À l’instar des Trans Musicales et du Great Escape, le festival allemand offre un sérieux coup de projecteur à toute une génération d’artistes locaux et internationaux. Pour cette 15e édition, qui se tenait du 29 août au 2 septembre, les musiques électroniques étaient à l’honneur pour célébrer le « son de Cologne », loin d’avoir disparu.
Wolfgang Voigt est heureux. Presque incognito au milieu de la foule, il ne lâche pas son sourire depuis vingt minutes. Cheveux plaqués en arrière, veston noir et chemise blanche – comme bien souvent –, l’un des boss du label Kompakt est subjugué par le set qui se déroule sous ses yeux. Sur scène, T.Raumschmiere maltraite ses contrôleurs. Il enchaîne les clopes, retire son t-shirt et se contorsionne dans tous les sens. Alors que résonne le beat radical de The Game Is Not Over, le performer descend rejoindre le public, micro en main, pour scander les paroles avec rage. Dans la fosse, le Thin White Duke local et le Iggy Pop de la techno sont réunis. L’illusion du duo iconique aurait pu être parfaite mais Berlin se trouve à 600 km d’ici. Il est 3h30, dimanche 2 septembre, et T.Raumschmiere vient de retourner le Stadgarten, l’une des principales salles de concert de Cologne et du c/o pop.
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Dénicheur de talents
Depuis 2004, le festival allemand est principalement connu en Europe pour son aspect défricheur. Comme aux Trans Musicales de Rennes ou au Great Escape de Brighton, le c/o pop investit plusieurs lieux du centre-ville de Cologne pour accueillir des centaines d’artistes dénichés aussi bien en Allemagne qu’à l’international et inviter de nombreux professionnels de la musique. Les cinq jours de festivités sont donc rythmés par des concerts ouverts au public, des showcases de jeunes pousses prometteuses et des conférences en tout genre.
Cette année, comme le veut la tradition, beaucoup de musiciens quasi inconnus côtoyaient des artistes ayant déjà acquis une certaine notoriété (on pense aux nouvelles stars de la bedroom pop, l’Australienne Stella Donnelly et l’Anglais Yellow Days, à la nouvelle révélation américaine Julien Baker ou encore aux trois garnements de The Homesick, fraichement débarqués des Pays-Bas). Si le festival mettait en avant des groupes d’horizons différents, du rock au hip-hop en passant par la soul et la pop, sa programmation ne pouvait que combler les amateurs de techno.
Pour sa 15e édition, le festival a souhaité marquer le coup et profiter du 25e anniversaire de Kompakt, le mythique label de techno local, pour replacer Cologne au cœur de la scène techno allemande le temps d’un week-end. « Avec les mecs de Kompakt, Cologne a longtemps été la capitale de la musique électronique en Allemagne, observe Sebastian Heer, le programmateur du c/o pop. À l’époque, il n’y avait qu’eux, ils ont créé une musique, l’ont étiquetée ‘son de Cologne’ et l’ont diffusée partout en Europe. Depuis, beaucoup d’autres artistes ont su aussi faire bouger la techno ailleurs en Allemagne mais Kompakt n’a rien perdu de son statut légendaire. Quand tu vois tous les artistes actuels de Cologne, pas seulement les DJs mais aussi les groupes comme Women ou Xul Zolar, tous ont cette petite influence électronique, cette touche qui renvoie au « son de Cologne ». »
Techno jusqu’au petit matin
Après avoir convié, jeudi 28 août, l’activiste transgenre, égérie de mode et Dj originaire de Chicago, Honey Jon, le festival relance la machine à décibels dès le lendemain pour des nuits entièrement consacrées à la musique électronique. Vendredi soir, aux alentours d’une heure et demi du matin, la productrice française expatriée à Londres Coucou Chloé, plonge le studio 672, l’un des clubs les plus réputés de Cologne, dans le noir total pour exhiber ses prods expérimentales et laisser échapper sa voix dopée au vocodeur, sensuelle et menaçante.
Dans la foulée, Darren J. Cunningham aka Actress s’installe dans la salle principale du Stadgarten, située à l’étage du studio 672, pour un dj set frissonnant. Doté d’une aura fascinante, le Londonien ne pouvait qu’hypnotiser l’auditoire avec une série de tracks ravageuses avant de céder sa place à la New-yorkaise Umfang.
Après une nuit chargée en émotions fortes, le c/o pop festival remet une couche le samedi soir pour une double affiche costaud. D’un côté, la soirée We are Europe (projet qui fédère huit festivals européens ayant pour vocation de construire et valoriser de nouvelles pratiques culturelles), qui prend place dans le club le plus emblématique de Cologne, le Gewölbe. De l’autre, la soirée Kompakt, qui célèbre le vingt-cinquième anniversaire du label de techno, lancé à Cologne en 1993 – quoique créé officiellement en 1998 – par Wolfgang Voigt, Michael Mayer et Jürgen Paape.
Double affiche
Une foule impressionnante s’amasse dans les environs du Stadgarten. Pas mal de jeunes, bières et club-maté à la main, mais surtout des trentenaires et quarantenaires, semblent-t-ils nostalgiques de Cologne des années 1990, où la ville était alors le lieu phare de la minimale.
À quelques mètres de là, au pied de la tour Colonius, la petite gare désaffectée qui abrite le Gewölbe accueille Gilb’R pour la soirée We are Europe et sa programmation assurée par les festivals Nuits Sonores, Sònar et Reworks. Sous la voute en briques rouges, surplombée de néons géométriques de couleur, le producteur français et fondateur du label Versatile s’élance dans un dj set house à la cool avant que le producteur bulgare KiNK ne prenne le relai pour deux heures de techno intense.
Le « son de Cologne » résonne
De l’autre côté du pont, qui sépare le Gewölbe du Stadgarten, les abords ne désemplissent pas. L’espace extérieur est surchargé, presque impraticable. Tous sont venus pour fêter les 25 ans de Kompakt au rythme du fameux « son de Cologne ». Si ses signatures les plus prestigieuses manquent à l’appel – Guy Boratto, Matias Aguayo ou encore DJ Koze –, le label a tout de même convié quelques noms emblématiques qui composent son catalogue. Ada et Coma chauffent à tour de rôle le Studio 672, tandis que Rex The Dog fait suite à Jörg Burger aka The Modernist pour un live surprenant dans la grande salle du Stadgarten.
Pendant près d’une heure, le producteur anglais manie avec précaution son synthé modulaire, qui trône fièrement sur la scène. Le beat hypnotique mène la danse. Les boucles sont filtrées au millimètre. Les diodes du synthétiseur clignotent sans relâche devant un public conquis. Il ne fallait nul autre que T.Raumschmiere pour assurer la relève avec un show ravageur, qui ravivait la flamme punk des origines de l’Allemand.
Messe des 25 ans
À 4h30 du matin, l’autre patron de Kompakt, Michael Mayer fait son apparition derrière les platines. Alors que son acolyte Reihnard Voigt, le frère de Wolfgang Voigt, se lance dans un dernier live au studio 672, Mayer délivre un set emplit de classiques qui fleure bon le « son de Cologne » tant convoité. La veille, au détour d’une conférence intitulée « politics of dancing », programmée par l’European Lab à la Chambre de commerce et de l’industrie de Cologne, Tobias Thomas, l’un des fers de lance de l’écurie Kompakt – et accessoirement ancien programmateur du c/o pop pendant plusieurs années –, tentait de mettre des mots sur cette étiquette tant ancrée dans la culture locale. « C’était plus quelque chose des nineties où nous faisions de la minimale sans raison artistique à proprement parler, nous faisions ça à l’instinct. Puis dans les années 2000, le terme ‘minimal techno‘ est devenu une marque générale, utilisée partout, souvent de manière batarde, explique le producteur. Nous voulions déconstruire la techno pour en faire quelque chose de plus romantique, de plus mélodique, influencé par la pop anglaise et américaine des années 1980. Le son est plus porté sur les émotions, les sentiments… Il représente bien la mentalité de Cologne. »
Alors que le set de Michael Mayer se poursuit à l’étage, Tobias Thomas a l’honneur de clôturer la soirée au studio 672. En costume noir pour l’occasion, le producteur glisse quelques mots avant d’entamer un set de deux heures jusqu’en début de matinée. « Aujourd’hui, la scène techno locale reste toujours aussi forte mais Cologne est une petite ville et a ses limites. Beaucoup d’artistes préfèrent s’installer à Berlin pour développer leurs projets ou organiser des soirées. Nous avons toujours gardé foi en notre ville natale et notre communauté, c’est ce qui nous a convaincu de rester ici. » Derrière son autel électronique, Tobias Thomas prêche la bonne parole comme au premier jour. Au c/o pop, la grande messe aura bien eu lieu.
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