AZF. Un pseudo qui claque comme une déflagration et qui se répand comme une traînée de poudre parmi les amateurs de techno pure et dure. Derrière se cache Audrey, une jeune femme de 32 ans, activiste au long cours de la nuit parisienne, désormais réputée à travers toute la France pour ses DJ-sets sous haute tension. Et le reste du monde ne perd rien pour attendre. Nous avons pu la rencontrer à Lyon, quelques heures avant sa performance fracassante dans le cadre des Nuits Sonores 2018.
Quand et comment es-tu tombée dans la marmite techno ?
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D’abord en allant en free-party. Je viens de Seine-et-Marne et c’est le principal département en Île-de-France pour les free-parties, vu qu’il se trouve entre la ville et la campagne. Je suis vraiment tombée dans la techno en allant au Pulp. Avant ça, j’écoutais de la musique électronique chez moi, par exemple Aphex Twin, mais je n’étais pas du tout dans l’expérience du club. J’entretenais plutôt un rapport mystique avec toutes les musiques répétitives conduisant vers un état de transe. Le club, j’y suis venue à l’approche de la vingtaine, vers le milieu des années 2000, au Pulp et ensuite Chez Moune. Avant, j’étais gouine en banlieue, ce n’était pas facile. Je suis arrivée à Paris et j’ai découvert le Pulp, qui était LA boîte lesbienne à l’époque, mais en fait je m’y sentais mieux le jeudi, où le public et la musique étaient beaucoup plus mélangés. Durant les soirées du jeudi, j’ai découvert Jennifer Cardini, Ivan Smagghe et tout le clan Kill The DJ, des gens qui ont beaucoup compté dans mon apprentissage de la musique de club. Je trouvais ça fou de voir des meufs aux platines. J’ai vécu pour la première fois l’expérience du club de façon positive car il y avait une mixité assez magique dans le public.
Cette mixité est toujours aussi importante pour toi aujourd’hui ?
Oui, c’est vraiment quelque chose qui m’émerveille. Sociologiquement, je trouve fascinant que des gens se réunissent le week-end pour danser, à la fois seuls et ensemble, face à un(e) DJ. De manière plus générale, j’ai toujours été fascinée par le monde de la nuit. Ça explique pourquoi je suis arrivée dans la musique de club plutôt que dans la banque (sourire).
Qu’est-ce qui t’a amenée à mixer ?
Je suis d’abord devenue physio des soirées Corps vs Machines Chez Moune et puis Léonie Pernet, qui avait créé ces soirées, m’a proposé d’être l’une des résidentes. La musique jouait vraiment un rôle fondamental dans notre amitié. Un beau jour, elle m’a mis derrière des platines, j’ai commencé à jouer et tout est parti de là. Je n’avais aucune expérience en la matière, je n’avais jamais touché à des platines mais j’avais l’oreille et j’avais aussi la connaissance physique de cette musique, suite aux soirées passées en club. L’apprentissage technique n’a pas été facile pour autant, c’est un vrai travail qui demande du temps. J’ai appris sur le tas, petit à petit. Ensuite, je me suis lancée dans la promotion de soirées, pour inviter des gens et pour jouer moi-même. Ça a commencé à marcher et maintenant ça marche de mieux en mieux.
Tu as choisi AZF comme nom de scène. Cela veut-il dire que la techno est forcément explosive à tes yeux ?
Oui, en tout cas, la techno qui me plaît. J’aime la musique qui provoque quelque chose de fort, pas uniquement la techno. Je le ressens aussi avec le rap ou la chanson française, par exemple. Je n’aime pas la musique utilitaire, d’ameublement : elle ne me touche pas du tout. A l’époque où j’ai démarré, j’étais en colère contre la Terre entière et je me retrouvais complètement dans cette techno indus très violente. J’ai appris à la mixer en rupture pour en accentuer encore la violence. J’ai développé une technique de mix particulière, fondée sur la superposition de kicks de plus en plus violents. Aujourd’hui, vu que j’ai vieilli et que je suis plus en paix dans ma vie, ma musique a un peu évolué. Elle reste sombre et percussive mais elle est moins directement agressive.
Comment évolues-tu en tant que DJ ?
J’essaie de parfaire ma technique pour ne pas tourner en rond et je me bats avec moi-même pour canaliser au mieux mon énergie. Je réfléchis beaucoup à la pratique du DJaying, je prends du recul, je me pose des questions. J’en ai vraiment besoin pour entretenir ma motivation. Par ailleurs, j’essaie autant que possible de continuer à chercher moi-même de nouveaux morceaux pour mes mixes, de ne pas me contenter des promos que je reçois. Tous les DJ’s reçoivent les mêmes promos et si on se contente de faire avec ça, on se retrouve à tous jouer à peu près la même chose… Dans mes mixes, je m’attache toujours à mélanger des nouveautés et des morceaux plus anciens car je trouve intéressant de voyager entre différentes qualités de production et couleurs de son. Il y a des gens que j’admire, comme Manu le Malin ou Jeff Mills par exemple, mais je n’ai pas de DJ’s modèles pour autant : je trace ma voie sans chercher à me conformer à un référent particulier.
Tu mixes uniquement, tu ne composes pas. Envisages-tu de le faire à terme ?
Oui, je pense que je vais y venir. Dans un premier temps, j’avais à cœur de montrer qu’il est possible de tourner en étant seulement DJ – contrairement à ce que j’ai souvent entendu dire… Je n’ai pas encore la disponibilité d’esprit suffisante ni la maîtrise technique pour composer. Je m’y mettrai le moment venu, je ne veux rien précipiter et je ne veux surtout pas sortir un énième EP de techno. J’ai envie de trouver un son qui m’appartienne en propre. Si je n’ai pas le sentiment d’apporter au moins un petit truc personnel, je trouve que ça n’a pas d’intérêt.
A côté de ton activité de DJ, tu es aussi très engagée dans la diffusion de la techno avec une ardeur presque militante.
J’attache beaucoup d’importance à la notion de transmission. J’ai été très soutenue, je ressens le besoin d’aider à mon tour, de contribuer à faire avancer la scène. L’underground n’est pas une fin en soi. Je ne le cache pas : j’ai envie de gagner ma vie, d’être davantage dans la lumière et de mettre en lumière d’autres personnes. J’ai aussi envie d’élargir mon horizon, de créer de nouveaux liens, de découvrir ce qui se passe ailleurs. Je tourne beaucoup en France et maintenant je voudrais me rendre dans d’autres pays. Je ne veux surtout pas m’enfermer, me scléroser. C’est la raison pour laquelle j’essaie toujours de monter des projets d’échange. J’aimerais bien aussi lancer mon propre label. Ce n’est pas encore fait mais j’y pense sérieusement.
Actuellement, tu es particulièrement impliquée dans le collectif Qui embrouille qui.
J’ai créé le collectif avec Charles Crost, le responsable du label Le Turc Mécanique. Avant, nous faisions ensemble les soirées Jeudi-Minuit à la Java. A l’approche de l’été 2017, nous avons eu envie d’organiser une grosse soirée en faisant jouer tous les gens qui comptent pour nous dans le milieu musical à Paris. Comme il y avait trop de monde (au total, une trentaine d’artistes), ça s’est transformé en mini-festival, qui a eu lieu à la Station en août 2017 et qui remporté un grand succès. Ça nous donné envie de prolonger l’expérience et notamment d’exporter le concept ailleurs en France. Il y a une uniformité assez désolante des programmations, notamment dans les festivals, avec une sous-représentation de la scène locale. Le deal que nous proposons aux promoteurs est le suivant : je pars en tournée avec une quinzaine d’artistes que vous ne connaissez pas, faites-nous confiance, ça va être de la balle. Nous fonctionnons sur un principe égalitaire et solidaire : il n’y a pas de têtes d’affiche et personne n’est payé plus que les autres. A terme, j’aimerais que le projet existe sans moi. L’an prochain, je vais me mettre un peu en retrait. Pour le moment, les réactions sont très positives, nous avons déjà pu monter une tournée d’une quinzaine de dates, avec en point d’orgue un nouveau festival à la Station, du 9 au 11 août.
Prochaines dates de la tournée « Qui embrouille qui » : 18 mai à Nancy (LNVRS), 19 mai à Strasbourg (Molodoï), 9 juin à Marseille (Cabaret Aléatoire), 22 juin à Bordeaux (BT59), 29 juin à Lyon (Club Transbo), 7 juillet à Poitiers (Confort Moderne), 21 juillet à Toulouse (Toulouse), 9-11 août à Paris (La Station), 7 septembre à Montpellier (Rockstore).
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