Le rap belge se porte toujours aussi bien. Ce coup-ci, c’est Isha qui vous passe le bonjour avec la sortie de son nouvel EP, « La vie augmente, Vol. 2 ». Presque un an après la sortie du volume 1, le rimeur envoie 10 nouveaux titres puissants dans lesquels il s’épanouit encore plus et essaye de nouvelles choses.
Avec Isha, ça faisait un moment qu’on se courait après. Un jeu du chat et de la souris qui se terminait un samedi midi de mars, à l’arrière d’un bar tranquille de la rue des Martyrs au lendemain d’une apparition au concert de son ami Scylla, “dans une Cigale sold-out. On vient de plus en plus souvent à Paris. L’intérêt des médias à considérablement augmenté, on a beaucoup d’interviews, pas mal de concerts en France, dont certains ici” assène le rappeur, le visage ouvert et détendu. Il y a de quoi. Depuis que son disque La vie augmente, Vol. 1 est sorti l’année passée, il y a clairement eu un après : “une petite fan-base, très timide, s’est créée. Ça se fait tout doucement, mais on commence à voir l’impact du projet”. Une consécration tardive, mais méritée, pour cet homme téméraire qui a embrassé le rap juste après la génération des précurseurs Benny B, Starflam, et autre CNN. “Depuis l’époque des mixtapes” nous sourit-il. En ce temps où les CDs chassaient doucement (mais sûrement) les cassettes audio, Isha était Psmaker, un bout d’horizon “de ce petit paysage” qu’était le rap belge.
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Début de carrière sous le pseudonyme Psmaker
Sous couvert de ce pseudonyme, il faut compter douze ans de rap pur et dur – une discipline “anarchique, où tu fais ce que tu veux” comme il dit. Pendant cette décennie le rimeur a façonné sa plume, parfois pour sublimer “une routine ennuyeuse”, d’autre fois pour laisser exprimer son penchant “d’ado un peu révolté”. Au gré de ses projets et des années, il aura tatoué de son nom des crédits de compilations et livré un premier album Vas y Chante (2008) – dont les “premiers fans du rap de BX [ndlr ; Bruxelles]” se rappellent encore. Malgré un succès d’estime, Psmaker ralentit ses pulsations, s’écarte de son art ; peut-être à cause d’un public encore trop timoré ? Mais la détermination est une vertu dont il est très dur de se détacher. “Les gens me disaient souvent : “Tu t’appelles Isha, ça sonne vachement bien. Pourquoi tu prends un autre nom pour rapper ?” J’avais envie de changement, alors pourquoi pas sortir des nouveaux morceaux avec ce qui est en réalité mon prénom ?” nous avoue-t-il, pas mécontent d’avoir suivi ce conseil. Un choix judicieux, qui fait désormais office de fondations sur lesquelles une musique contemporaine peut s’appuyer.
L’importance de la jeune garde belge
Dans le rap, la tradition veut que les artistes exposés fassent des passes décisives aux plus jeunes pour qu’ils puissent briller devant le but ; c’est bien comme ça. Avec Isha, la situation s’est retournée : “Ce sont les petits qui m’ont reformés et ce sont eux qui m’ont relancé. Nous, on est plus âgé et on a dû apprendre à se servir de l’Internet et de ces nouveaux outils, codes, que des types comme JeanJass et Caballero maîtrisaient parfaitement. C’est vraiment ce qui me fascine le plus dans cette génération-là. Ils arrivent à bien emballer le truc et en faire quelque chose de consistant avec très peu de moyens” nous explique-t-il. Il va sans dire qu’Isha “valide artistiquement” ses cadets. Ce cas de figure rare, notre Serge Gainzbeur national l’effleure aussi. La carrière d’Alkpote (son alias principal de rappeur) débuté au temps des grands lézards, connaît une néo-hype grâce à l’impulsion de plus jeunes MCs – 13 Block, Caballero et JeanJass, Jok’Air ou Vald, pour ne citer qu’eux. Le parallèle entre ces deux OG s’arrête ici.
À la mi-avril 2017, La vie augmente, Vol. 1 sort de cette fontaine de Jouvence et se fond parfaitement dans l’euphorie des sorties rap en Belgique – jeter donc un œil au Planète Rap de Roméo Elvis. Sur ce premier EP de 10 titres – d’une probable trilogie ? – Isha montre sa mue, très originale : “J’essaye d’avoir des discours un peu inhabituels. C’est naturel. Même si je parle de la même chose que les autres rappeurs, je le fais avec des axes différents. Par exemple, j’ai fait un morceau où je me mets dans la peau d’un type que sa copine trompe. La plupart des MCs préfèrent incarner le type qui trompe sa copine. Pas le contraire.” Une méthode textuelle avec laquelle le rappeur s’amuse sur des bangers (Oh putain (Avec l’accent du sud) ; Tony Hawk), ou se confie, sur fond de prods’ mélancoliques (La vie augmente). Cet “ADN musical”, Isha la peaufine avec une équipe fixe et des collaborateurs réguliers, Caballero et JeanJass (tauliers du studio Back in the Dayz), les beatmakers Eazy Dew et BBL et la petite équipe de Zone51. Pour ce deuxième volume, le rimeur a reconduit la formule, tout en essayant de nouvelles choses.
Le deuxième volet d’une probable trilogie
La vie augmente, Vol. 2 [LVA 2] est prêt, nous rencontrons Isha une seconde fois. Deux jours avant la sortie du disque, le rimeur nous a donné rendez-vous dans le 18e arrondissement de la capitale. À quelques heures d’une entrevue avec Warner pour signer un contrat qui le liera à Parlophone, il arbore le même sourire que sur la pochette de ses disques, le stress en plus. “On a fait ce choix, car la structure ne fait pas d’urbain. Le directeur me disait qu’il me verrait bien m’écarter du rap pour la suite, et c’est finalement ce que je veux également. Pourquoi ne pas faire des morceaux de variet’, ou bosser avec des musiciens ?” détaille Isha. Même si l’objectif peut paraître lointain, le rimeur a déjà commencé à s’en rapprocher. À l’écoute des 10 titres de ce deuxième EP, on ne peut pas, ne pas relever, qu’il pousse la chansonnette sur la plupart des morceaux ; ni que le vocoder s’est invité de façon plus affirmée. Aussi, sans qu’il ne l’ai “remarqué”, son flow est changeant ; nonchalant (L’Augmentation – Pt.2), ou en trois temps sur Caravane (en feat avec Zwangere Guy).
“J’ai horreur des mecs qui reproduisent les mêmes albums” dégaine Isha. Cette phrase simple porte en elle toute la complexité des textes : “Il n’y a plus de son comme La vie augmente où je ne parle que de moi. Par contre, j’ai disséminé des bouts de ma vie dans chaque morceau. Ce disque est clairement plus introspectif”. Une technique que le rimeur s’applique à respecter autant sur des bangers (Domamamaï) que sur des titres comme Mp2m ; une pensée affectueuse et profonde à son père. Au milieu de tous ces indices qui servent à mieux comprendre l’homme, un a particulièrement retenu notre attention. Il est essentiel et reflète fidèlement son “état d’esprit”. “Maintenant je sais que ce n’est qu’une question d’ouverture” peut-on entendre dans La Maladie Mangeuse De Chair, dernier track du l’EP :
“Après 15 ans dans le rap tu fais un peu bilan… Et c’est clairement ce que la musique m’a apporté. C’est grâce à elle que je côtoie des gens de toutes les classes sociales. Tout le monde fait du rap, les petits bourgeois, les pauvres… La vie ne peut pas augmenter sans cet état d’esprit. Je pense que les gens fermés sont pris au piège, et dans mon environnement malheureusement, beaucoup de personnes ne sont pas dans cette optique d’ouverture… Je crois que c’est ça, la vraie prison”.
Un combat noble que Isha va mener “tout au long de [ses] disques” ; La vie augmente, Vol. 2., ou comment lier l’utile à de l’agréable musique !
La vie augmente, Vol. 2. sera disponible ce vendredi 23 mars. Isha sera en tournée à partir du 24 mars, et passera au Transbordeur de Lyon le 7 avril, au Botanique de Bruxelles le 12 avril, à La Boule Noire de Paris le 17 avril… Toutes les dates sont à retrouver ici.
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