Alors qu’elle vient de lâcher son nouvel EP, « Her Story », retour sur l’ascension fulgurante de la géniale rappeuse new-yorkaise Young M.A, qui assume son homosexualité et doit une bonne partie de sa popularité à une onomatopée.
C’est un « OOOUUU » qui n’a pas encore tout à fait traversé l’Atlantique. Pourtant, aux Etats-Unis, l’onomatopée est devenue gimmick. Le tout en l’espace d’un morceau lâché en mai 2016, le bien nommé OOOUUU, qui comptabilise désormais plus de 200 000 millions de vues sur Youtube. Insolent, orgasmique, inattendu, à la frontière entre l’humour et l’égotrip, le cri n’appelle qu’une chose : être imité. Là tient une bonne partie du génie de Young M.A, 25 ans tout juste.
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Bourré de punchlines, porté par une prod’ nineties descendant directement dans les reins, servi par une voix asexuée, OOOUUU ne tarde pas à taper dans l’oreille de Funkmaster Flex, célèbre Dj, MC et animateur radio sur la station new-yorkaise Hot 97. Il passe le titre. Succès assuré. En septembre 2016, Beyoncé remercie ses followers pour leurs messages d’anniversaire en postant sur Instagram une vidéo-gif la montrant en train de danser. « I love yOOOUUU !!! » écrit-elle. Trois O, trois U. Normal, la b.o. n’est autre que le OOOUUU de Young M.A.
S’ensuit la boule de neige de la hype : la rappeuse est approchée pour jouer dans la série à succès Empire, décline, mais accepte d’apparaître dans une pub pour les casques Beats de Dr Dre aux côtés de poids lourds de l’entertainment : Nicki Minaj, Pharrell Williams, Amber Rose, Rebel Wilson… Bien entendu, les deux secondes qui lui sont consacrées laissent échapper un discret mais bien audible « OOOUUU« .
Gros joints et meufs en strings
Ce qu’il y a de bien chez Young M.A c’est que son génie ne s’arrête pas là. Loin du gag ou du buzz éphémère, la rappeuse originaire de Brooklyn vient de sortir un excellent nouvel EP, Her Story. Sept tracks entrelacées, dont les deux essentielles mais déjà connues OOOUUU et Hot Sauce.
Lâché en mars, le clip de Hot Sauce aligne les pires clichés du hip-hop US: la bande de mecs habillés, le club de strip-tease, les meufs twerkant en string, les liasses de billets verts, les gros pétards, les chaînes en or. Et là-dedans Young M.A, rappeuse anti-make up et pro-grillz qui raconte son engueulade avec sa meuf et son besoin de se vider la tête en tirant sur un gros splif :
« My girl getting on my nerves, I ain’t going home/Ain’t got time for this shit/I ain’t got time for this bitch » (« Ma copine me tape sur les nerfs, j’rentre pas à la maison/J’ai pas le temps pour cette merde/J’ai pas le temps pour cette conne.« )
Young M.A est lesbienne, l’assume, mais ne s’inscrit pas dans la scène rap queer d’un Mikki Blanco, Cakes Da Killa ou Le1f. Sur l’excellente EAT sortie en décembre dernier, peut-être sa meilleure track, elle répond tout de même à la tonne de critiques homophobes reçues sur les réseaux sociaux depuis ses débuts :
« Putain, Je dois vraiment faire peur à ces mecs/Parce qu’ils me traitent de gouine, de tarlouze, de salope d’homosexuelle/Je ne suis pas cette merde, cette merde haineuse, cette haine, mon dieu/Ils ressemblent juste moins à des mecs/Et m’asseoir sur vous tous fait partie du putain de plan (…) »
A The Fader, qui l’a mise en couv’ de son édition de février, Young M.A explique avoir toujours été « un garçon manqué« . « J’ai toujours voulu être avec les garçons, faire du sport, du basket, du foot, du kickball, peu importe. J’étais très agressive. Je voulais traîner avec les mecs ! Mais ce n’était pas qu’une question de garçon manqué, c’était une véritable attraction pour les filles, et je ne le comprenais pas. » Sur Quiet Storm sortie en 2015, elle raconte : « Maman se demandait pourquoi je n’aimais pas porter de jupe/Ou de sac à main/J’ai essayé d’être féminine une fois/Mais heureusement ça n’a pas marché. »
En 2009, son frère décède dans un règlement de compte entre gangs. Young M.A tombe en dépression. Puis vient le déclic : la musique, qu’il l’encourageait à ne jamais abandonner, et le coming out. Sa mère l’accepte très bien. Son crew essentiellement masculin, baptisé RedLyfe, aussi.
« Je te vois juste comme une rappeuse géniale »
Si Young M.A n’hésite pas à détailler ses relations homosexuelles dans ses morceaux– « I swallow pussy like I can’t chew » étant un bel exemple qu’on vous laissera le soin de traduire – elle ne cherche pas à en faire l’élément déterminant de son identité. La rappeuse souhaite être considérée au même titre que ses homologues masculins : pour sa musique, non pour ce qui reste encore en 2017 une particularité dans le milieu du rap :
« Plein de gens me disent « Yo, tu déchires, je ne te regarde même pas comme une rappeuse gay. Je te vois juste comme une artiste géniale au sens général » » raconte-t-elle au ELLE américain en novembre 2016. Plus tard, elle renchérit chez The Fader : « J’entends des gens différents, pas juste des gens comme moi ou des lesbiennes. Ça peut être des hétéros, des adultes, hommes, femmes, des gens qui ont été malades ou déprimés me dire « Tu m’as donné envie de faire ce que je veux faire, de suivre mes rêves. »C’est mon but. »‘
Le seul problème que pourrait poser cette grande fan d’Obama est celui de la poursuite des stéréotypes. Si la rappeuse semble reproduire le look et les clichés associés aux rappeurs masculins, les femmes se retrouvent bien souvent réifiées, réduites à leur physique voire à leurs prestations sexuelles, traitées de « hoes » (« putes ») à longueur de lyrics. L’une de ses plus célèbres punchlines « Her name is Stephanie, I call her Headphanie » est construite sur un jeu de mot laissant entendre que ladite Stéphanie n’a de relations sexuelles qu’avec sa tête, comprendre avec sa bouche, afin de préserver sa virginité. Un exemple parmi d’autres (voire le clip de Hot Sauce et sa somme de clichés) qui a valu à Young M.A d’être taxée de misogynie. Réponse de l’intéressée:
« Au final, les hommes peuvent être décrits de la même façon que les hommes décrivent les femmes. Un homme peut-être une pute, autant qu’une femme peut-être une pute. Et je suis une femme ! Je respecte les femmes. Je respecte ma mère. »
Peut-être la rappeuse jouit-elle justement de pouvoir s’approprier le rôle habituellement dévolu aux rappeurs masculins, d’avoir l’occasion de jouer, elle aussi, avec les codes les plus outranciers du hip-hop ? Voir à ce sujet le clip Pour It Up de Rihanna qui posait à peu de choses près (Rihanna se désapait) les mêmes questions.
Sans surprise, Young M.A cite 50 Cent à longueur d’interviews. Au tout début des années 2000, le gamin du Queens personnifiait le rap bling-bling et testostéroné, avide d’argent, de femmes en strings au bord d’une piscine, de palmiers, de grosses voitures et de montres en diamants. 50 Cent et Young M.A se sont depuis rencontrés, le premier allant même jusqu’à balancer en septembre dernier son propre remix du désormais classique OOOUUU.
Des prod’ rafraîchissantes
Pas de trap, d’autotune, ni de grime chez Young M.A. Et malgré tout l’amour que l’on porte à Migos, Young Thug, Gucci Mane ou Stormzy, ça fait du bien. La rappeuse a le mérite d’inventer son propre style, aux racines ancrées dans la tradition classique du hip-hop new-yorkais des années 90, inspiré par la décontraction d’un 50 Cent, servi par sa voix asexuée reconnaissable entre mille et un sens du rythme imparable. Il n’y a qu’à écouter Self M.A sur Her Story pour s’en convaincre, avec son chœur gospel, son flow et ses paroles irrésistibles qu’on aimerait apprendre jusqu’à s’en décrocher le cœur :
« They say that I manipulate the youth/ Nah, don’t get it wrong, I speak the truth/This is deeper than the roots, look around you see the proof. »
(« Ils disent que je manipule la jeunesse/Nan, ne vous méprenez pas, je dis la vérité/C’est plus profond que les racines, regardez autour de vous, vous en aurez la preuve.« )
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