Moins heavy et plus mental, le Iggy nouveau étonne par sa sagesse. Mais même rhabillé, l’iguane n’a jamais paru si impudique. Tardif triomphe de la foi et de l’entêtement après des lustres de coupable indulgence alliée à une mauvaise foi flagrante, il est soudain possible de saluer à bruit tonitruant et visage découvert un […]
Moins heavy et plus mental, le Iggy nouveau étonne par sa sagesse. Mais même rhabillé, l’iguane n’a jamais paru si impudique.
Tardif triomphe de la foi et de l’entêtement après des lustres de coupable indulgence alliée à une mauvaise foi flagrante, il est soudain possible de saluer à bruit tonitruant et visage découvert un nouvel album d’Iggy Pop. Sans arrière-pensées, réticences ou compliments retors de Janus faux derche. « C’était pendant l’hiver de ma cinquantième année que je me suis pris la vérité en pleine poire : j’étais vraiment seul et je n’avais plus tellement de temps devant moi… » Avec un demi-siècle de singeries sulfureuses au compteur, le vénérable iguane, la camarde et un divorce aux fesses, se résout à se dénuder le coeur plutôt que le cul, à davantage sculpter sa diction que ses abdominaux dentales délurées, chuintantes chavirantes et labiales lascives font ici miroiter toutes les facettes aphrodisiaques de l’Américain idiomatique. Libéré de l’angoisse des fins de mois difficiles par le succès aussi tardif que réjouissant d’une poignée de vieilles chansons dont pub et cinéma sont tombés follement amoureux, Iggy cocufie son image publique. Tombé sous le charme des Circés latino-américaines, le caïd de Détroit se prend fugitivement pour Carlos Santana (Ya yo habla español), fiche de sévères chocottes au spectre de Johny Kidd (Shakin’all over, jerk lycanthrope) et condamne à la portion congrue le rock rance et routinier ressassé sans conviction particulière sur son dernier album, l’affligeant Naughty little doggie. Sursaut d’orgueil, regain de sève. Enfin dispensé d’autoparodie à vocation strictement alimentaire, Iggy outrepasse avec délice les oukases de la mercatique pour peindre une galerie de portraits féminins aussi ravissants que rosses. Plus Cukor que cocksure, Iggy furète au gynécée, y lorgne lolitas en mal d’inceste (She called me daddy), psychopathes en talons stylets (Nazi girlfriend) et intrépides artistes du plumard (« Au lit on dirait une putain de Picasso » sur Motorcycles).
Les confidences clandestines que laissaient affleurer d’alléchants disques pirates accèdent au grand jour, la verve mimétique d’un satiriste confirmé invite l’humour pare-larmes au pays des amours mortes. Armé d’une guitare sèche antédiluvienne, Iggy fait un narrateur formidablement impudique devant la cruauté de textes à l’évidence autobiographiques, on songe à Jean Eustache enregistrant ses pires scènes de ménage avant d’en tirer La Maman et la Putain, chef-d’oeuvre meurtrier. Pour mieux faire chatoyer ses perles empoisonnées, Iggy s’offre la plus audacieuse collaboration depuis ses années Bowie. Choyée par la scansion prodigieusement inventive de Martin, Medeski & Wood, sa voix aux sombres sortilèges ranime la poésie beat endormie, fait déambuler à travers les rues de l’East Village l’immense fantôme de Jack Kerouac. Résultat mirobolant : Avenue B et Felt the luxury entraînent velours et venin au coeur d’éblouissantes ténèbres. De celles que le rock ne trouve le courage d’explorer que tous les vingt-cinq ans la dernière fois, c’était sur un monument de perversité intitulé Berlin.
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