Entre un Jacques professeur de house pour les enfants, des mouettes déglingos, du love mais surtout une soirée à Kéroual dominée par un set monstrueux de Jeff Mills, c’était le feu samedi.
Aller à Astro n’est jamais anodin. On sait d’avance qu’on va être – très – fatigué après parce que c’est toujours le bordel, mais aussi qu’on va recevoir beaucoup d’amour parce que c’est toujours comme ça, les teufs à Brest. C’était la 23e édition du plus vieux festival de musiques électroniques de France ce week-end, et, comme d’habitude, on a retrouvé l’atmosphère si particulière que s’échinent à développer chaque année les organisateurs.
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L’attachement des Brestois à leur festival, leurs qualités qu’on dirait presque intrinsèques pour ce genre d’événement – enthousiasme pas chichiteux, goût du son de qualité, bienveillance envers son prochain à qui l’on offre facilement une bière – corrélés à un line-up faisant revivre l’esprit rave cher à l’esprit du festival font d’Astropolis un événement musical majeur en France. De ceux qui, année après année, construisent un peu plus leur légende déjà bien installée.
Ce n’est pas la journée de samedi – précédée le vendredi soir par un set house de feu à la Carène de The Black Madonna, qui s’impose de plus en plus comme un pilier incontournable de la scène électro actuelle – qui nous a fait changer d’avis. On commence tranquillement en passant place Guérin au légendaire Mix’n’Boules, tournoi de pétanque à la coule animé au son rafraîchissant et groovy du collectif nantais La Station Rose. Qui du Boulic Crew ou des Rois mages – pourquoi pas – remportera le magnifique trophée prévu pour les gagnants ? On ne saura pas car c’est l’heure de l’Astroboum de Jacques, place de la liberté, dans le centre de Brest. Assurément l’un des moments les plus forts du festival cette année.
Poésie zarb et poule qui couine
L’artiste du collectif parisien Pains Surprises a pour sûr provoqué des vocations, tant son set house en plein air, dansant à souhait, a intrigué les petits venus y assister. “Le club le plus sélect de Brest”, crie Jacques, visiblement ravi d’être là : au fond, avec ses sets agrémentés de sons d’objets du quotidien – mention spéciale pour la grande poule en plastique qui couine ou aux ballons à dégonfler donnant, dixit une festivalière, “un bruit de baleine” – il est un grand enfant lui-même. Un grand enfant qui a à coeur de partager son savoir : pendant une heure, il propose un moment de poésie zarb, mêlant pédagogie et ludisme – les parents, à côté, semblent eux-aussi apprécier. Sa console est abaissée de façon à être à hauteur des gosses, qui regardent avec fascination les mains de Jacques, lui-même à genou, bidouiller ses machines ou gratter les cordes de sa guitare. Ils dansent à peine tant ils sont hypnotisés, d’autant que l’artiste, sympa jusqu’au bout, offre au fur et à mesure les objets qu’il utilise aux gamins. L’un deux offre à Jacques un avion, ce dernier se met à le faire tourner autour de sa tête.
Il est l’heure d’aller à Beau Rivage, événement incontournable du festival. L’idée est simple : des sets open air, au jardin de la marine, juste au-dessus du port et de la rade de Brest. Il n’est que 17h30 et pourtant il pourrait déjà être 3 heures du matin tant le public est à fond. Les mouettes aussi, enfin surtout les immenses installations à l’effigie de ces oiseaux, pléthoriques à Brest, dont les grandes ailes mécaniques bougent au son des basses. Gros succès en tout cas pour le set techno de la Montréalaise Claire, tout en nuances, qui clôture magistralement ce début de soirée face à la mer. Dans ses lunettes de soleil teintées, le public surchauffé se reflète ; derrière elle, un voilier passe. Des festivaliers dansent sur une luge, d’autres lèvent leur petit chien très haut au-dessus de la foule. On croit entendre l’intro de Crispy Bacon, track mythique de Laurent Garnier, habitué du festival. C’est un beau moment bis.
L’aventure
C’est vers minuit que l’on se rend au Manoir de Kéroual, là où a lieu la soirée principale d’Astropolis, celle que tout le monde attend parce qu’on sait d’avance qu’elle sera improbable – dans le bon sens du terme. Prendre la navette jusqu’à là-bas, à une grosse vingtaine de minutes de Brest, est déjà une petite aventure en soi. S’en suit le long chemin balisé par de hauts arbres du bois pour accéder aux entrées. Cette année, plan vigipirate oblige, les fouilles sont plus longues que d’habitude. Il pleut un peu, mais ça, on a l’habitude. Mais pas de quoi atténuer l’excitation ambiante : jusqu’à 8 heures, it’s time to dance.
On retrouve d’abord Jacques sur la scène de l’Astrofloor. S’il arbore la même chemise et coupe de cheveux que dans l’après-midi, sa console surplombe cette fois-ci le public, nettement plus âgé et aviné. Mais pas moins euphorique : sa techno “transversale”, organique, constitue une excellente mise en jambes. Quand il entame son tube Tout est magnifique, c’est le feu sous le chapiteau. “Merci, ça fait bien plaiz”, lance-t-il avant de partir. On a envie de lui retourner le compliment.
On reste sur la même scène mater le début du set du british Floating Points, cool mais pas transcendant, avant de se rendre sur celle du Dôme. Sorte de petite capsule blanche de l’espace, elle abrite les artistes programmés sur la scène Tremplin. Ses parrains cette année sont Madben et Yann Lean, duo se produisant sous le blase de Trunkline. Le premier, grande perche et petit protégé d’Astropolis – il est signé sur le label Astropolis Records – fume sa clope électronique tandis que le second danse rageusement. Leur techno vintage jouée à quatre mains sur des machines analogiques semble – à raison – plaire, tout le monde ne réussissant pas à passer sa tête sous le dôme. Idem du côté de la scène Mekanik, dédiée à la techno hardcore. On voit la fin du set de The Mover – Marc Acardipane irl – dont il est dit qu’il inventa le style, en Allemagne, à la fin des 80’s avec son label Planet Core Production. Casquette sur la tête, il alpague des festivaliers de plus en plus survoltés.
Gadoue et tachycardie
Il est environ 3H, la gadoue pénètre les chaussures et les âmes, mais tout le monde s’en fiche : Manu Le Malin, pilier du festival et programmateur de Mekanik – “le patron”, comme le dit un jeune homme à côté de nous – arrive. Les gens scandent fébrilement son nom : Astro sans Manu Le Malin… ça n’est pas tout à fait Astro. Il propose ce soir un show spécial : un “live visuel”, habillé des images numériques de Dylan Cote et Pierre Lafanechère, du label d’art visuel Oyé. Débutant plus doucement que d’habitude, il finit par envoyer un son très lourd, comme on dit.
On se rend finalement à la Cour, soit la plus belle des cinq scènes avec ses vieilles pierres et son ambiance onirique. Pour l’occasion elle est habillée, tout comme le reste du festival, de fils tendus dans l’espace créés par le collectif Vortex-X à partir de récupération de matériaux industriels. Sortes d’immenses toiles d’araignées sur lesquelles se reflètent les lumières, ces fils enveloppent magnifiquement l’espace. On pense aller voir le duo Karenn, c’est en fait le set d’Objekt sur lequel on tombe : suite à l’évacuation complète de l’aéroport Charles de Gaulle à Paris, les Anglais n’ont pas réussi à arriver à Brest. Il a failli en être de même pour Jeff Mills, et, vu la prestation que livrera le mythique dj de Détroit à l’Astrofloor, on se dit que ça aurait vraiment été la pire nouvelle du jour.
Car le pape de la techno est indépassable : pendant plus de deux heures, Jeff Mills propose un set tout simplement monstrueux, d’une efficacité et d’une beauté sonore inouïes. Le fondateur du mythique label Underground Resistance est accueilli en roi par le public, presque en transe. Le son, d’une “grande pureté” dixit une jeune femme à la fin du set, prend le corps, dans tous les sens du terme : on croit être par moments en pleine crise de tachycardie tant ses basses surpuissantes font vibrer notre cage thoracique. Bam bam bam, la maîtrise et la classe sont totales, l’hystérie aussi, par exemple quand il commence à jouer The Bells. Le visuel participe de cette grâce : des puits de lumière très blanche recouvrent par certains moments plusieurs festivaliers, qui semblent comme touchés par les dieux. C’était sans doute un peu ça.
On termine la nuit avec Möd3rn, toujours sur la scène de l’Astrofloor. Le trio, composé d’Electric Rescue, Traumer et Maxime Dangles, présente un set musclé, aux boucles ultra-rapides, qui bastonne comme il faut. Il est bien plus de 7 heures du matin et pourtant ça ne désemplit pas : rave up! Dehors, il fait déjà jour, il ne pleut presque plus, quelques personnes continuent à faire des auto-tamponneuses – eh oui, c’est aussi ça, Astro. Sur l’un des poteaux soutenant le chapiteau de la scène, on voit que quelqu’un a écrit “la teuf”. Et là, on repense aux derniers mots de Jacques, à la fin de son set, quand il faisait encore nuit : “N’oubliez pas, tout est magnifique.” On se dit que, ce soir-là, il avait raison.
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