Sur “Transangelic Exodus”, le songwriter en robe EZRA FURMAN tente de fuir l’Amérique de Trump dans un road-movie rock et queer. Grandiose et douloureux.
On s’en souvient parfaitement de ce petit clone mal dégrossi de Dylan/Springsteen tout droit débarqué de Chicago. De son folk en Formica. De sa voix nasale. De son groupe plaisant mais inoffensif (The Harpoons). Mais au fil des disques, le cas Ezra Furman est devenu intrigant. Affirmant de plus en plus fort son style comme son identité queer. Aujourd’hui, l’Américain assume tout : son rock déconstruit, son orientation sexuelle (il est ouvertement bi) et son identité de genre, arborant sur scène comme à la ville rouge à lèvres et talons aiguilles sans pour autant se revendiquer transgenre.
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L’histoire d’un garçon en robe amoureux d’un ange
Son nouvel effort, Transangelic Exodus, raconte d’ailleurs l’histoire d’un garçon en robe amoureux d’un ange (avec des ailes et toute la panoplie) dans une Amérique qui les pourchasse pour leurs différences. Toute analogie avec d’autres minorités opprimées par l’Amérique trumpienne (musulmans, migrants, pédés…) n’étant évidemment pas fortuite : “Je vois aussi la suprématie blanche gagner du terrain en Europe, pas seulement aux Etats-Unis. Et ce cauchemar a fini par se pointer dans mes chansons. J’ai commencé à me poser très sérieusement la question : que devrons-nous faire si nous devions partir ? Si la société veut notre peau ?”
Cette acuité à reconnaître les bruits de bottes, Furman l’attribue à ses origines juives : “On m’a beaucoup parlé de l’Holocauste. Depuis tout gamin, je suis conditionné pour être vigilant. Dans ma famille, il y a des survivants de la Shoah. Leurs amis et leur famille ont été tués mais si eux ont survécu c’est parce qu’ils étaient soit chanceux, soit paranoïaques.”
Si Transangelic Exodus est le cri de douleur de l’Amérique la plus vulnérable, c’est aussi un concept-album à l’architecture ambitieuse : “Les chansons ont été difficiles à assembler. Mais cette histoire d’ange m’est tombée dessus. J’ai écrit Suck the Blood from My Wound en dix minutes et je me suis tout de suite rendu compte que ça n’avait rien à voir avec ce que j’avais composé jusqu’alors. Je me suis demandé si je devais écrire cette histoire, composer un opéra-rock ? J’ai même tenté d’en faire un roman mais ça ne marchait pas. Ça me paraît plus puissant sans une intrigue. Je suis dans cette voiture avec un ange et on est pourchassé. Point.”
« Avoir une expérience sexuelle queer très jeune m’a fait prendre conscience que j’étais un outsider »
Sur Maraschino-Red Dress $8.99 at Goodwill, Furman explose ce sentiment irrépressible qui pousse un jour un homme à passer une robe. On pense à un Lou Reed (autre Juif errant à la sexualité complexe) qui, au lieu de décrire la faune warholienne, aurait tout assumé à la première personne : “Je voulais que cette chanson honore le désespoir que peuvent ressentir les personnes concernées par la dysphorie de genre. Pour moi, apparaître avec des vêtements féminins, ce n’est pas un jeu. C’est une nécessité vitale. Mais socialement et émotionnellement c’est une expérience violente. On se sent comme une merde. Je me suis dit qu’il devrait y avoir un peu d’art dédié à ce sujet.”
Pour nourrir son road-movie rock, Furman frotte son verbe à des passages de la Bible, à quelques tirades shakespeariennes et à la prose de l’écrivain noir et homosexuel James Baldwin : “I Lost My Innocence s’inspire directement de son livre, La Chambre de Giovanni. Comme lui, je pense qu’avoir une expérience sexuelle queer très jeune radicalise. Ça m’a fait prendre conscience que j’étais un outsider. Que la culture mainstream ne s’adressait pas à moi. Etre queer fait de toi un hors-la-loi. C’est la raison pour laquelle je ne me sens pas toujours en sécurité. Mais c’est aussi ma façon d’entrer en empathie avec les plus opprimés.”
Affranchis des tics glam-rock qui gâtaient un peu leur précédent album, Furman et sa bande s’ébattent désormais dans un territoire musical plus vaste aux arrangements souvent économes mais ingénieux (Driving down to L.A., No Place). Se payant même le luxe d’aligner quelques hits potentiels (Love You So Bad, I Lost My Innocence) et une merveille de bijouterie pop, God Lifts up the Lowly : “C’est mon morceau de bravoure. Il y a énormément de strates différentes. Il faut l’écouter plusieurs fois avant d’en découvrir tous les passages secrets.”
L’occasion pour le jeune homme de rendre hommage à ses musiciens (ses ex Boy-Friends rebaptisés au passage The Visions) : “Ces quatre mecs qui jouent avec moi ont vraiment atteint leur pic de création. Musicalement, ça a été très collaboratif. Même si j’ai écrit les chansons seul dans mon coin, ils les ont vraiment rendues plus grandes. J’ai de la chance de jouer avec des mecs aussi doués. Moi, je suis le Ringo Starr de ce groupe.”
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