Magnifique premier album de ce songwriter américain, fils de l’acteur Anthony Perkins.
Elvis Perkins est le fils d’Anthony du même nom ? Norman Bates, Psychose, le couteau et la douche, l’inoubliable couii couii couii , c’est lui. Elvis Perkins a donc assez mal terminé le XXe siècle : son papa est mort des suites du sida en 1992. Il avait alors 26 ans. Elvis Perkins est le fils de son père, il est aussi fort logiquement celui de sa mère, la photographe Berry Berenson. Rentrant de vacances en Floride, Berry Berenson se trouvait dans le vol 11 d’American Airlines, le 11 septembre 2001. Celui qui, à 8 h 46, fut projeté sur la tour nord du World Trade Center. Elvis Perkins a donc encore plus mal commencé le XXIe siècle qu’il n’a achevé le précédent. Imaginez, compatissez : le jeune homme n’a pu échapper au spectacle abominable, télévisé, et répété ad nauseam, de sa maman en train de mourir.
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Evidemment, on s’attendait à une interview poignante, à un échange déchirant ; saisi par la beauté de son album, au courant de la noirceur presque surnaturelle de son passé familial, prêt pour les torrents de larmes, on s’imaginait prendre dans nos bras le chétif Elvis. Raté. Pour les larmes, on repassera. Car le très beau jeune homme, archétype de l’éternel étudiant, lunettes johnlennoniennes vissées sur un visage poupon, refuse de se livrer. Les indices, aveux et traces de cette marque de vie au fer rouge sang, il faudra donc les chercher dans Ash Wednesday, premier album de l’Américain. Sans indécence, sans voyeurisme, il faudra les chercher car ils existent forcément. Mais les choses ne sont pas simples. Ce serait trop facile, ce ne serait pas aussi splendide. On trouve bien sur le morceau-titre quelques phrases à la limpidité saisissante ? Personne ne survivra (?) Aucun soldat, aucun amant. Aucune mère, aucun père. Pas un enfant solitaire.?
Mais Elvis n’est pas une pleureuse, pas l’exploiteur cynique de ses propres fléaux. Elvis veut même sans doute s’en échapper. Musicalement, l’impressionnant Ash Wednesday est ainsi un objet plutôt complexe, plongé dans les eaux troubles et les belles ambiguïtés. Entre tradition terrienne et visées aériennes, intense et arrangé avec élégance, il lie l’aridité d’une americana immémoriale (la plainte ardente It’s Only Me) au rimmel plus romantique d’un Rufus Wainwright (l’excellente May Day). Il fait le passionnant précipité d’un folk dénudé ou tordu et d’intenses brillances pop. Il est à la fois la contemplation triste du vide total et le dessin gracieux de mélodies pleines et éternelles (l’ouverture While You Were Sleeping et son finale dresseur de poils). On y grimpe des collines sèches avant de traverser de grandes plaines humides, on accélère l’été tout en se méfiant des grands frimas.
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