Depuis son chef-d’œuvre inaugural, L’Incroyable Vérité (2000), le chanteur barbu s’est inventé un nouveau personnage à chaque album, tout en élargissant profondément son spectre musical. Sébastien Tellier ou le coup d’Etat artistique permanent en cinq actes.
L’Incroyable Vérité (2000)
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Découvert avec le sublime Fantino sur la compilation Source Rocks (1988), bouleversant instrumental qui figurera ensuite dans le film Lost in Translation (2003) de Sofia Coppola, Sébastien Tellier s’affiche en costard et nœud papillon sur la pochette de son premier album, L’Incroyable Vérité (qui sort en vinyle en 2000 et en CD en 2001.
A contre-pied total de la French Touch (malgré la présence de Quentin Dupieux, alias Mr. Oizo, à la console), ce disque sans batterie est un anachronisme au début des années 2000, révélant un jeune auteur-compositeur-interprète fasciné par François de Roubaix, Pink Floyd et Robert Wyatt – beaucoup de musiciens barbus comme lui ! Natif du Plessis-Bouchard (Val-d’Oise), en 1975, Sébastien Tellier est le premier artiste signé chez Record Makers, le label fondé par Air et Marc Teissier du Cros, son “imprésario” et directeur artistique historique.
Pour cet enregistrement rassemblé autour de deux triptyques (Trilogie chien et Trilogie femme), Sébastien Tellier s’inspire de sa famille (un père musicien pour Magma, une mère directrice d’établissement pour enfants surdoués) pour composer des morceaux d’une tristesse insondable (Oh malheur chez O’Malley, L’Enfance d’un chien) et d’une beauté infinie (Grec, Black Douleur), illuminés par deux classiques : Fantino, donc, et le bien nommé Universe. Vingt ans après, L’Incroyable Vérité n’a pas pris une seule ride. Un chef-d’œuvre indémodable.
Politics (2004)
Changement de décor pour Sébastien Tellier grimé en Indien d’Amérique au sourire ultra-bright et embrassant, après la famille, un nouveau thème universel : la politique. En porte-parole des opprimés, le chanteur barbu entame sa première métamorphose artistique, en conjuguant de nouvelles obsessions musicales :
The Beach Boys, Stevie Wonder et Todd Rundgren. Parmi les onze titres éclatants, interprétés en anglais, en espagnol et en allemand, Sébastien Tellier réussit la prouesse de composer un joyau absolu, une perle intemporelle : La Ritournelle, sept minutes et trente-cinq secondes renversantes, où la voix de Sébastien Tellier chavire seulement au bout de quatre minutes instrumentales : “Oh nothing’s gonna change my love for you / I wanna spend my life with you.”
Loin des canons radiophoniques de l’époque, La Ritournelle devient un classique instantané du patrimoine pop français. Deux génies disparus figurent au générique de la chanson : Tony Allen à la batterie et Philippe Zdar (Cassius) au mixage. Pièce centrale de Politics, La Ritournelle ne doit pas occulter d’autres splendeurs : de l’orchestral Broadway à l’éploré Mauer, du cinématographique Slow Lynch à l’iconoclaste Ketchup vs. Genocide. En seulement deux albums, Sébastien Tellier a déjà affirmé une liberté formelle et physique sans limites.
Sexuality (2008)
Après un beau disque au piano, Sessions (2006), où il livre une reprise émouvante de La Dolce Vita de Christophe (l’une de ses idoles avec laquelle il se liera d’ailleurs d’amitié), et une splendide bande originale pour un mauvais film (Narco de Gilles Lellouche et Tristan Aurouet), Sébastien Tellier publie un troisième album encore conceptuel, inspiré par son amour naissant avec Amandine de la Richardière (sa future femme) et son admiration pour Daft Punk.
Avec Sexuality, précisément produit par Guy-Manuel de Homem-Christo, la moitié du duo casqué, le chanteur est persuadé d’avoir “inventé la pop du futur”, entre singles addictifs (Roche, où il rêve de Biarritz en été, Divine, le titre avec lequel il représente la France à l’Eurovision 2008 dans une prestation télévisée gonflée à l’hélium) et plages robotiques (Look, Fingers of Steel), le tout ponctué par des râles et des cris d’orgasme.
En clôture, Sébastien Tellier livre une ballade déchirante, L’Amour et la Violence, qui s’impose immédiatement comme un must de son répertoire. “Qui marie la poésie de René Char et la production de Daft Punk ? Je suis un précurseur”, lâche-t-il en interview. Troisième chapitre d’une discographie en mouvement perpétuel, Sexuality se vend à plus de 125 000 exemplaires dans le monde. L’album du succès international.
My God Is Blue (2012)
Fidèle à son principe de se renouveler à chaque disque (du concept au producteur, de l’esthétique à la musique), le caméleon de la pop française cherche encore une fois à se réinventer. Après avoir exploré la famille, la politique et le sexe, Sébastien Tellier opte pour un autre thème universel : la religion. Du séducteur hédoniste transformé en gourou illuminé, il endosse une toge immaculée, porte un collier en forme de Pepito bleu et fonde L’Alliance Bleue, une communauté spirituelle dont il serait l’éminence grise.
Avec My God Is Blue, sa métamorphose la plus jusqu’au-boutiste, le barbu inclassable détaille son discours de la méthode : “J’ai eu cette transe, ces visions bleues, ces vérités qui surgissent quand tu prends des trucs très forts. J’ai plané haut dans le bleu.”
Entouré d’un nouveau producteur, Mr. Flash, de l’écurie Ed Banger Records, Sébastien Tellier ne parvient pas à convaincre sur la longueur d’un disque trop cérébral, roboratif et parfois ampoulé, dont il reste avant tout une ballade cosmique (Pepito bleu), un single dansant (Cochon ville, illustré par un clip lascif et dénudé), une fulgurance céleste (Magical Hurricane, qui n’aurait pas détonné sur L’Incroyable Vérité). Moins monochrome que multicolore, My God Is Blue reste l’album mal aimé de Sébastien Tellier.
L’Aventura (2014)
Un an seulement après le semi-échec de My God Is Blue, le compositeur révèle, entre deux albums studio, Confection, un disque quasiment instrumental, rassemblant les morceaux composés (et refusés) pour le film Confession d’un enfant du siècle (2012) de Sylvie Verheyde et quelques titres inédits (dont un Adieu magnifique à la grand-mère de son auteur).
Une parenthèse romantique immortalisée par Jean-Baptiste Mondino, ligotant Sébastien Tellier sur la pochette en noir et blanc de Confection. A l’aube de la quarantaine et d’une paternité naissante, le chanteur part au Brésil pour enregistrer dix chansons revisitant son enfance et son adolescence, entièrement écrites en français pour la première fois de sa carrière.
Comme à l’accoutumée, il s’entoure des meilleurs, en l’occurrence l’arrangeur brésilien légendaire Arthur Verocai (auteur d’un 33 tours culte de carioca en 1972), et l’immense Philippe Zdar qu’il retrouve au mixage, dix ans exactement après Politics. Le résultat est lumineux et contient quelques pépites, entre une plage orchestrale (Love), une excursion bossa (Ma calypso), une symphonie de poche (Comment revoir Oursinet ?) et des pop songs solaires (Aller vers le soleil, L’Amour carnaval). Un voyage en terres brésiliennes pour l’album le plus personnel et touchant de Sébastien Tellier depuis L’Incroyable Vérité.
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