Dans un cinquième album plus confidentiel, la tigresse soul dresse son autoportrait en clair obscur. En concert le 3 avril à la Maroquinerie (Paris) à l’occasion d’une PIAS NITES.
Après le sensuel The Deep Field et la bringue de The Classic, la New-Yorkaise revient à une oeuvre introspective. Pour se faire, elle abandonne le studio trop froid, pour composer chez elle, à domicile dans son loft de Brooklyn. Une première.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“J’ai une partie du Loft dans laquelle je fais de la musique et les chansons sont nées de là. Beaucoup me sont apparues, très tard la nuit. C’est un peu le moment où mon cerveau s’allume.”
De cette composition nocturne naîtront des chansons presque soufflées : “je ne peux pas faire trop de bruit à cause des voisins, donc j’ai enregistré pas mal de voix très calmement, et je crois que ça s’entend d’une certaine façon sur le disque”. Idem pour son orchestration feutrée, où l’Américaine prend son pied sur sa batterie électronique et le casque sur les oreilles : “je programme pas mal ma batterie au casque, au milieu de la nuit, pendant des heures, sans fin, comme si j’avais un trouble obsessionnel (rires). “
Rejoint un peu plus tard par ses fidèles musiciens Parker Kindred (batteur) et Thomas Barlett, elle décide de mettre les mains dans le cambouis et de produire elle-même ce disque : “J’ai ce sentiment d’accomplissement. C’est la première fois que je produit un album entièrement seule”.
Cette confiance en soi et ce naturel, se ressentent bien sur Damned Devotion, une oeuvre où Joan assume pleinement, sa part de fantaisie et aussi des côtés obscurs. A la différence de ses deux albums précédents, qui donnaient la part belle à une soul sulfureuse voir chamanique, elle semble ici tomber le masque, et afficher sans pudeur cette mélancolie qui l’habite depuis toujours :
“Ces dernières années, je suis plus à l’aise avec cette idée d’introspection, et ne pas avoir peur des choses qui se sont passées. Honnêtement, il n’y a rien à avoir peur. “
Le chant comme exutoire
Adoptée et destinée à la danse très tôt; avant de devoir tout abandonner pour des raisons de santé, c’est une Joan adolescente et « dévastée » qui se rue sur la musique et le violon. En grandissant, les cordes ne suffisent plus à canaliser toute la rage et la douleur qui sont la sienne, traversant la perte successive de son petit ami Jeff Buckley et proche Elliott Smith. Pour faire sortir toute cette colère, elle se “forcera” à chanter, se cherchant vocalement pendant des années. Avec Damned Devotion, son timbre assumé et singulier, n’a jamais été aussi convaincant : “Je n’intellectualise pas trop la chose, ce qui veut bien dire que je suis plus à l’aise.” Tout comme le thème central de son disque, disséminé au fil des titres et cristallisé autour du morceau Damned Devotion, Joan habite pleinement cet état d’esprit qu’est la dévotion :
“La dévotion, c’est un peu comme un rêve, un délire. On a tendance à passer à côté de certains détails, et parfois ça peut devenir compliqué, je crois que je parle de ça dans l’album”.
https://www.youtube.com/watch?v=UnLYMArsLoM
Un album sombre, « mais pas triste pour autant »
Sombre indubitablement, et même un peu “sanglant” par moment, mais “pas triste pour autant”, ce cinquième album représente pour Joan une acceptation de soi (le sujet principal du titre I don’t Mind) et une libération : “je n’ai pas choisi, c’est juste ce qui s’est passé dans ma vie ces dernières années”. Cette liberté, elle en fait écho sur Steed (for Jean Genêt), un titre presque disco où on l’entend crier avec ce timbre sauvage et si salvateur, en hommage à Jean Genet et à son oeuvre Notre Dame des Fleurs : “Il personnifie la liberté pour moi. “Coup dur de 2017, Joan ne fait pas l’impasse sur l’élection de Donald Trump et sur la marche des femmes qui a réveillé Washington sur The Silence : “J’ai enregistré les chants de rue sur mon téléphone, et c’est ce qu’on retrouve sur l’album.”
Et si son second album To Survive conjurait le décès de sa mère atteinte d’un cancer, ce dernier semble exorciser la disparition de ses deux pères (adoptif et génétique), morts à 6 mois d’écarts (dans What Was it Like).
https://www.youtube.com/watch?v=vUTe6cWvuWU
Comme un équilibre instable qui est le sien, des chansons plus légères viennent s’acoquiner aux plus graves. Non sans humour, elle s’en prend par exemple à la surconsommation de spiritualité de supermarché dans Rely On et décrit ironiquement l’homme idéal sur Valid Jagger : “Je prends Mick Jagger comme modèle, comme un homme iconique et glamour.” Sans faire l’impasse sur l’amour avec un grand M (Warning Bell, Tell Me). Usant la musique comme une cure et le chant comme une psychanalyse, Joan signe un ouvrage d’une rare sincérité. Un grand cru de Joan.
Album Damned Devotion (PIAS) disponible sur Apple Music
En concert le 2 avril au Botanique (Bruxelles), le 4 avril à La Maroquinerie (Paris) à l’occasion d’une Pias Nites et le 5 avril au Fri-son (Fribourg, Suisse).
{"type":"Banniere-Basse"}