au hard-bop dominant. Barney développe en phrases sinueuses et veloutées un discours qui tient autant de l’esthétique « cool » héritée de Lester Young que de certaines inquiétudes perceptibles à la même époque dans le phrasé d’un Rollins. Il joue avec son image, avant de la casser. Un petit instant d’éternité.
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Barney Wilen, Barney (RCA/BMG)
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