[Avant son concert à l’Olympia le 11 juin, relisez la critique du dernier album de Yelle] Après six ans d’absence, Yelle opérait sa révolution astrale sur son quatrième album, sans aucun doute le plus touchant, l’un des coups de cœur indéniables de notre top album 2020.
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Désolée de rouvrir les vieux tiroirs, mais les madeleines font toujours autant d’effet aux nostalgico-mélancoliques. A peine avait-on obtenu le lien du nouvel album de Yelle, L’Ere du Verseau, que l’on se dirigea, irrésistiblement, vers YouTube.
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Nous tapâmes Je veux te voir dans la barre de recherche et nous rematâmes ce clip du single (paru en 2006), avant de faire le calcul 2020 moins 2006 sur la calculette de notre smartphone pour obtenir le chiffre 14, qui nous fit contempler avec d’autant plus d’émotion le carré à frange, les fringues clinquantes et le second degré glissé dans le sourire mordant. C’était jaune et violet, c’était toute une époque pré-fluo kids et pro-MySpace. Et puis l’on se dit surtout que Je veux te voir était décidément un super morceau et qu’on devrait le repasser en soirée (enfin, en soirée… lol).
YouTube enchaîna ensuite Je veux te voir avec Je t’aime encore. Et là, ça nous sauta aux oreilles. Le meilleur morceau de Yelle – depuis Je veux te voir – est, sans conteste, sans tergiversations, sans rien du tout, comme une évidence, Je t’aime encore.
Un quatrième album qui étreint la mélancolie
Deux faces d’une même pièce, un yin et yang musical : à la force insolente de Je veux te voir et sa pop sous Guronsan répond, quatorze ans plus tard, la douce vulnérabilité de Je t’aime encore et sa déclaration d’amour à la France qui n’aura eu de cesse de snober Yelle, passé (à cause de ?) son tube avec Michaël Youn (Parle à ma main), la laissant conquérir l’estime d’un public américain et se produire trois fois tout de même chez le maousse Coachella Festival.
Je t’aime encore, joyau de L’Ere du Verseau, un quatrième album qui étreint la mélancolie, l’embrasse, la baise même. Yelle y parle d’amour et de chagrin, des chocolats Mon Chéri et d’un chéri qui lui manque, du besoin d’avoir un chien, un “ami mâle”, avant de lâcher plus loin : “Je tourne en rond et je me noie dans vos vies/Moi dans le noir je m’efface”, esquisse d’un monde d’images et d’Instagram.
Signée Jean-François Perrier, alias GrandMarnier, aidé de Voyou et de Tepr (l’ancien troisième larron de Yelle), la production plus enthousiaste que les textes offre ce décalage doux-amer que l’on apprécie tant dans la poésie pop française, une fausse simplicité comme une certaine façon de saisir le chavirement des cœurs, l’éclairage en demi-teintes la vie en définitive, avec ses déceptions, revirements, pertes, fracas et cahots mais toujours avec distance et humour.
Légère et profonde, triste et bête de scène
Avec la mort aussi, en 2018, de son père, le chanteur François Budet, qui plane sur le disque, ses angoisses et les regards que Julie Budet se lance dans le miroir. Mais ici et là surgissent des frappes plus énergiques, brutales même comme Karaté, relecture electro du kan ha diskan, technique de chant traditionnel breton qui mêle plusieurs voix. Car Julie Budet et Jean-François Perrier sont bretons, de Saint-Brieuc, où ils vivent toujours, refuge entre deux tournées, une désertion de Paris souvent peu comprise, mal perçue…
Alors même qu’inventer une musique de machines, de bassins qui tournent et de cœurs qui saignent face à la mer plutôt que dans la moiteur d’un club apporte une salutaire étrangeté, une belle humanité au projet Yelle qui, en définitive, n’aura eu de cesse d’étonner, sans jamais se modifier, pourtant.
C’est peut-être là l’origine du désamour français, dans une impossibilité de saisir Yelle dans ses paradoxes : légère et profonde, triste et bête de scène, capable d’incartades mainstream (premières parties de Katy Perry notamment) et de tournées dans de petits clubs.
De se battre aussi, de ne pas lâcher, de continuer à produire de la musique, en écoutant les sœurs Goadec, peut-être sur la pointe du Roselier ou dans l’obscurité rassurante de leur studio, dans un beau kimono de karaté, bien sûr, noir de nuit, avec ce regard si intense qui transperce la magnifique pochette de L’Ere du Verseau signée Marcin Kempski, où Julie semble camper une survivante de marée noire, une héroïne romantique et post-futuriste qui ne se laissera pas avaler par la brutalité du monde.
L’Ere du Verseau (Recreation Center/PIAS)
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