Alex Rossi dévoile un beau tempérament mélancolico-mélodique où, sous le kitsch, affleure la vérité d’un homme d’origine incontrôlée.
Attablé autour d’un burger et d’un demi-litre de rouge dans un rade du XVIIIe arrondissement de Paris, Alex Rossi, chaussettes Burlington et mocassins en cuir aux pieds, nous raconte son histoire. Depuis sa naissance dans le Gers, à Auch, il y a maintenant cinquante balais, jusqu’à la sortie en cette fin d’année 2019 de Domani è un’altra notte, son premier véritable album. Une vie qui ressemble à une bande dessinée signée David Blot et Mathias Cousin, où l’on croise une galerie de personnages attachants, aussi iconoclastes que lui et sa trombine de boxeur époque Raging Bull.
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Avec une verve de pilier de bar, il nous parle du jour où Romain Guerret, le leader du groupe Aline, l’a poussé au cul pour écrire une chanson en italien : “Alors là, t’as Romain qui me dit : ‘Putain, Alex, t’as un nom italien, tu veux pas qu’on fasse une chanson en italien, une seule ! Ecris un texte, putain, et je te compose un titre en référence à cette musique italienne très synthpop qu’on aime bien.’ Alors, j’ai fait le texte de L’Ultima Canzone. C’était vraiment pour se faire plaisir, c’était pas pour la sortir sur un label.”
Manque de bol pour sa légende d’éternel outsider, ce tube préfigurant la hype du Spritz, vite fait, mal fait, tombe dans les esgourdes de Jean-Baptiste Guillot, le chef mécano de l’écurie Born Bad Records : “Et puis, on sort un clip en 2012 et JB me dit : ‘C’est pénible, ma femme et ma gamine regardent le clip tous les matins.’ Alors, je lui réponds : ‘T’as qu’à le sortir en 45t !’ Et là il réplique : ‘Bah, je pense que je vais le faire, ouais.’ Y avait que JB pour s’intéresser à ça !”
Sous l’influence de Bukowski ou Fante
Les 45t, Alex Rossi connaît bien ça. Ado, il allait les “chourer”, comme il dit, au centre commercial de Montlaur, en périphérie de la ZUP dans laquelle il a grandi. Le premier, c’était Ashes to Ashes de David Bowie : “Mais j’ai jamais volé Daho”, précise-t-il. Le Grand Sommeil sera son premier vrai choc, le genre qui élargit d’un coup les perspectives d’une vie entière, lui qui aura été bercé par les tubes du Top 50 toute son enfance, avant de trouver dans la littérature américaine des gueules cassées (Fante, Bukowski) un moyen d’évasion pendant son adolescence.
Animateur sur Radio 32, une station départementale financée par le conseil général sous Mitterrand, et DJ dans la plus grosse boîte du coin, Alex Rossi passe les Dogs, Daho, les Smiths, du post-punk made in New York City. A l’époque, être passeur, faire danser les gens lui convient très bien. Il s’intéresse surtout aux filles, à sa mobylette, à l’écriture et se moque un peu de ses origines italiennes.
“J’entendais partout que j’étais un beautiful loser, patati patata, alors voilà, j’ai scandé ce truc.”
Oui mais voilà, son talent d’écriture (au pif, on vous livre cette phrase : “Sous un semi-remorque, je suis passé près de chez toi”) n’est pas tombé dans les oreilles défectueuses des gens qui l’entourent. Bref, il débarque à Paris dans les années 1990 et veut faire de la musique. En 1997, il signe pour un album chez Mercury, qui ne le sortira jamais. Il rencontre Frédéric Lo, qui se fera lui aussi virer de la même maison de disques, avant d’y revenir pour bosser avec Daniel Darc sur l’album Crèvecœur (2004). Un enregistrement suivi de près par Alex. En parallèle, Rossi écrit pour David Hallyday, Dick Rivers ou encore Axel Bauer.
Mitan des années 2000, MySpace. Alex Rossi traîne avec un tas de gens, le chanteur Alister, le journaliste Bester Langs (Gonzaï), les musiciens d’Aline et l’écrivain Dominique Pascaud. C’est avec ce dernier qu’il met en boîte My Life Is a Fucking Demo, un cinq titres ras la gueule de références à la littérature américaine qu’il aime, de noms du petit milieu parisien qu’il énumère et de projections suicidaires ironiques qu’il exalte (le titre Dans la peau de John Kennedy Toole) : “J’entendais partout que j’étais un beautiful loser, patati patata, alors voilà, j’ai scandé ce truc.”
La langue, la famille, la filiation
De retour en 2013. L’Ultima Canzone devait être la première et la dernière chanson en italien de sa carrière. C’était le jeu. Mais JB ne sort pas un maxi sans une face B et Alex n’aime pas les reprises. Il écrit alors un deuxième morceau, Ho provato di tutto, et fait voler en éclat par la même occasion le pacte qu’il a passé avec lui-même. En ce temps-là, en France, il n’y avait bien que Sébastien Tellier pour parler du grand Lucio Battisti, et Fabio Viscogliosi (ex-The Married Monk) pour chanter en italien.
“Pendant trois, quatre ans, sans pression, on a ensuite écrit des chansons en italien avec Arnaud Pilard et Romain Guerret. Pour être honnête, je ramais avec les chansons en français. Regarde, la chanson Tutto va bene quando facciamo l’amore, j’ai trouvé ça comme un gimmick, tout seul, sur mon dictaphone. C’est ce que j’aime, chanter en italien m’a libéré du format chanson et du côté littéraire des chansons françaises à la con que je déteste.”
Le résultat sonne comme faussement futile ; un peu à côté de la plaque du cliché italo-disco aussi. Le disque évoque les gens de son cœur (La Gente del mio cuore), les communautés de destin (Il nostro destino), et les tunnels qui sont autant de frontières qui nous séparent ou nous réunissent (Il Tunnel del Monte Bianco). Quelque part entre Le Métier de vivre de Cesare Pavese et les chansons de Lucio Battisti, il y a désormais l’album d’Alex Rossi. Ou, comme on pourrait le résumer en une sentence : sous le kitsch, la vérité d’un homme. “C’est pas un album italien, c’est un album d’origine italienne”, confesse-t-il. La langue, la famille, la filiation. Une autre histoire de l’immigration et de la mémoire se joue sous l’apparente légèreté de cette pop clinquante.
Album Domani è un’altra notte (Kwaidan Records/Differ-Ant)
Concerts Le 7 décembre, Rennes (Bars en Trans) et le 4 février, Point Ephémère, Paris
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