A la fin des années 70, la voix que l’on recherchait en priorité sur l’une des deux stations de radio jamaïcaines était celle de Sugar Minott. Un titre suffisait à révéler toutes les nuances et les ressources d’une personnalité comme seul le ghetto sait en façonner. On trouvait, dans sa mélancolie dénuée d’apitoiement, le trouble […]
A la fin des années 70, la voix que l’on recherchait en priorité sur l’une des deux stations de radio jamaïcaines était celle de Sugar Minott. Un titre suffisait à révéler toutes les nuances et les ressources d’une personnalité comme seul le ghetto sait en façonner. On trouvait, dans sa mélancolie dénuée d’apitoiement, le trouble d’un jeune romantique et l’exigence de dignité d’un homme révolté. Si bien que, simultanément, la nuque d’habitude si raide des jeunes filles fléchissait et le torse des garçons se gonflait lorsque cette voix-là s’échappait du poste. Chanteur rare et surtout modeste, sa carrière fut moins retentissante qu’elle aurait dû l’être.
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A la sortie de son premier album pour Studio One, l’histoire du reggae roots était, il est vrai, déjà écrite. Les meilleurs « riddims » (thèmes de base) changeaient souvent de main et connaissaient une seconde vie (parfois même une troisième), qui en faisait des prises d’alpinistes dont s’assuraient les jeunes chanteurs pour se hisser sur l’aiguille du succès. Sugar Minott fut donc le premier d’une cordée qui comprenait entre autres Willie Williams et Freddie McGregor. Il était si bon chanteur que l’écouter suffisait à faire la différence entre création et simple décalquage.
At Studio One réalise ainsi une excellente synthèse des deux albums produits par Coxsone Dodd, Live Loving et Showcase, soit quinze morceaux qui comptent parmi les meilleurs jamais conçus en Jamaïque. Sa version du Roof over My Head des Mighty Diamonds dépasse de loin l’originale. Et il en est de même pour Hang on Natty, Love Gonna Pack up ou Come on Home. Chacune de ses interprétations est griffée d’un trait de sincérité qui les rend poignantes, même s’il s’empresse d’y appliquer une gaze de pudeur comme s’il s’agissait de blessures. Et ce sont des blessures. Minott chante l’amour comme s’il s’agissait de survie et la survie comme si son cœur en portait la flèche. Un étrange frisson parcourt cette musique. Qui n’est pas sans rapport avec le fait qu’après elle viendra le règne sans partage des DJ, qui consacreront la mort du sentiment dans le reggae.
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