Enfant du désordre, le Californien Ariel Pink livre un album inespéré, à la fois rétro et futuriste, bordélique et méticuleux.
Dans la version commentée de Magical Mystery Tour, bonus du film paru cet automne en DVD, Paul McCartney fait cette confidence à propos de la chanson finale Your Mother Should Know : « Je voulais rendre hommage aux comédies musicales que nos parents écoutaient et que nous avions l’habitude d’entendre enfants, même si nous avions pris nos distances avec ce style en nous plongeant dans le rock’n’roll. » McCartney, qui a toujours refusé de valider cette notion – fallacieuse selon lui – de « fossé des générations », pourrait compter parmi les nouveaux fans d’Ariel Pink, artiste énigmatique qui excelle dans un art qu’il a lui-même baptisé « retrolicious », après compression des mots « retro » et « delicious ». S’il existe un lien entre l’ex-Beatle au parcours contrasté – adepte des théories avant-gardistes de John Cage et auteur de chansons outrancièrement commerciales comme Ob La Di, Ob La Da – et le gars Pink, c’est d’abord dans ce rapport intuitif et décontracté qu’ils entretiennent avec leur passé respectif.
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De son vrai nom Ariel Marcus Rosenberg, né en 1978 à Los Angeles, Ariel Pink a grandi dans un environnement sonore d’une luxuriance et d’une diversité inouïes. La fin de la décennie 70 et le début de la suivante constituent à n’en pas douter une séquence particulière dans l’histoire de la pop. Un moment à part, qui ne s’est jamais reproduit depuis, où le clivage entre mainstream et innovation tend à s’estomper. Où Fleetwood Mac, AC/DC, The Clash, Michael Jackson, The Police, Chic, Bob Marley, The Cure ou Talking Heads séduisent autant les mélomanes exigeants que le grand public. Dès lors, on peut imaginer à quoi ressemblait l’enfance d’Ariel Pink, voire spéculer sur ce que fut sa gestation dans le ventre d’une mère exposée à un faisceau de vibrations aussi hétérogènes que bienveillantes.
Lui-même évoque son éducation en des termes qui deviennent éclairants sur sa démarche actuelle, lorsqu’il dit par exemple avoir eu « MTV pour babysitter » et vouloir retrouver à tout prix la plénitude et l’aura d’innocence que lui procurait ce média nounou, alors balbutiant, à travers ses propres créations. Outre ce qu’elle véhicule de contenu affectif, de nostalgie diffuse d’un paradis perdu, la musique d’Ariel Pink bluffe par sa maniaquerie. Il y a définitivement de l’obsédé chez ce garçon qui affirme « Le passé est tout ce que l’on a. Le futur est chiant » et compose des chansons comme si l’enjeu était de reconstituer pour chacune d’elle un miroir qui se serait brisé en tombant du mur de la salle de bains, dont il s’évertue à vouloir recoller les morceaux quitte à ne pas y parvenir tout à fait. Dans cette psyché sonore raccommodée, dans ce reflet rapiécé d’autrefois, les fans incurables, les insatiables pour qui la musique est cet élément vital « qui vous abreuve et vous assoiffe en même temps », comme l’a si bien décrit Toni Morrison, se reconnaissent et se découvrent autres.
Cette recherche quasi proustienne du temps perdu occupe Ariel Pink depuis ses 16 ans, âge où il a commencé à enregistrer sur cassette ses oeuvrettes à l’aide d’un matériel analogique de fortune. Au total, il revendique cinq cents chansons inédites, bricolées chez lui, sur lesquelles il a joué les percussions le plus souvent avec la bouche pour ne pas déranger les voisins. Depuis, il y a eu Doldrums, un vrai premier album pour le label Paw Tracks d’Animal Collective, suivi d’autres productions qui confinent à l’exploration d’un parc d’attractions par un Oui-Oui continuellement émerveillé, prisonnier volontaire d’un never-ending Magical Mystery Tour.
Avec les albums Before Today et surtout le nouveau Mature Themes, Pink est passé à l’étage supérieur. Il a rejoint le label 4AD, inlassable fournisseur de friandises indie depuis plus de trente ans, et s’est entouré de Haunted Graffiti, groupe l’exemptant d’un recours par trop insistant aux manipulations du studio. Il s’évite du même coup la pratique du pillage sonore systématique à la groove diggers, charognards qui se repaissent des musiques enterrées, totalement incompatible avec cette quête d’innocence dont Ariel Pink est aujourd’hui le héros postmoderne, comme avant lui le Todd Rundgren de A Wizard, a True Star ou le Beck de Stereopathetic Soulmanure.
Si un esprit souffle sur ses chansons bizarroïdes, lui évitant l’embaumement de l’exercice de style, c’est bien celui tendre et ironique du Zappa des premiers Mothers Of Invention, et en particulier de l’album Cruising with Ruben & The Jets. Une inclination qui frise la contrefaçon sur Schnitzel Boogie. Sauf que là, comme ailleurs, par exemple lorsqu’une ligne de basse ou une mélodie deviennent trop ressemblantes, Ariel plaide… l’innocence. En fait, on est prêt à tout pour suivre ce zinzin dans les méandres de sa folie mélomanophage. On est prêt à tout pour voir à nouveau la vie en rose.
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