La revue Audimat, éditée par les Siestes Électroniques, parle de pop avec l’exigence critique qu’elle mérite mais dont elle bénéficie rarement. Des articles longs, fouillés, passionnants, au service d’une meilleure compréhension des mécanismes de fabrication, production et réception de la musique. Rencontre avec Etienne Menu et Guillaume Heuguet, les deux rédacteurs en chef.
Pourquoi avoir sollicité des personnes qui ne sont pas directement dans la musique, comme ce type dans la déco et la mode, si vous voulez faire parler des personnes qui sont spécialistes de la musique ?
Etienne – Dans ce cas-là, c’est un mec (Patrick Mauriès, ndlr) qui avait écrit un bouquin assez étrange en 1978, qui a été réédité récemment par l’Editeur Singulier, qui avait fait l’anthologie de textes de Didier Lestrade dans Libé. C’est un bouquin que j’avais lu il y a 15 ans et que j’avais trouvé super, qui s’appelle Second Manifeste Camp. C’est au sujet de la posture camp, c’est un peu difficile à expliquer mais c’est l’idée, pour le dire très vite, du positionnement du second et du secondaire par rapport au premier. Il y a plusieurs manifestations du camp à travers l’histoire, par exemple l’école maniériste en peinture italienne, qui arrive après les grands maîtres type Raphaël, Michel-Ange, et comprend, accepte, qu’elle ne les dépassera pas. Elle développe donc une sorte d’esthétique mineure qui peut se permettre des choses que les grands maîtres ne pouvaient pas envisager. Ça, on peut le transposer à la musique : ça peut être certaines formes de pop, certaines formes de musiques un peu dégradées. Son point de vue était intéressant sur la musique. Pour Audimat, on lui a fait un entretien, en lui demandant s’il voyait une manifestation de cette posture camp dans la musique.
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Si je comprends bien, tout le monde peut donc écrire dans Audimat à condition d’avoir un point de vue sur la musique ou transposable à celle-ci ?
Guillaume – En fait, il faut un point de vue original et assumé. Il faut que cela apporte un savoir qu’on n’avait pas avant.
Etienne – Il faut que ça puisse être assez long, nourri, fouillé, on recherche des sujets méconnus, ou en tout cas traités sous un angle qu’on aurait pas pensé exister. Dans le traitement, le style, le ton, on ne recherche pas quelque chose de trop proche d’un style journalistique standard. Ça peut être un exercice aussi pour des journalistes qui en ont un peu marre d’écrire dans une langue formatée. Ils peuvent s’exercer à autre chose.
Quelle est la fréquence de publication d’Audimat ?
(rires) Etienne – On voudrait en faire deux par an maintenant, histoire d’être un peu présents… Mais ça reste hyper confidentiel, on n’a pas de distributeurs, très peu de presse. Guillaume comme moi, on a pas mal de gens qui nous connaissent, des amis même, qui ne savent même pas qu’on fait ça. C’est assez discret.
On voudrait que les gens se disent « tiens, on peut écrire sur la pop comme sur le cinéma, la littérature, l’art contemporain ».
Quel est l’objectif d’Audimat ?
Etienne – L’idée, c’est autant de toucher les gens qui s’intéressent déjà à la musique, que d’intéresser d’une façon générale des gens qui aiment lire et aiment des revues sans forcément avoir un rapport avec la musique. On voudrait que les gens se disent « tiens, on peut écrire sur la pop comme sur le cinéma, la littérature, l’art contemporain ». C’est un truc que j’aime répéter. La France a une énorme tradition critique en cinéma, littérature, art, musique classique, jazz, mais avec la pop, il y a un problème.
Cela va surement avec l’image adossée à la pop : une musique populaire, réputée faible techniquement, non ?
Guillaume – Ce n’est plus le cas en plus. Ça fait bien dix ans que des intellectuels parlent de pop en disant que c’est important au même titre que d’autres références pensées plus légitimes.
Pensez-vous qu’il y ait quand même une nuance entre légitimité et importance lorsqu’il s’agit de parler de pop ?
Guillaume – C’est compliqué. A l’université, il y a des choses. Dans les médias sérieux, ça dépend, parfois c’est traité avec condescendance, c’est triste, mais pas toujours. Parfois il n’y a pas de condescendance mais il n’y a aucun savoir. Sans connaissances, on se retrouve avec des situations un peu bizarres : les trucs pop ont leur place mais personne ne sait quoi en dire, comment en parler, pourquoi ça a un sens.
Audimat traite donc de pop… Mais c’est quoi pour vous, la pop ?
Etienne – La pop, c’est aussi le discours sur la pop. On a fait des trucs sur le son en général : le son compressé, les réalisations… On peut faire des trucs autour du live, c’est toujours plus ou moins lié à la pratique populaire de la production et de la réception. La pop, ce sont toutes les musiques non savantes et qui ne sont pas le jazz. Mais la question se pose effectivement : le noise, c’est de la pop ? Le jazz parfois, c’est aussi de la pop ? Pop, ce n’est pas forcément la musique commerciale. Je considère que la pop, c’est autant de la noise que du punk hyper vener, ça peut être très inaudible. Ça dépend de la manière de faire : s’il n’y a pas une démarche plus ou moins pontifiante ou institutionnelle, c’est de la pop.
Guillaume – C’est un débat qu’on a eu avec Agnès (Gayraud, auteur de l’article Faustus et moi : L’inauthenticité de la pop dans le premier numéro d’Audimat, ndlr) qui a écrit un article sur la pop comme art. Elle a une définition précise : pour elle, c’est un genre artistique. Mais pour moi, il s’agit de toute la musique qui circule sur disques. A la limite, je veux bien qu’on parle de musique classique si on l’aborde différemment de l’approche esthétique et interne, si on la met en rapport avec la manière dont elle est diffusée, dont elle circule dans la société, dont elle est écoutée, les enjeux qu’elle soulève. C’est un usage du mot « pop » qui ne tient pas particulièrement au mot, c’est faute de mieux.
C’est important pour nous qu’il puisse y avoir Rihanna au même niveau qu’un truc de noise.
Le mot « pop », pour la majorité des gens, c’est quand même la musique rangée dans la catégorie du même nom à la Fnac, non ?
Guillaume – C’est vrai. On est content, nous, de dire qu’on peut parler de Rihanna, qui est dans la catégorie pop de la Fnac je pense, mais qu’on peut en parler différemment : sur la manière dont c’est fabriqué, par exemple, comme dans le dernier numéro d’Audimat. On préfère dire « pop » que « musique ». C’est important pour nous qu’il puisse y avoir Rihanna au même niveau qu’un truc de noise.
Etienne, tu présentes une émission sur Dailymotion, Music Info Service, qui parle de musique également. C’est lié à Audimat ? Guillaume tu y participes ?
Guillaume – Non, j’ai pas le temps.
Etienne – Mais si, tu as été invité 2-3 fois !
Guillaume – Ouais ouais, c’est vrai.
Etienne – En fait, j’ai fait de la radio sur Radio Campus pendant trois ans, Dailymotion m’a proposé d’adapter mon émission en vidéo. Music Info Service est censé être l’organe vidéo d’Audimat, mais ce n’est pas toujours évident d’avoir la même amplitude de propos. Et puis j’ai moins l’habitude de la vidéo que de la radio, je me rôde. C’est compliqué. Mais c’est la version vidéo d’Audimat parce qu’on se donne l’espace pour parler longuement de musique, en dépassant le débat d’opinion, le « j’aime, j’aime pas ». Notre ambition, c’est de dépasser les chapelles de goût : avec Guillaume, on a des goûts très différents parfois, on ne se juge pas. L’exemple de Fauve est parlant : pourquoi Fauve a du succès, qu’est-ce qui plaît aux gens ? On préfère ça plutôt que de dire simplement « c’est horrible, c’est nul ».
Guillaume – Même avant ça, de quoi cette musique est faite, comment elle est faite… c’est intéressant.
Etienne – Moi ça me fait penser à ce truc à propos du slam : depuis un petit moment maintenant le slam est vachement utilisé en institution psychiatrique. Les hôpitaux s’en servent pour libérer la parole des gens traumatisés. Tu vas dans n’importe quel HP aujourd’hui, tu vas voir un atelier slam. C’est drôle parce que les mecs de Fauve disent qu’ils se sont retrouvés un soir et qu’ils en avaient gros sur la patate, ils n’en pouvaient plus : ils auraient commencer à écrire leurs textes à ce moment-là. C’est la même chose, même s’ils ne sont pas forcément schizophrènes. Apparemment un mec de Fauve a fait un passage à Sainte-Anne, quand même. En tout cas je trouvais ça plus intéressent d’attaquer Fauve sous cet angle, ça permet de sortir de la musique, de parler de gens qui ont un rapport particulier à la musique, qui s’en servent comme d’un véhicule pour des messages au service d’une sorte de communauté rituelle où les gens connaissent les paroles par cœur. C’est ça qui est intéressant, une fois que tu dépasses la réaction épidermique. C’est aussi ce qu’on essaie de faire avec Music Info Service, tout en gardant aussi l’aspect débat. On réfléchit à une version plus étoffée, on n’a pas de producteur, pas de montage pour l’instant.
Guillaume – C’est vrai qu’on a pas de montage mais ce n’est pas si mal, ça donne ce côté conversation longue. C’est signifiant. Mais ce n’est qu’un essai.
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Aphex Twin – Syro | Review | Musique Info Service par audimat
Mine de rien, votre émission a une certaine identité : il y a un côté années 1960, le noir et blanc, les gens qui fument, le plateau épuré…
Etienne – C’est vrai, c’est presque volontaire. On ne voulait pas faire un truc internet friendly, mais du coup on ne capte pas vraiment le public internet ! Dailymotion avait sorti plein d’émissions en même temps il y a un an et la notre était assez catastrophique en nombre du vues !
Guillaume – Mais on avait de bons retours. Et par des gens qui ne lisaient pas forcément la revue. Ils étaient intéressés par le fait qu’on parlait de musique autrement, pas juste en balançant trois points de vue super rapidement.
Pour en savoir (encore) plus, rendez-vous sur le site d’Audimat.
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