L’emmerdeur. Entre Phil Spector et Salvador Dali, Lee Scratch Perry aura été le génial instigateur de la révolution dub et le fournisseur du meilleur reggae des années 70. Le reggae, à ses débuts, n’était qu’un bon gros néléphant naïf qui trouva en la personne de Lee Scratch Perry un cornac avisé, résolu à faire le […]
L’emmerdeur. Entre Phil Spector et Salvador Dali, Lee Scratch Perry aura été le génial instigateur de la révolution dub et le fournisseur du meilleur reggae des années 70.
Le reggae, à ses débuts, n’était qu’un bon gros néléphant naïf qui trouva en la personne de Lee Scratch Perry un cornac avisé, résolu à faire le spectacle. Cet ancien joueur professionnel de dominos apprit à l’aimable pachyderme à marcher en cadence, à tourner en rond élégamment, mais aussi à faire le pitre, à charger avec des mouvements de trompe véhéments. Il le repeignit en jaune, en vert, en rouge et y ajouta aussi du rose, car comme chacun sait, les éléphants roses forcent l’admiration du voyageur habitué à courtiser les frontières du réel. Certains poussent la théorie des origines jusqu’à considérer People funny boy comme le premier morceau de reggae à proprement parler, arguant que l’écrasante lenteur, l’inertie sensuelle propre à cette musique, Perry la rendit incontournable dès la fin des années 60 après avoir assisté à une séance de pocomania dans une église de Trenchtown. Ce rite afro-jamaïquain utilise une forme de respiration bruyante, forcée, et l’hyperventilation qui en résulte conduit à la possession du sujet.
Que l’esprit de Perry puisse être soumis à de fortes turbulences, tous ceux qui eurent loisir de l’approcher peuvent en témoigner. Parmi ses plus fameuses facéties, on recensera l’épisode de la destruction de son studio Black Ark à coups de masse ou la production de son membre viril lors d’une interview télévisée en Angleterre. Produire aura donc été le maître mot de ce petit homme sec et farfelu. Car n’étant ni vraiment chanteur ni tout à fait musicien, c’est par le son et la syncope que Perry, également surnommé The Upsetter, « le fouteur de merde », construisit son empire qui, tout virtuel qu’il soit, étend aujourd’hui ses flancs partout où la culture dub, drum’n’bass ou trip-hop, est en vigueur.
Sa modernité est autant technique le son comme matériau, la console comme instrument que conceptuelle. Perry est celui qui réintroduisit l’Afrique dans la musique jamaïquaine. Non seulement la pluralité rythmique mais aussi la résonance culturelle et philosophique que l’écho omniprésent dans le dub incarne physiquement. Sans lui, Bob Marley serait peut-être resté une flèche orpheline de son arc. Les puristes citent l’association entre Perry et les Wailers comme la phase la plus inventive et révolutionnaire dans la carrière de Marley, soulignant combien des titres cruciaux tels que Small axe ou Duppy conqueror furent le fruit d’une collaboration intégrale entre les deux hommes, qui ne cessa pas avant 1978.
Ce coffret de 3 CD esquive les faces Marley autant pour raison contractuelle que par souci d’accorder aux autres interprètes la place qu’ils méritent. Preuve de son génie, Perry a toujours su produire les gens qu’il fallait. Les voix soyeuses et élégiaques de George Faith ou de Junior Murvin, le clair phrasé militant d’un Max Romeo, le toasting acide et truculent d’un Mickey Dread montre que Perry pouvait cultiver plus d’une rose dans son jardin. Avec le souci constant de les offrir toutes épines dehors. Car c’est à une relecture complète de la thématique rasta mais également de la chronique des événements politiques, sociaux et culturels de la Jamaïque des années 70 que ce recueil nous invite. Police & thieves demeure le meilleur commentaire sur la violence politique qui précéda les élections générales de 76 ; One step forward isole parfaitement l’hésitation chatouillant alors les esprits : se résoudre à adopter le style de vie à l’européenne ou se tourner vers les racines et l’Afrique.
Ici, on prévient le diable qu’on va lui donner la chasse, on annonce le règne prochain de Rastafari et surtout on fait la peinture du petit peuple prisonnier d’une réalité confuse, violente et misérable. Perry savait pourtant échapper aux lourdeurs du dogmatisme et de la rhétorique en composant autour d’une syncope immuable cet univers sonore chatoyant, lyrique, tout à fait excentrique qui a su échapper à la rouille du temps. Il avait une façon bien à lui de créer de l’infini avec de l’immobile, de dilater le son comme un gros Malabar jamais essoré de son sucre et de faire voler les néléphants.
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