Fondé en 2012, Antinote fouille internet et les archives pour dégotter de petites perles électroniques. Rencontre avec son fondateur et directeur artistique Zaltan, qui nous décrit la situation de son label en 2015.
D’où vient le nom Antinote ?
Nous avons créé le label avec Gwen, alias Iueke, parce que nous avions de la musique à diffuser. A l’époque, nous n’avions pas de nom et c’est Iueke, qui fut aussi la première sortie, qui l’a trouvé, mais il n’y avait pas vraiment de concept derrière tout cela.
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Qui s’occupe du label ?
C’est moi. Nous avons conçu Antinote autour des archives cassette techno de Gwen. S’est joint à nous Nicolas Motte, qui fait toutes les pochettes sous le nom de Check Morris. C’est un duo, mais c’est surtout Nicolas qui travaille avec nous. Clairement, on fait le label à deux. Je fais la direction artistique musicale, et lui s’occupe de la partie visuelle. Antinote n’a pas vraiment de sens sans Check Morris.
Pourquoi avoir fondé un label ? Pensais-tu être le seul à pouvoir sortir le travail de Iueke ?
C’était un challenge de sortir sa musique car il était très frileux. Il avait des propositions mais il gardait ses cassettes pour ses proches. C’est un peu le “summum” de l’underground de rester sur des réseaux confidentiels, de se les échanger, et de rester sur ce réseau de “happy few”. Il a dû sortir quelques disques mais à chaque fois à trente exemplaires, ce qui ne fait pas grand-chose. Il m’a fallu beaucoup de temps pour avoir accès à sa musique, il a fallu que je le travaille tous les jours pendant quatre mois. Et pas au téléphone, je passais mes journées avec lui…Iueke n’a pas fait que trois morceaux, il a véritablement un sac rempli de cassettes de techno qu’il a enregistré pendant quelques années. Il est aujourd’hui très content que sa musique soit sortie.
Au début, on présentait Antinote comme un label dénicheur de pépites oubliées ou méconnues : c’était une volonté dès le départ ?
Nous avons créé Antinote avec la musique de Iueke sans autres plans derrière. Je n’avais pas de vision. Une fois qu’on a donné toute notre énergie pour sortir ce premier disque, l’idée était, comme Iueke avait un réseau d’amis musiciens à Londres, de chercher des archives. Non seulement cela ne s’est jamais fait, mais j’ai en plus recroisé Antoine Kogut qui s’occupe maintenant de Syracuse. Il m’a fait écouter des démos, et je me suis dit qu’il fallait qu’on en fasse quelque chose. Nous avons donc fait cette deuxième sortie, qui n’avait rien à voir avec la première.
C’est là que les embrouilles ont commencé. Antinote avait attiré l’attention avec le disque de Iueke, parce qu’il y avait une véritable histoire et que c’était un OVNI, même pour les amateurs de techno. Cette deuxième sortie était très différente, les gens se demandaient où je voulais en venir, et encore une fois, je disais que je n’avais pas la prétention d’avoir une ligne quelle qu’elle soit. Albinos, qui est un vieux pote, avait lui aussi fait de la musique qui circulait sur cassette. Je lui ai dit qu’il fallait absolument qu’il fasse un projet pour Antinote, et tout s’est enchainé jusqu’à ce qu’on monte cette petite équipe.
En exclusivité, un extrait du live de Syracuse en son multicanal pour l’émission Séquences, qui sortira le 23 avril.
Beaucoup parle d’éclectisme quand on voit les artistes du crew Antinote : en tant que directeur artistique, ne vois-tu pas de points communs entre les membres de ton écurie ?
« Eclectique » n’est pas un mot qui me séduit. On dit d’un DJ qu’il est éclectique et heureusement qu’il écoute plein de choses différentes. Dans la bande, nous avons des goûts musicaux pluriels. Pour la ligne d’Antinote, je préfère la qualifier d’ “éclatée”. Est ce qu’il y a des points communs ? Il y a en tout cas des atomes crochus puisque l’on se connait, et que l’on s’apprécie tous. Je ne pars pas avec un dénominateur commun pour toutes les sorties et c’est peut-être cela qui va garder la fraîcheur d’Antinote.
Tu ne te vois pas du tout sortir un « one-shot » ?
L’idée d’une sortie unique ne me séduit pas du tout, à part si c’est un projet éphémère, comme la collaboration de deux artistes. Je ne travaille pas avec des musiciens qu’on pourrait présenter comme “identifiés” : je sors à chaque fois le disque #01 d’un artiste. On part du point zéro, je ne fais pas appel à des musiciens renommés pour attirer les projecteurs. A partir du moment où je prends tous les risques sur un nouveau nom, il vaut mieux que je parie sur un travail à long terme. J’espère ensuite pouvoir en garder un plus grand nombre. Ce n’est pas évident, d’un point de vue humain, parce que c’est difficile de travailler à long terme avec des gens. Antinote est en plus un petit label : on déniche des nouvelles têtes, et une fois que tu as un artiste qui a fait ses preuves, il se fait souvent repérer par plus gros.
Avec le choix de sorties en vinyle, de la sérigraphie, qui n’amène évidemment pas de grosses séries, tu vois Antinote rester ce label “confidentiel” ?
Au début, Antinote était clairement un label de niche. En tant que collectionneur de disques, j’apprécie les choses rares. En partant sur cette quête d’une musique dont on ne veut sortir que 300 exemplaires sérigraphiés, c’est évident que j’étais dans une vision assez prétentieuse d’“ultra-underground”. Je ne regrette pas du tout, je trouve que les premières sorties sérigraphiés sont magnifiques. J’ai pourtant très vite évolué : à la fabrication, cela coûte une fortune et je n’ai pas les finances nécessaires pour faire tourner un label à perte pendant dix ans. A priori, si j’ai monté un label, ce n’est pas pour que ce soit trois amis qui l’écoutent. Le départ d’Antinote était élitiste: aujourd’hui, je souhaite vendre le plus de disques et de digital possible. Je défends des artistes et je souhaite qui soient écoutés par le plus grand nombre. Mais je garde l’appellation “niche” car je ne pense pas faire des morceaux FM.
Tu sors tout en vinyle : est-ce important pour toi ?
Il n’y avait pas de sorties digitales aux débuts d’Antinote, je ne l’ai intégré qu’après. Pour moi, la musique n’existe pas si elle n’est pas fixée sur un support et mon support de prédilection, c’est le disque. Culturellement en tout cas, Antinote c’est le vinyle et il n’y aura jamais de sorties exclusivement en digital. J’ai besoin de toucher, sinon je n’y crois pas.
A combien d’exemplaires sont éditées tes sorties ?
500, et on represse si il y a plus de demandes. Beaucoup de labels commencent à 300, certains à 100 pour ne pas trop se mouiller et avoir une carte de visite, ce qui est dommage parce qu’une fois que tu te mets des copies d’archive et que tu en donnes à tous tes amis et bien tu n’en as plus.
Tu as une émission sur Rinse France : en 2015, faut-il attaquer tous les fronts pour faire survivre un label ?
La radio, c’est très important pour moi car je suis DJ, et avoir deux heures sur Rinse qui représente historiquement beaucoup au niveau de l’underground, c’est super. Cela fait vivre ma discothèque, ça me permet de mettre en avant les démos que je reçois, faire la promo de labels amis. Je peux en plus jouer de la musique que je ne peux pas forcément passer en club. Sur la deuxième heure, j’invite les artistes d’Antinote ou des amis proches. Je n’organise néanmoins pas de soirées, faute de temps. Je pense qu’il n’y a aucune obligation à faire tout ça, mais pour les petits labels en 2015, il faut inventer un business à chaque fois différent.
En tant que directeur artistique, tu veux continuer à chercher, ou tu peux choisir en faisant le tri dans toutes les démos que l’on doit surement t’envoyer ?
J’essaie d’écouter toutes les démos. Je fais le tri entre les envois à tout un répertoire et ceux qui viennent te chercher dans un but précis. C’est eux que j’essaie d’écouter. Antinote, c’est un label de quartier (le onzième arrondissement), français, parisien, imaginé avec des gens de mon entourage. Je relisais une interview où je disais que je ne me voyais pas du tout travailler avec quelqu’un que je ne connaissais pas personnellement. Pourtant, au début de l’année 2015, j’ai sorti la musique d’un tout jeune artiste japonais avec qui je parlais régulièrement sur internet. J’étais très frileux, mais je trouvais que sa musique était superbe. Le disque a été bien accueilli, et puis je le connais, finalement : c’est un e-pote. Le noyau dur d’Antinote sera toujours identifié comme un label local, avec un catalogue s’ouvrant à l’international.
Tu as rapidement été repéré par Resident Advisor, le magazine I-D t’a consacré un article… Pourquoi as-tu été à ton avis été plus rapidement repéré à l’international qu’en France ?
C’est quelque chose que je ne maîtrise pas et que je trouve super. Au bout de quelques sorties, Resident Advisor est venu nous voir et le journaliste est resté dans le quartier pendant deux jours. Cela a donné un papier qui nous a beaucoup aidé. Je suis passé à zéro démos dans ma boite mail à dix par jour, c’était fou. On a eu directement aussi de la presse anglaise, sachant que pour des français c’est assez difficile de conquérir les britanniques.
Que penses-tu de cette frilosité française sur la musique électronique indépendante ?
J’ai l’impression qu’à Paris et en province, les gens sont ouverts et dansent sur beaucoup de morceaux obscurs. Une journaliste avait introduit une interview en disant que les gens écoutaient de moins en moins de musique : ce n’est pas vrai ! Je vais régulièrement dans des endroits à reculons et je me retrouve face à un public qui veut que ça aille dans tous les sens. Aujourd’hui, nous avons de gros promoteurs comme Sonotown, La Concrete, qui donnent du crédit à de petits artistes locaux, et j’ai l’impression que la validation à l’international n’est plus forcément nécessaire. Par contre, sur des choses peu lisibles comme Antinote, elle est indispensable.
Penses-tu qu’Antinote reste encore difficile d’approche ?
En 2015, je sors un nouveau nom japonais, qui fait une sorte de house psyché et sale, D.K qui fait quelque chose de très lumineux en mode décapotable californienne, Iueke qui arrive avec un disque plutôt costaud. J’ai ensuite des morceaux chill d’italiens d’une quinzaine minutes,et Geena qui arrive avec son quatrième disque de house barrée. Je n’ai pas envie de sortir la même chose à toutes les sauces, même si à chaque fois, c’est difficile de fédérer une audience. La seule que tu peux réunir, c’est un public curieux et prêt à te faire confiance.
Est-ce que tu vois une finalité dans Antinote ?
Si je pense à ça, je ferais des erreurs. La seule finalité qui me plairait, c’est de me retrouver dans une soirée, de me dire que le son est génial et de réaliser que c’est une sortie d’Antinote. Après, un label a une vie limitée. J’espère que ça va durer longtemps, mais je ne veux pas me retrouver dans 20 ans à défendre la même cause et me faire traiter de vieux con. Je tiens à garder une ligne fraîche, mais cela me semble peu probable. C’est ce qui me fait le plus peur, finalement : qu’on puisse coller une étiquette à mon label.
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