Informé par le passé, notamment la soul, mais perturbé par une production impossible, un cinquième album très bluffant. Critique et écoute.
Dans la pop anglaise, c’est souvent le festival de la grande gueule : ça pérore chez les pécores, ça crâne et ça délire, ça cite dans la même phrase Scott Walker, Beyoncé et le Velvet, sans que jamais la musique ne prenne en compte ces informations. Mais de Damon Albarn à Alex Turner, il arrive que disques et discours se rencontrent, se complètent, aussi audacieux les uns que les autres.
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Alex Turner a 27 ans. Un âge où Leonard Cohen n’avait encore enregistré aucune chanson, où James Murphy n’avait pas encore démarré LCD Soundsystem, mais où lui a déjà gravé cinq albums avec les Arctic Monkeys, un avec The Last Shadow Puppets et un dernier pour la magnifique BO de Submarine. Là où cette frénésie ne pourrait être qu’impatience, éjaculation précoce, elle révèle au contraire un cheminement patient vers une écriture de plus en plus complète, voyageant avec tous ses bagages, sans jamais perdre de sa fougue, de sa gourmandise.
AM se joue à une lettre près d’âme, et ce cinquième album n’en manque pas. Comme il regorge, sous ses airs revêches, de sa traduction anglaise : soul. Car c’est bien dans cette matrice humide des musiques de bassins et de hanches qu’est allé se lover ce rock cagneux, teigneux. Quand on parle de soul music, on n’évoque pas ici les petits commerces chic d’antiquités qui fleurissent un peu partout sur la tombe d’Amy Winehouse mais d’un esprit, dégondé, déluré, dévié, détourné vers un rock qui n’hésite pas à taper lourd, glam parfois. Car AM a beau être souillé par la musique du diable et de sa femme, l’album n’y fait que de très rares références implicites, comme par exemple l’étonnant slow old-school N°1 Party Anthem ou des pistes d’orgue qui font du bien au ventre.
Le prodige, ici, est d’avoir su canaliser toute l’énergie des Anglais en un luxe sonore très américain, très seventies, très désuet, mais perturbé jusqu’au miracle par les irruptions constantes de 2013, une rythmique r’n’b ici, un riff stoner à peine peigné là. Gloire soit donc rendue une fois encore à James Ford (Simian Mobile Disco) et à un Alex Turner de plus en plus présent du côté sombre de la table de mixage pour cette production dingue, irrationnelle, ces “mad sounds” comme le dit un titre. Cela dit, c’est facile d’ainsi s’amuser avec son kit Génétique 2000 quand on a à sa disposition des cobayes aussi robustes, vivants, intraitables.
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