Qui se cache derrière Les Thés Vidéos qui sont organisés tous les dimanches, jusqu’au 2 juillet, dans une galerie du deuxième arrondissement parisien ? Réponse : Corine Miret et Stéphane Olry, qui, en 1994, ouvraient leur appartement pour présenter des vidéos d’artistes contemporains. Aujourd’hui, ils remettent ça tous les dimanches après-midi à la Galerie éof. Plus de 400 réalisations à voir ou revoir tout en prenant un thé. Entretien.
Quel a été votre premier contact avec la création vidéo ?
Nous sommes des gens du spectacle. Corine est comédienne et danseuse. Au début des années 80, je (Stéphane)faisais des spectacles multimédias avec la Compagnie L’Extincteur. On mélangeait musique, théâtre, danse et vidéo. A ce moment-là, j’ai fait une rencontre déterminante, celle de Luc Riolon (réalisateur de vidéo danse) qui faisait un spectacle avec Mark Thompkins. Je lui ai demandé de réaliser mes films, mais Luc, qui a un rapport décomplexé à la technologie, m a conseillé de les faire moi-même. La vidéo étant un objet dont on peut s’emparer très rapidement. J’ai donc commencé comme ça, sur le tas. Mon premier film c’était Le Chien fou, la louve et le chacal, une fiction tournée en un jour et demi, le seul film que j’ai vendu à la Télé, à Canal +.
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C’est donc du côté de la réalisation que vous avez débuté ?
Oui et nous continuons. Depuis 1992, on a commencé une collection de cartes postales vidéos. On partait en vacances en Ecosse, et pour l’occasion on a acheté une caméra vidéo. Les premiers jours, on n’avait filmé que de la pluie et des moutons. Cela n’avait aucun sens, de la pure vidéo amateur. Donc, on s’est dit : qu’est-ce que l’on peut faire ? On s’est fixé un but (tourner chaque jour une courte séquence dédiées à quelqu’un), avec un cahier des charges bien précis : le contenu de l’image devait être en adéquation avec le lieu où l’on se trouvait, la date et le sentiment que l’on a de la personne à qui elle est adressée.
Connaissiez-vous les Cartes Postales de Robert Cahen et Alain Longuet réalisées pour FR3 en 1986 ?
Oui, mais nous considérons ce travail comme un boulot d’opérateur des frères Lumière, un travail d’image qui consiste à rendre compte au travers de courtes séquences d’un lieu. Cahen et Longuet s’intéressent à la carte postale telle qu’on la trouve avant de l’écrire, nous notre idée, c’est de s’intéresser à l’autre côté, à l’adresse et au destinataire.
Qui voyait ces cartes postales ?
Elles étaient réservées à leurs destinataires qui pouvaient les voir à l’occasion d’un dîner à la maison. Un jour suite à un voyage au Portugal, un des destinataire n’a pu se rendre à notre petite fête de retour et voir sa vidéo. Donc on est allé chez lui. Il y avait d’autres personnes qui ont vu les cartes. Tous les deux, on était étonné de voir qu’ils les regardaient comme des carnets de voyage. A partir de là, on s’est dit que l’on allait continuer. On a fait un voyage à travers la France, puis au Proche-Orient, au Maroc et en Allemagne. On a obtenu des bourses de l’ADAMI et de la Villa Médicis hors les murs. On s’est donné l’entière liberté de faire ce que l’on voulait.
Par la suite, à qui s’adressaient les cartes postales ?
Les destinataires ont changé en fonction de nos relations. L’idée, c’est de laisser faire les choses. On ne tourne pas un jour précis pour quelqu’un. C’est une sorte d’improvisation. A partir d’un plan fixe, on se met en scène. C’est très francophone, car on parle beaucoup, et très français aussi, dans le sens où il faut connaître notre culture commune, ses chansons et ses histoires.
Cela a donc limité vos possibilités de diffusions ?
A Amsterdam, nous avons montré les cartes postales sans sous titrage, c’est vrai que c’était la limite. Mais d’une manière générale, on n’est pas frustré de la diffusion. On ne court pas après les festivals et les galeries pour montrer notre travail. On a de très bon rapport avec le festival de Gentilly, les festivals thématiques sur le monde arabe, et la galerie éof où l’on organise les Thés vidéos. Notre boulot se veut modeste. On a plus de 400 cartes postales vidéo, c’est un tropisme important. Les gens choisissent la destination (le Maroc, l’Allemagne, etc.) et ça marche comme un feuilleton.
Finalement, en tant que réalisateurs, vous vous estimez heureux ?
On a eu beaucoup de chance. La reconnaissance des gens nous a aidés. Les produits existent et ils sont vus. C’est important, il ne faut pas oublier qu’on est gens du spectacle. Mais nous ne courons pas après l’audimat.
Les Thés Vidéos sont donc la deuxième corde de votre arc ? Ont-ils commencé avec les premières diffusions en public des cartes postales ?
Pas du tout. Cela remonte à 1988. Nous avions fondé une association, La Revue Eclair. On organisait des formes brèves de diffusions dans des lieux de Paris mêlant vidéo, texte et exposition de plasticien. Des vidéastes venaient avec leurs bandes. C’est comme ça que l’on a montré les premiers films de Pierrick Sorin, en super 8, les vidéos d’Eric Duyckaerts et d’Eve Ramboz. C’est de cette manière que nous avons constitué notre collection vidéo, jusqu’au jour où les subventions se sont arrêtées.
Qu’avez-vous fait à ce moment-là ?La question était : que faire de toutes ces vidéos accumulées ? C’était dommage de les garder au fond d’un placard ou de les renvoyer à leurs auteurs. Donc on s’est mis à réfléchir : comment montrer ces bandes qui nous semblent importantes et surtout qui correspondent à nos goûts ? Puis on s’est rendu à l’évidence : il y l’appartement, la télé et le magnétoscope. On a ouvert notre appartement, fait une programmation thématique avec une dizaine de vidéo comme on compose un menu. C’était en avril 94, et c’était la première des Thés Vidéos.
Qui venait alors ?
Au départ le cercle était restreint, puis Jean-Marc Manach a relayé l’information dans Nova. De notre côté, nous avons laissé des cartons dans les galeries. Les dimanches se suivaient et à chaque fois, il y avait deux fois plus de monde. D’une manière générale, les gens qui viennent aux Thés Vidéos font preuve de curiosité. On est là pour les accompagner, comme un bon libraire qui donne envie de lire un livre, nous on veut donne envie de voir des films. En même temps, le spectateur n’est pas là pour être au nirvana artistique permanent. Il est là pour voir ce qui est bon et moins bon, mais aussi pour savoir comment c’est fait.
Comment évolue votre collection vidéo ?
La collection s’agrandit au fur et à mesure des rencontres. Nous avons 400 réalisations, mais nous n’avons pas la nécessité d’avoir quelque chose de nouveau chaque dimanche. Le principe consiste à faire des sélections. On ne court pas après la nouveauté. Un spectateur des Thés Vidéos peut toujours se rattraper. Il n’y a pas d’enjeu de succès le jour de la diffusion. C’est une autre démarche. C’est comme une vidéothèque, un cabinet d’amateur, une sélection purement subjective.
Comment définissez-vous votre rôle ?
On est des chasseurs-cueilleurs. On ne fait pas dans l’agriculture intensive. On a des affinités avec certains diffuseurs comme Peyotl (Philippe Le Fresne) et Didier Husson du festival de Gentilly. Notre réseau est fait de réalisateurs, de galeries et de festivals. On fonctionne beaucoup sur le principe du téléphone arabe.
Quels sont les critères de sélection de votre collection ?
Tout d’abord, on regarde tout ce qu’on nous propose. On aime bien avoir un rapport direct avec le réalisateur, savoir si le cadre lui plait. Ensuite, on visionne à deux, mais on ne fait jamais de vote. Le critère, c’est de trouver les mots justes pour donner envie au spectateur. Maintenant nous sommes six dans l’équipe : Toni Abdo-Hanna, Sabine Massenet, Véronique et Christian Barani, nous ont rejoint. Chacun développe sa collection, donc il y a plusieurs courants dans l’ensemble de la collection.
Vous avez participé aux débuts de Pierrick Sorin en 88, comment se passent vos relations avec les artistes qui deviennent des vedettes de l’art contemporain ?
C’est vrai, on a projeté sur écran géant les films super 8 de Pierrick Sorin. Ensuite on l’a perdu de vue, mais aujourd’hui on ne montre plus rien car il est visible partout. Avec Joël Bartoloméo, c’est autre chose. Il avait une réflexion très avancée sur le retour de ses films. Il voulait voir comment ça marchait sur le spectateur. On lui servait de laboratoire. Avec les réalisateurs, nous avons un accord moral, ils nous prêtent leurs bandes, mais à tout moment ils peuvent les reprendre. Joël en a repris certaines, c’est son choix.
Comment vous situez-vous par rapport au monde de l’art contemporain ?
La vidéo dépend des arts plastiques, dans ce domaine, nous sommes incompétents. On n’est pas des vendeurs, et nous tenons à notre liberté fondamentale : rester des amateurs. Notre seul centre intérêt est de trouver le lieu idéal pour diffuser de la vidéo. Là, on est en galerie, et nous appliquons notre savoir faire du spectacle. On a aménagé dans le sous-sol de la galerie un petit salon kitsch oriental. Les spectateurs sont assis et peuvent regarder tranquillement les vidéos.
La galerie, c’est mieux que l’appartement ?
Au bout de cinq ans de diffusion, on manquait d’air frais. Nous avions envie d’essayer autre chose. De son côté, la galerie éof voulait s’ouvrir sur ce type de programmation. En déménageant, nous avons appris que la réussite des Thés Vidéos tient sur deux principes fondamentaux : la régularité et la constance.
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