Comme un rappel de vaccin, Pascal Rambert se penche sur la France de Vichy avec Asservissement sexuel volontaire. Réveil groggy après une longue période de mise en sommeil.
Je me souviens nettement du sentiment de décalage, presque d’innocence perdue (quel droit avons-nous de nous préoccuper d’art quand la guerre est imminente ?), éprouvé à la sortie d’une création d’Anne Teresa de Keersmaeker, à quelques heures du lancement de l’opération Tempête du désert par les Etats-Unis en Iraq. Dix ans plus tard, l’effet produit par la création de Pascal Rambert (texte, mise en scène et installation), Asservissement sexuel volontaire, retourne cet ancien sentiment comme un gant.
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Parce que le 11 septembre, tout en étant déjà derrière nous, se parle encore au présent. Parce qu’on connaît les liens intimes, passionnels et professionnels qu’entretient Pascal Rambert avec les Etats-Unis. Textes (Race, Long Island, Le Début de l’A) et mises en scène (Race à Los Angeles en 1999 et Gilgamesh, monté successivement à New York, à Damas et en France de 1998 à 2000 cf. Inrockuptibles n° 272) disent assez son engagement immédiat pour un art trempé dans le réel. Et bien qu’il vienne de réagir aux attentats du 11 septembre en nous écrivant « Aujourd’hui je me sens comme risible d’avoir cru que l’art pouvait un peu infléchir le monde », l’art, une semaine après les événements, a de nouveau exemplairement fonctionné comme une machine à réfléchir le monde. Avec insolence et distance, mais sans la moindre concession faite à la pensée.
Ecrite à Los Angeles et publiée par Les Solitaires Intempestifs en juillet 2000, Asservissement sexuel volontaire un titre-écran, commente l’auteur constitue le troisième volet d’un travail et d’une réflexion engagée, entre trois continents, sur les conflits du xxe siècle. Race se référait à la guerre d’Algérie et aux rapports de la France et du monde blanc avec l’Afrique, Gilgamesh à ceux entretenus entre l’Occident et le Moyen-Orient. Asservissement sexuel volontaire s’interroge sur la présence de l’Autre dans un rapport franco-français relié à l’époque vichyste. Une histoire familiale considérée comme une fantaisie, une comédie optimiste, mais surtout pas une pièce politique.
La mise en sommeil de cette époque de l’histoire jusqu’au milieu des années 80, qui vit également resurgir l’expression de la xénophobie en France, donne à l’auteur une position singulière : « Je me sens comme un archéologue qui travaille sur une mémoire collective contemporaine, comme si tout ça préexistait, était déjà écrit. C’est ce que je propose aux acteurs : de refaire ce cheminement à l’envers pour qu’ils retrouvent, à l’intérieur d’eux-mêmes, ce qui est déjà écrit en eux. » Si Pascal Rambert qualifie son texte de poème et refuse de le mettre en scène comme une pièce de théâtre classique, pour proposer une forme qui tient autant de la performance que de l’installation plastique, cet « acte poétique » est du ressort des comédiens comme du public.
Tout bouge et se recycle : chaises, tables, tableau, scotch, photocopieuse, n’uds de papier colorés accrochés au mur, lumières scintillantes, chansons pop noyant les notes de piano qui viennent du lointain et ne s’arrêtent jamais, voix gouailleuse de Piaf chantant l’Amérique, jusqu’à l’unique costume porté par tous, constitué de sous-vêtements féminins et de collants blancs. Hissés sur d’impossibles talons aiguilles, acteurs et actrices endossent à tour de rôle les personnages LaMaréchale, Les Pauvres, Cravate ou Garçon Jean et ce tour change chaque soir : on ne s’attache donc pas à un personnage mais aux diverses interprétations des figures ainsi isolées, mais jamais semblables. Un carrousel rapide, enlevé, propre à couper court aux crispations du langage et du corps, du sentiment et de l’idéologie, dont témoigne le texte. Façon de rappeler qu’avant d’être interchangeable (victime/bourreau), l’être humain, singulier, eut la prétention de se croire irremplaçable.
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