Teigneux et sans limites. Avec « Virtue », Julian Casablancas et Voidz énoncent les vertus de l’impureté
En 2002, dans un grand entretien accordé par les Strokes aux Inrockuptibles, Julian Casablancas s’en prenait aux peine-à-jouir et posait les bases de ce qui semblait être le mantra de ses ambitions artistiques : “J’ai toujours aimé les musiques frontalières. J’aime que les chansons soient à la fois accessibles et physiques. Je méprise les puristes, je suis convaincu qu’ils n’aiment pas la musique. Ils veulent juste faire partie d’une tribu, comme les collectionneurs de timbres.”
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Seize ans plus tard presque jour pour jour, alors que sort Virtue – le deuxième album du gang adoptif du kid de Manhattan, les Voidz –, cette saillie prend carrément des allures de prophétie accomplie : les réfractaires au changement, qui veulent réentendre Is This It à chaque nouvelle sortie d’un des membres des Strokes, ont adopté les réflexes conservateurs des pseudo‑puristes de l’underground new-yorkais de l’époque, alors que Casablancas a depuis longtemps rendu obsolète toute idée de frontière musicale. Si bien qu’il se faufile dorénavant dans les interstices, selon lui inexplorés, de la musique pop occidentale contemporaine.
« Les notes entre les notes »
A l’instar du Flying Microtonal Banana des Australiens de King Gizzard & The Lizard Wizard l’année dernière, Virtue va puiser sa force vitale dans la quête d’harmonies qui, paradoxalement, peuvent sonner comme discordantes. Surtout quand le leitmotiv avoué est de rester dans l’orbite du mainstream, afin d’opposer une alternative décente aux productions de masse : “De ce point de vue, je suis maintenant attiré par les quarts de ton, confie-t-il au site Vulture. Ce qui m’intéresse, ce sont les notes entre les notes.”
Julian peut bien se prendre pour John Maus et tomber dans des considérations arithmétiques qui ne parleront pas au commun des mortels, il n’arrivera pas à dissimuler les obsessions mélodiques qui le hantent. Même mis en pièces, déstructurés, remodelés, passés au filtre de l’Auto-Tune (incroyable QYURRYUS), les motifs que Casablancas a passé près de vingt ans à édifier s’entrechoquent ici comme autant de relectures pop d’une œuvre qui se décline dans une infinité de nuances. My Friend the Walls par exemple, se situe dans la filiation des expérimentations initiées avec Rivers of Brakelights sur Phrazes for the Young, son premier album solo, et poursuivies plus tard sur Angles avec You’re so Right, avant de s’achever dans un brouhaha jouissif de breaks de batterie superposés à des riffs qui tournent en boucle, évoluant vers un solo façon Van Halen qui aurait duré quelques mesures de plus il fut un temps. Signe que Julian cherche sa catharsis ailleurs.
La colère, elle, est toujours aussi prégnante et même, du point de vue de l’écriture, plus détaillée et précise qu’avant. Lui revendique le caractère contestataire de son propos, dénonce la manipulation des masses et s’insurge contre les intérêts financiers qui ont mené à une forme de pop hégémonique, médiocre et désincarnée. Virtue n’aura pas le succès de Is This It, mais quoi de mieux pour dénoncer le capitalisme qu’un suicide commercial ?
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