La formation indie livre un monument de souplesse élastique où le surréalisme se fond avec l’ivresse des profondeurs. À écouter en apnée.
L’océanique, tel que l’écrivain Camille de Toledo le décrit comme horizon dans le récent essai Une histoire du vertige, c’est “l’emmêlement des formes de vie, l’ouverture au plus grand nombre d’attaches”. Une définition qui sied à la pop de Ruban Nielson, Néo-Zélandais de naissance et Hawaïen d’adoption, ici largement épaulé par son frère Kody. Choisir pour titre à ce nouvel (et double) album un simple V (c’est effectivement leur cinquième, si on omet l’expérimentale parenthèse vietnamienne IC-01 Hanoi en 2018), c’est faire le lien avec II (2013) et sa variété archipélique de styles.
Récemment, Ruban Nielson rappelait sur les réseaux combien ce deuxième LP était, de A à Z, issu d’un branlant bricolage lo-fi. V en conserve l’ampleur mais en relance l’ambition. Sa facture double le voue à l’inévitable référence au “double blanc” canonique, mais là où les premiers Unknown Mortal Orchestra évoquaient plutôt un Lennon versant psychédélique comateux, c’est ici la limpidité mélodique d’un McCartney qui affleure, idéalement sur Nadja, le plus beau morceau du disque.
Cette chanson, où il est difficile de “distinguer les vivants et les morts”, esquisse aussi un paysage trouble, peut-être celui de la Nadja d’André Breton. Dans ce mariage de surréalisme et de douceurs indie, le piquant des contrastes n’a d’égal que la souplesse des transitions.
Les frères Nielson excellent aussi dans le dénuement
Dès l’ouverture en trois tubes pop parfaits (The Garden, Guilty Pleasures, Meshuggah) qui achoppent sur un premier instrumental (The Widow, emballante odyssée lounge), l’efficacité le dispute à une rare élasticité, et à de désarmantes parties de guitare. UMO semble s’avancer ici dans un calme souverain, mais parasite sans cesse son indolence et y injecte cette saturation acide qui pervertit son côté soft.
Car si That Life ou The Beach s’abreuvent aux eaux trop limpides du yacht rock, elles instillent l’impérieuse envie de réexplorer sans fin cette collection en surface inoffensive. Une surface suffisamment limpide pour qu’on s’y réfléchisse sans peine, mais troublée depuis les profondeurs – ainsi cette impression mouvante d’écouter Hotel California sous l’eau, depuis le fond effervescent d’une source chaude. Les frères Nielson excellent aussi dans le dénuement (I Killed Captain Cook) et se retirent sur la pointe des pieds avec Drag. Nous laissant le soin d’arpenter leur archipel pop, destination la plus cool de la saison.
V (Jagjaguwar/Modulor). Sorti depuis le 17 mars.