Eloigné de son groupe pour cause de confinement, le leader de J.C. Satàn déboule avec un album pop citant Beatles, Kinks et tutti quanti, mis en boîte solo durant le confinement. Rencontre à Montreuil, entre deux cartons de vinyles.
“Viens à Montreuil, c’est la Californie”, nous avait-on dit. Il est vrai qu’avec un effort d’imagination, la rue de Romainville a quelque chose de Melrose Avenue, côté West Hollywood/Fairfax. Le genre d’artère où les façades des boutiques se succèdent sans laisser présager qu’il se manigance dans les arrière-cours des choses carrément louches.
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Pas de friperies tendances ici pour autant, ni même de revendeurs de trucs vintage, mais des maisonnettes en rang d’oignon, parmi lesquelles se niche le quartier général du label Born Bad Records. Dans le garage qui donne sur la rue parallèle, deux vieilles bécanes dorment sous des bâches un peu crades et les étagères plient sous le poids du stock de vinyles de la maison de disques. La clope au bec, Jean-Baptiste Guillot, fondateur de l’écurie rock made in France, charge sa camelote dans un camion DHL en partance pour on ne sait où, tandis qu’Arthur Satàn pose ses fesses dans un fauteuil défoncé. “Je suis venu de Bordeaux pour parler à deux journalistes et chourrer des disques à J.B.”, nous rencarde-t-il. Romain, son batteur, toujours dans les parages, se marre.
Le Lil Wayne du garage-rock hexagonal (rapport à sa constellation de tatouages) sort ces jours-ci So Far So Good, un album mis en boîte solo dans sa piaule pendant la période du confinement. Sorte de plongée dans les méandres des références sixties d’Arthur (Les Beatles, les Kinks, le patrimoine de l’humanité, en fait), le disque porte en lui l’ambition de faire sonner cette nouvelle collection de chansons bien lustrées en classiques instantanés. Rencontre.
Ça roule, Arthur ?
Arthur Satàn – Pas trop, je suis tombé à vélo il y a quatre jours et je me suis explosé la tête. J’ai mal aux épaules.
Tu t’apprêtes à sortir So Far So Good, ton premier album solo. Tu veux nous en dire un mot ?
C’est le premier, même si ça ne donne pas trop l’impression que c’est un truc solo, parce que je l’ai enregistré de la même manière que j’ai fait d’autres disques. Sauf que, là, il n’y avait vraiment personne autour de moi pour me dire si c’était nul ce que je faisais.
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Ça veut dire que tu as joué tous les instruments qu’on entend dessus ?
J’ai tout fait tout seul. La pochette, les instruments, il n’y a pas un truc que je n’ai pas fait tout seul. Je travaille aussi sur un clip, je le fais tout seul, avec juste un peu d’aide de Romain (batteur de J.C. Satan, ndlr). Ça va être l’occasion de voir les limites de ce qu’un individu peut faire solo parce qu’il y a moyen que cette vidéo ne soit pas ouf.
Quand J.B. te proposait de passer à l’usine tout à l’heure, c’est parce que tu comptes aussi presser tes vinyles tout seul ?
J’ai délégué un peu sur ce coup, mais je peux envoyer les disques s’il le faut et faire un peu de charpente.
Quand tu dis que “ça ne donne pas trop l’impression que c’est un truc solo, parce que je l’ai enregistré de la même manière que j’ai fait d’autres disques”, ça veut dire quoi, sachant que tu as l’habitude d’officier au sein d’un groupe ?
Quand on faisait Satan, moi j’écrivais déjà la musique et Paula (chant) écrivait les textes. Ensuite, on mixait avec Dorian (clavier), mais dans l’idée, j’ai écrit et composé ce disque comme je le fais déjà depuis des années. Donc ce n’est pas si bizarre. En revanche, là, je n’avais aucun recul, j’ai fait ce disque dans ma piaule pendant le confinement. J’ai un avantage, c’est que tout le matos qu’on a acheté avec Dorian – des trucs super – est dans ma chambre. J’ai donc pu enregistrer avec des trucs vraiment bien. Aujourd’hui, je dois dire que je vis moins bien, je respire mal, je dors mal, il fait trop chaud parce qu’il y a trop de machines, mais on peut mettre en boîte des trucs cool.
Quand tu as commencé à composer pendant le confinement, tu savais que tu voulais faire un disque ?
J’avais pas pensé à faire un disque, non. Mais j’ai fait ces morceaux qui sont devenus un disque. C’était pas mal, j’allais hyper vite.
Les gens savaient que tu bossais sur des morceaux ?
“Les gens savaient.” C’est pas comme si les gens en avaient quelque chose à foutre de savoir ce que je fais quand je suis tout seul chez moi.
Les membres de ton groupe, par exemple, savaient que tu composais ?
C’est vrai que j’en n’ai pas trop parlé parce que, même moi, je ne savais pas que je préparais un disque. Je me suis surtout fait plaisir. Ces morceaux, c’est un peu des influences que j’ai depuis toujours et que je n’ai pas trop eu l’occasion de ressortir plus tôt. Quand j’ai commencé à faire de la musique, j’ai tout de suite foncé dans des trucs plus garage et punk, des genres qui laissaient un peu moins de place aux arrangements et aux chœurs. Les Beatles, les Kinks sont des trucs vers lesquels je suis allé naturellement cette fois. Je postais ensuite au fur et à mesure sur SoundCloud. Pour moi, c’est comme ça qu’on termine un morceau. En le publiant quelque part. Au moins, tu reviens plus dessus.
T’es plutôt du genre révisionniste sur ta musique ?
Non, pas du tout, et puis là, tout est allé hyper vite. Un morceau, ça me prend en général entre un et 3 jours max. Entièrement. Avec moi, c’est ultra instantané. Tu trouveras sur ce disque des chansons qui ont été faites en une journée, des paroles jusqu’au mixage. C’est souvent sous ma douche ou à vélo que j’ai l’idée. Je commence à chanter et une mélodie me vient, puis la batterie arrive dans la foulée et tout se met en place. Donc je peux vite poser.
Quand as-tu décidé d’appeler J.B. pour sortir ce disque ?
J’avais des retours assez cool des gens et moi j’étais content de mes morceaux. Ça correspondait vraiment à un truc que je n’avais jamais vraiment sorti, alors je me suis dit qu’il fallait essayer. J’étais quasiment sûr que J.B. ne serait pas intéressé, parce qu’il n’aime pas les Beatles. Donc c’était mal barré.
Il n’y a pas que les Beatles non plus sur ce disque, même si l’on parle ici d’un disque pop aux références clairement sixties et anglo-saxonnes.
Non, il y a de tout. Mais c’est le côté très arrangé, du Kinks, T. Rex. L’idée, c’était de revenir aux fondamentaux. Pas forcément un disque que tu imagines sur Born Bad.
Quand même, des beaux trucs, avec des beaux arrangements, il y en a sur Born Bad. Je pense à Julien Gasc.
C’est vrai, mais Julien s’inscrit plus dans un truc français années 70, qui correspond déjà plus à Born Bad.
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En réécoutant J.C. Satan, on trouve déjà des traces de volonté de faire de la pop bien lustrée. Je pense à des morceaux comme In the Light (2011). Tu avais aussi déjà sorti quelques titres en solo dans cette veine sixties, introuvables aujourd’hui.
Je ne sélectionne pas mes influences en fonction du groupe, c’est toutes les influences qui font les morceaux. C’est la même base tout le temps. Après, le truc c’est plutôt de savoir comment ça sort et comment ça s’inscrit dans un projet. Les trucs hardcore que j’écoute ne sont pas apparus ici.
Tu cherches une forme de cohérence d’un projet à l’autre ?
Disons que, être Satan, ça impose ses propres limites. Il arrive un moment, pour que le groupe reste comme il est et qu’il continue de sonner comme il sonne, je pose des limites quand j’écris et compose. Sinon, ça devient autre chose. On peut se permettre des ballades, notamment avec la touche de Paula. Sur ce disque solo, on touche une certaine limite, que je voulais exploiter en dehors du groupe.
T’avais envie de faire des choses plus instrumentales aussi ? On a l’impression que si le disque avait duré cinq morceaux de plus, il serait parti en impro orchestrale totale.
C’est exactement ça. La petite interlude qu’il y a avant le dernier morceau, The Nap, est issue de maquettes que j’avais faites pour une bande-son de court-métrage. J’adore la musique de films. J’adore en faire et en écouter. J’ai même tendance à écrire des fausses B.O. La fin de cet album, ça vient de ça. Je voulais finir avec un enchaînement de deux morceaux, avec une espèce de synthé qui envahit et l’autre qui devient un instrumental qui évolue.
The Nap, c’est peut-être le morceau qui se rapproche le plus de ces références hexagonales seventies dont tu parlais. Plus François de Roubaix.
Là, tu me cites des gens que j’admire totalement. Après, de Roubaix avait des influences anglo-saxonnes, rythmiquement et dans les batteries notamment. Il y a carrément de ça là-dedans. De là à dire hexagonale, je trouve ça réducteur.
On ne va pas tout ramener à cela, mais So Good So Far convoque des références très populaires, de Beatles à Scott Walker. Quelle était ton ambition en t’aventurant sur ce terrain patrimonial ?
Ce disque me vient de la façon dont je veux retrouver les années 60 dans la musique aujourd’hui. Je suis peut-être le seul à penser comme ça, mais dans les années 1990-2000, il y avait beaucoup de clichés sur les sixties en musique. Les groupes qui y sont retournés, après les Fuzztones et tout ça, avaient des vibes fuzz, avec une tendance à reprendre des trucs à la The Music Machine. Ce sont des groupes géniaux, naturellement, mais on semblait oublier les trucs les plus connus. Comme si on les connaissait tellement, qu’on pouvait se permettre de passer à côté. Alors que, pour moi, les plus grands morceaux des années 60 ne sont pas les plus obscurs : ça reste les Kinks, les Beatles, le Velvet. C’est bête à dire, mais je voulais revenir à ça ; les compiles que t’écoutes avec ton père quand t’es gosse. Les tubes à la Scott McKenzie, San Francisco, tout ça.
Romain, ton batteur, intervenait tout à l’heure pour dire que chaque chanson de ce disque te ramenait à un souvenir d’enfance. Tu as beaucoup pensé à cette période ?
J’ai réalisé ça plus tard, ce n’est pas aussi simple. Le truc des compiles de mon père, j’y ai vachement pensé en revanche. Il m’emmenait à l’école en primaire en foutant des cassettes dans la bagnole : le “Double Bleu”, le “Double Rouge” des Beatles, et d’autres trucs à la con que tu chopais pour rien avec des morceaux sixties et seventies. Tu croisais les Shocking Blue, Dusty Springfield, tous les énormes tubes à la Canned Heat. Le genre que tout le monde connaît, sans forcément connaître le nom des groupes. Et chacun des morceaux de mon disque me rappelle un peu une de ces chansons. Il y a toujours un petit truc.
Tu crois qu’à un moment, les gens étaient trop snobs pour citer les Beatles ?
J’espère que non. J’ai pas non plus envie d’être celui qui juge la société musicale et les sphères où l’on évolue. Je ne sais d’ailleurs même pas si on peut appeler cela du snobisme. Je vais te dire : plus on va loin dans un domaine, plus on découvre aussi des choses plus obscures qui sont magiques. Regarde, moi j’ai découvert Michael Yonkers, que Sub Pop avait réédité, c’est un mec hallucinant ! C’est fabuleux de découvrir des types comme lui. Mais ce qu’on découvre, c’est aussi les ramifications des talents de tous ces gigantesques groupes qui ont influencé ces mecs.
Tu penses que la pop aujourd’hui manque de caractère ?
Disons que le seul problème que j’ai, c’est que dans la musique aujourd’hui, on a tendance à ne plus mettre l’ambition des grands groupes dedans. Et parfois, à foncer exactement vers le côté obscur, qui est fascinant et unique, que les gens connaissent moins, mais de temps en temps, quand on parle de pop, les morceaux ont tendance à perdre en magnificence. J’ai envie de retrouver l’esprit des Kinks, qui peuvent enchaîner 4 morceaux différents sur un disque, mais qui possèdent tous des arrangements et des mélodies hallucinants.
Tous ces groupes iconiques dont tu parles enregistraient dans des studios luxueux, toi tu étais dans ta piaule finalement. C’est très ambitieux, justement.
J’ai dû repenser un peu ma façon d’écrire de la musique, un truc que je n’aurais pas forcément fait si je n’avais pas été enfermé chez moi. En général, tu prends une guitare, tu plaques trois accords, tu chantes dessus et, en gros, tu as ton morceau. Récemment, j’ai commencé à écrire en partant des sons. Par exemple, un son de fuzz un peu étrange me donnait l’idée d’un riff. Et là, j’ai carrément commencé à écrire avec des instruments dont je ne joue pas, genre du piano. Il y a d’ailleurs peu de guitares sur ce disque, même si j’ai rajouté une folk en fond. Techniquement, c’était histoire de mettre un peu de rythmique pour appuyer les coups de caisse claire. Mais basiquement, c’est que du piano, du Rhodes, des synthés, du travail de percussions, des trucs comme ça.
D’où le gros travail sur les arrangements ?
Oui, parce qu’une fois que tu enlèves les bases, il te reste le décor à trouver. Il faut arriver à monter les bonnes fondations. C’est cette méthode qui m’a aussi rapproché des morceaux à la Kinks et de cette façon de penser les arrangements de façon plus ambitieuse. C’est beau de voir une chanson se construire comme ça.
Prenons les Beatles. Quelle période as-tu le plus écouté en faisant ce disque ?
J’ai vraiment tout écouté. Mais ce que je préfère des Beatles, c’est quand ils changent le monde à partir de Revolver (1966). C’est le moment où ils n’enregistrent plus comme avant et qu’ils apprennent tout à tout le monde. Ils sont les premiers à avoir des amplis que personne n’avait, ils raccrochent le micro de la grosse caisse alors que c’était interdit jusque-là et c’est la naissance du son moderne qu’on entend encore aujourd’hui. Cette période est fascinante. Mais même au début, quand ils faisaient des reprises, ils avaient déjà des idées d’arrangements, de chœurs, des passages d’accords qui détonnent, parce qu’à l’époque, les choses restent encore très formelles.
Quand tu as fait écouter tes morceaux, tu cherchais l’approbation des gens avec qui tu travailles d’habitude ?
Pas du tout. Dans Satan, ils donnent leur avis, mais tu sais, moi je ne leur demande pas hein (il se marre). En revanche, si quelqu’un trouve un morceau nul, je ne bataille pas, je le vire. Dans l’idée, je peux rater un truc, mais ça veut juste dire que je n’ai pas réussi à retranscrire l’idée que j’avais dans la tête. Du moment où j’arrive à retranscrire cette idée, j’aime le morceau que j’ai fait. Il n’y a aucune prétention là-dedans. Quand on est musicien, on écrit la musique qu’on a envie d’écouter. Je sors des disques que j’ai besoin d’entendre.
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Pourquoi avoir tant attendu avant de faire l’album que tu avais envie d’entendre depuis si longtemps ?
Peut-être que la raison pour laquelle je ne m’étais pas lancé dans un disque comme celui-ci, c’est parce que je n’en étais pas capable techniquement. C’est un disque que je voulais propre, pour mettre en avant plein de détails dans la musique. Je n’aurais pas pu le faire comme je fais un disque garage. Dans le garage, t’as plein de groupes qui écrivent des chansons hallucinantes, mais la production typique du genre te fait passer à côté de certaines choses, au profit de l’énergie du morceau. Mais j’étais dans ma chambre, confinement oblige, j’avais donc quand même quelques limitations techniques. Je n’ai pas pu enregistrer de vraies batteries, par exemple. C’est dommage, mais je ne reviens jamais en arrière.
Mettre en boîte un album pop, avec de grandes orchestrations, façon Vannier/Gainsbourg, c’est un truc qui te brancherait ?
C’est mon rêve, mec. Vannier je lui demande de sortir de la pièce et c’est moi qui dis aux gens quoi faire (rires). Mais je n’ai pas les moyens de me payer ça. En revanche, ce disque, c’est une preuve qu’on peut pallier un peu cela. Le manque de moyens, tu le compenses en mettant beaucoup d’ambition dans ton morceau. C’est ce qui te pousse à trouver des idées. C’est pas parce que t’as un bon riff, que t’as un bon morceau. Avec l’expérience, c’est la façon dont tu arranges ta chanson qui va faire de toi un musicien différent des autres. D’ailleurs, il faudrait vérifier, mais sur ce disque, ça ne serait pas étonnant qu’il y ait au moins 3 morceaux basés exactement sur les deux mêmes accords et qui ne se ressemblent pas du tout.
C’est un disque que tu as envie de jouer sur scène ?
On est en train de répéter avec une partie de J.C. Satan et d’autres musiciens, pour l’instant on ne joue que 5 morceaux. L’idée, c’est que… je fais mon disque, mais on reste un vrai groupe. Quand tu fais un truc solo, il faut que les gens qui jouent dedans se sentent impliqués et prennent du plaisir. C’est pour ça que ça va être un vrai groupe, avec sa propre vision des morceaux. Il me tarde de moins parler et de jouer.
So Far So Good d’Arthur Satàn (Born Bad Records)
En concert : samedi 21 août, à la Route du Rock (St. Malo)
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