L’artiste propage douceur et langueur sur son dernier album. Un nouveau kid au cœur sensible pour Minneapolis et pour le monde ?
Il ne faut pas longtemps, trente secondes tout au plus, pour comprendre que Jeremy Nutzman est à l’image de sa musique : sensible, fragile, quelque peu gêné à l’idée de se dévoiler. Avec ses dreads, ses multiples tatouages et ce look piqué à Lenny Kravitz, période Are You Gonna Go My Way, l’Américain a pourtant tout du mec qui en impose, sûr de lui, apte à captiver les foules. Mais il faut croire qu’il préfère laisser ce privilège à sa musique.
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Les interviews, ce n’est de toute façon pas ce qui semble l’intéresser. C’est un peu trop de pression. Et Jeremy Nutzman, qui peine à soutenir un contact visuel prolongé, semble déjà en lutte avec suffisamment de sentiments pour ne pas avoir à en rajouter. Après tout, tel qu’il le confesse dans un sourire timide, il n’a pas choisi de naître.
Une éducation chrétienne contrariante
Alors, depuis qu’il est gamin, il tente de se construire, de s’affirmer et de se réfugier derrière des “boucliers”, soit les différents pseudonymes qu’il utilise depuis dix ans : Spyder Baybie Raw Dog, Pony Bwoy et Velvet Negroni aujourd’hui.
“J’étais excité de connaître tout ce que la religion ne m’autorisait pas”
A chaque phrase, Jeremy donne l’impression de porter sur ses épaules les tracas du commun des mortels, de ne pouvoir contenir un trop-plein d’émotions, de gérer des sentiments et des envies contradictoires. Il faut dire que tout n’a pas toujours été facile pour celui dont les parents adoptifs, chrétiens évangéliques, ont toujours souhaité qu’il emprunte le chemin le plus pieux, sans même se douter que Jeremy n’entretenait qu’un rapport distant avec la religion.
“Ils ont toujours cherché à me tenir à l’écart de tout ce qui ne glorifie pas Dieu, surtout en musique. Or, ça a toujours été l’inverse pour moi ; j’étais excité de connaître tout ce que la religion ne m’autorisait pas.”
Kurt Cobain, Missy Elliott et Prince pour idoles
Plus tard, lorsqu’il comprend qu’il peut composer de la musique par lui-même, la sensation est libératrice. Jeremy Nutzman, lui, parle même d’une “révélation”, d’un sentiment qui lui donne sincèrement l’impression d’exister et de pouvoir enfin mettre de côté le patinage artistique et faire autre chose que du piano, cet instrument avec lequel il s’est familiarisé principalement parce que ses frères et sœurs en jouaient…
A 18 ans, il abandonne ainsi les études artistiques qu’il suivait dans un collège religieux de Minneapolis, découvre le rap, le metal et apprend la vie dans les morceaux de ses nouvelles idoles : Kurt Cobain (auquel il dédie l’un des morceaux de son nouvel album), Missy Elliott et, forcément, Prince, un héros local à qui la presse anglo-saxonne le compare régulièrement.
Ce qui ne semble pas vraiment le déranger : “J’aime que ma musique soit difficile à catégoriser, et Prince était pareil. Par le passé, j’ai moi-même composé un morceau en son hommage (Full Court Press – ndlr), donc les comparaisons ne me posent pas de problème. On parle de Prince, après tout. Ça pourrait être pire.”
Soul brother
On lui demande alors s’il se verrait bien jouir un jour d’un tel succès, d’une telle aura, et sa réponse fuse : “La célébrité ne m’a jamais réellement attiré. Ce qui m’importe le plus, finalement, c’est que les gens puissent s’approprier ma musique. C’est ça le vrai succès, selon moi.”
Traduction : Velvet Negroni est un fin orfèvre, détaché des contingences FM et prêt à plonger l’indie pop dans les traditionnelles sources de la musique noire – l’éternel souffle de la soul ou le pouvoir sensuel du r’n’b, un genre au sein duquel il semble particulièrement s’épanouir.
“Ça a toujours été le cas. T.C.O.D., mon premier album, arpentait déjà cette esthétique et me permettait de me libérer d’une rupture amoureuse. Mais l’idée, comme sur Neon Brown, n’est jamais de tomber dans le sentimentalisme ou le r’n’b que l’on écoute en pleurant sous la pluie.”
Un album plutôt dark et carrément puissant
De One One à Ectodub, l’ambition de Neon Brown, résultat de six mois d’échanges intenses avec les producteurs Psymun (Juice WRLD, Young Thug, Future) et Elliott Kozel, est effectivement tout autre : c’est un disque digne, habité, où tout n’est que paix, volupté et abandon.
C’est un album de r’n’b, minimaliste mais d’une puissance inouïe, qui propulse illico Velvet Negroni dans le peloton de tête des songwriters les plus étourdissants du moment. Lui-même semble avoir conscience de l’importance de ce deuxième long format, au point d’en parler comme du “prélude au deuxième acte” de sa vie.
On ne doute pas une seconde en effet que des titres à la fois denses et pleins d’espaces tels que Poster Child, Confetti ou Choir Boy, malgré des paroles ésotériques, permettent à ce proche de Bon Iver et Macaulay Culkin (et qui s’apprête à tourner en première partie de Tame Impala) de toucher les cœurs sensibles.
Parce que même si ses morceaux, majoritairement composés de nuit, peuvent parfois paraître un peu trop dark, vaguement plaintifs, ils ont systématiquement ce potentiel tubesque, cette universalité et ce niveau époustouflant de minutie et d’harmonie pour faire de Velvet Negroni le nouveau kid de Minneapolis.
Neon Brown (4AD/Wagram)
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