Pour Kurt Vile, composer et être sur la route sont intimement liés. Il le prouve avec Bottle It in, un album beau comme une virée dans le sud des Etats-Unis.
“Ce n’est pas un mensonge, c’est probablement de la satire.” Dans le livret qui accompagne la réédition américaine de son chef-d’œuvre méconnu Lubbock (on Everything), le tout aussi méconnu Terry Allen, musicien country alternatif et artiste plasticien, évoque la puissance du mythe dans la chanson américaine, dont l’extraordinaire aura viendrait de son humour, sarcastique parfois, et de son second degré. Après avoir terminé le mixage de Bottle It in, son nouvel album, Kurt Vile se rappelle avoir écouté en boucle Juarez, le premier album du vieux Terry Allen, le temps d’un road-trip dans le sud des Etats-Unis avec sa famille.
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Un album qui semble si important pour lui qu’il nous flanque la pochette du CD sous les yeux lors de notre rendez‑vous dans le XIe arrondissement de Paris : “Après avoir terminé le mixage avec le producteur Rob Schnapf, j’ai rejoint ma famille et nous avons traversé le désert de Californie. J’ai ensuite conduit à travers l’Arizona et le Nouveau-Mexique pour finir au Texas, avant de passer par le ranch de Willie Nelson. On a écouté ce disque pendant tout le voyage.”
Première partie de Neil Young
Le mythe, Kurt Vile l’incarne autant qu’il le fantasme lui-même. Cet été, à Québec, il jouait en première partie de Neil Young à la demande du Loner. Un beau concert, peut-être trop vite expédié. Lui regrette de ne pas avoir pris la mesure complète de l’espace qui lui était offert : “C’était une super expérience, même si je suis un peu déçu. J’étais tellement excité que j’ai fait un flyer pour l’occasion, j’en ferai un poster. Peut-être même un T-shirt.” Dans une interview de Kurt Vile par Kim Gordon publiée sur Dazed en 2015, la bassiste de Sonic Youth, qui joue d’ailleurs de la guitare acoustique sur le titre Mutinies, se marre en se souvenant d’une précédente rencontre ratée entre Neil et Kurt, avant de rassurer le kid de Philadelphie : “Je suis certaine que tu le rencontreras à nouveau.”
Dans ce même papier, Vile parle de On the Beach, affirmant qu’il s’agit peut-être de l’album qu’il préfère parmi ceux du Loner. Un truc qui fait tilt à l’écoute de Bottle It in, et particulièrement du très long Bassackwards, dans lequel Kurt se projette sur une plage, avant de s’imaginer ailleurs : “I was on the beach but/I was thinking about the bay/Got to the bay/By then I was far away.” C’est à ce moment-là, lorsqu’il s’agit de rentrer dans le détail intime des paroles, que les discussions avec Kurt Vile deviennent moins fluides et les regards fuyants : “Je suis d’accord avec cette comparaison… Et puis il y a cette ligne dans la chanson, quand je suis à la radio avec mon ami Tom Scharpling : I was on the radio talking with a friend of mine…” Neil Young, lui, chantait “I went to the radio interview but I ended up alone at the microphone.” Kurt, de son côté, semble moins seul.
Entre deux tournées et deux voyages
La part du mythe chez Kurt Vile, c’est aussi le mode de vie. Tout est musique sur la route. La mélodie, la ligne de basse, les motifs de guitare n’auraient aucun foutu sens s’ils n’étaient pas le fruit d’une errance, d’un hasard ou d’un paysage filmé en Cinemascope. C’est aussi le fantasme encore vivant des grands espaces et des sixties stoniennes : “J’ai lu beaucoup de livres sur les Rolling Stones. Ils étaient tout le temps sur la route ; ils débarquaient à Los Angeles pour un concert, puis se posaient deux jours à Laurel Canyon pour écrire Satisfaction et repartaient sur la route. C’est comme cela que je conçois la vie d’un musicien, c’est la seule vraie façon de rester connecté à la musique, parce que c’est purement organique”, confie-t-il.
C’est comme cela que Kurt Vile a conçu Bottle It in, sur la route, entre deux tournées et entre deux voyages avec sa famille, faisant escale dans des studios à Los Angeles et à New York, mais aussi dans le Connecticut et à Portland. Avec ce nouvel album, il revient aussi à des divagations progressives plus longues, comme avec Bassackwards, qui manquaient un peu sur B’lieve I’m Goin down, mais qui tiraient des albums comme Wakin on a Pretty Daze dans tous les sens. Ironie de l’histoire, le titre le plus percutant, celui qui flirt le plus avec la satire justement, est Loading Zones, sorte de voyage qui ne s’arrête jamais au cœur de Philly, sa hometown. Le genre de titre qui pourrait devenir l’hymne d’une ville si les autorités ne voyaient pas d’un mauvais œil ces chœurs scander “I park for free!” comme un groupe de supporters au Citizens Bank Park de Philadelphie.
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