Figure marquante de la nouvelle scène techno parisienne, DJ résident à la Concrete et bientôt de passage au Weather Festival, Antigone parle avec nous de son ascension dans le milieu, de son passé d’enfant timide et de ce qui se passe dans sa tête quand il compose.
Antonin Jeanson a 25 ans, se fait appeler Antigone et a publié des ep chez Taapion, Dement3d ou encore Construct Re-Form. Le nouveau vient d’arriver via Token, et c’est toujours le même type de ravage mental – une techno qui n’en fait pas des tonnes, mais joue de la simplicité pour entrer finement dans les têtes et y foutre le bazar. Hypnotique, obsédante, froide et métallique (des mots que le garçon ne valide pas en bloc, on le verra plus bas), sa musique est déjà le son d’une scène, d’une époque.
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Une époque et une scène où un club, Concrete, et un festival, Weather, s’imposent au premier plan d’un grand mouvement d’émergence – celui du retour massif d’une techno sans concession, qu’un public de plus en plus large a décidé d’adopter. La semaine prochaine, du 4 au 7 juin, le Weather invitera Antigone pour deux prestations : le samedi, il sera en B2B avec Abdulla Rashim, et le vendredi, ce sera une création live inédite avec Zadig, Birth Of Frequency et Voiski. Pas mal, le programme.
Tu viens de publier Cantor Dust sur le label Token. Quelle est la nouveauté comparé à tes précédents ep ?
J’ai composé cet ep de façon moins mécanique. Il y a davantage de travail sur les structures et les textures de son. C’est plus organique. Avant, j’étais davantage tourné vers les mélodies.
On a tendance à te présenter comme un des nouveaux visages de la techno française, au même titre que des mecs comme François X, que tu connais d’ailleurs bien pour avoir travaillé avec lui. Tu penses quoi de cette étiquette ?
Ça fait toujours plaisir ! Pendant longtemps, la techno était un peu morte à Paris, et puis on est tous arrivés plus ou moins au même moment – j’ai vite rencontré Zadig, puis FX, qui avaient déjà des carrières mais qui ont commencé à prendre une nouvelle ampleur. C’était il y a environ 3 ans, avant même de se retrouver autour de la Concrete.
Comment expliquer la place centrale qu’occupe désormais la Concrete dans la techno française ?
C’est peut-être le seul club qui a laissé sa chance à la nouvelle scène. Je ne veux pas faire ma mauvaise langue, mais les autres avaient tendance à se reposer sur des noms déjà connus, et à placer leurs bandes d’amis en warm-up. Du coup, on s’est tous retrouvé à la Concrete, qui nous a ouvert ses portes. Quand je suis devenu DJ résident, j’avais encore un petit travail à côté. Je ne me prenais pas la tête, je n’étais pas du tout carriériste. Et puis c’est devenu un vrai travail. Ça s’est fait naturellement, donc c’est cool.
Comment as-tu vécu les années 2000, durant lesquelles, en France, la musique électronique s’est beaucoup détachée du purisme techno-house, à la façon du label Ed Banger ?
Il y a des choses que j’ai pu aimer, mais par la suite ça a pas mal stagné. Mais je n’ai pas trop mal vécu cette époque parce que j’étais plutôt du côté de la minimale, qui existait en parallèle. J’ai pris mes distances quand la minimale est partie un peu en tech-house… C’est là que je me suis vraiment orienté vers la techno, mais à l’époque il n’y avait pas de place pour cette musique. Ça n’intéressait pas beaucoup les gens. Aujourd’hui, il y a une nouvelle génération qui est plus ouverte à ça, qui a faim de cette musique. Je pense que des mythes du genre Berghain n’y sont pas pour rien dans cet appétit nouveau.
Peut-on y voir une institutionnalisation de la techno, qui a longtemps sommeillé dans l’underground ?
Ce n’est effectivement plus le mouvement obscur que c’était dans le passé. C’est devenu une musique reconnue, à part entière. Mais c’est également le cas pour d’autres musiques électroniques bien perchées : il y a un vrai public pour chacune d’elles. Même parmi les trucs les plus lo-fi. Il faut voir la quantité de gens qui se déplacent pour aller aux soirées du label L.I.E.S. ! Ça aurait semblé impossible il y a quelques années.
Est-ce qu’on peut parler d’une « famille » Concrete/Weather ?
Je pense que ce n’est pas tant une histoire de « famille » que de respect entre personnes qui veulent faire bouger les lignes. C’est pour ça que certains artistes sont récurrents dans la programmation du Weather, même si l’édition de cette année est très différente, avec des créations inédites… C’est un festival à part.
Tu y joueras en live avec Zadig, Birth Of Frequency et Voiski sous le nom Unforeseen Alliance. Comment est né ce projet ?
C’était dans les tuyaux depuis un moment. Et puis on a fini par trouver une date – à partir de là, on n’avait plus le choix, il fallait préparer ce live. Sur scène, chacun s’occupe de ses parties : Luc (Voiski – ndlr) fait les nappes, Sylvain (Zadig – ndlr) les boites à rythmes, Simon (Birth Of Frequency – ndlr) et moi les synthés…
Comment tu travailles quand tu es seul ?
Ca se passe dans mon petit studio. Je me contente de très peu, je ne suis pas quelqu’un qui aime avoir énormément de matériel. Je préfère avoir juste ce qu’il faut mais connaître par cœur ce que j’ai.
Comment as-tu découvert la musique ?
J’ai vécu aux Etats-Unis quand j’étais petit, et à l’époque où je suis revenu, en 1998, ma marraine bossait chez un label/disquaire qui s’appelait BPM. Elle m’a offert mon premier disque, un truc acid que j’écoutais en boucle par la suite. C’est plus tard, au collège, que j’ai vraiment commencé à acheter des disques, même si j’ai connu cette période, comme tout le monde, où j’écoutais des trucs nuls ! Ca prend du temps d’éduquer son oreille, il faut traverser des phases. Et puis j’ai un père qui joue de la guitare, qui écoute pas mal de jazz, et une mère qui est fan absolu de David Bowie… La musique a toujours été présente dans ma vie.
Tu étais quel genre d’enfant ?
Très timide, très réservé. En arrivant aux Etats-Unis, je me suis confronté à la barrière de la langue, et j’ai connu ça une deuxième fois quand je suis revenu en France. J’ai presque dû réapprendre à parler français. D’où le fait que j’ai eu tendance à m’enfermer dans la musique.
C’était devenu une sorte de refuge, de nouveau langage pour toi…
Exactement. Mais je n’ai commencé à composer que vers 16 ans. Et puis après mon bac, je n’ai plus fait que ça, je ne sortais même plus. La dépression m’a permis de me concentrer sur la musique, comme une sorte d’échappatoire.
Cette période a-t-elle influencé l’identité de ta musique ? Elle est assez sombre, froide, métallique…
Ah, je ne sais pas, j’ai toujours trouvé qu’elle était plutôt chaleureuse ! Un jour, on m’a dit un truc… On m’a dit que je faisais de la techno pour les filles. Je me suis dit : « Mais ouais, grave ! » J’adhère vraiment à cette idée. J’ai toujours aimé ce qui était mélancolique, romantique…
Quand on a rencontré François X en février, et qu’on lui a dit que sa musique était froide et sombre, il a eu la même réaction que toi : pour lui, c’était tout l’inverse. Comment tu expliques cette différence de perception ?
Je ne sais pas trop… Peut-être parce qu’on a trop écouté cette musique, on ne se rend plus compte de ce qu’elle provoque chez les autres. C’est peut-être la réverb qui donne cette impression… Quand tu écoutes ça en club, tu ne trouves pas que c’est chaud ?
Enveloppant, intimiste : oui. Mais pas vraiment chaud, non. Ça évoque plutôt des paysages industriels que la plage et les cocotiers, quand même.
(rire) Oui, de ce point de vue, c’est vrai. En termes de visions, ça me fait effectivement penser à des usines, ce genre de choses… Mais en termes de son, de ce que cette musique renvoie, je trouve ça profondément chaleureux.
Tu penses beaucoup de façon visuelle ?
Je réfléchis soit de façon visuelle, soit en termes de structures. Ou encore de couleurs. La visualisation des sons, je l’envisage comme une palette de couleurs. Mais ça dépend de l’exercice : si c’est un morceau plutôt onirique, je vais penser visuellement, en m’inspirant par exemple de films sci-fi des années 50 ; mais sur d’autres projets, comme ce que j’ai pu faire pour Token, je vais plutôt avoir tendance à travailler sur les textures et des mises à plat de sons.
Tu te considères comme synesthète ?
C’est difficile de savoir ce qui est naturel, humain, et ce qui relève de l’expérience. Pour ma part, je pense que ce genre de connexions vient plutôt de l’expérience individuelle. On a tous nos petites règles internes de perception.
Comment tu vois ta musique ?
Pendant l’instant de création, je vais souvent avoir une couleur dominante en tête, et à la fin du morceau, il y en aura plusieurs mélangées. Mais généralement, c’est plutôt le rouge qui ressort de ma musique. Le rouge et le noir. Surtout des couleurs sombres, donc. J’ai aussi, par exemple, un synthé qui produit des sons qui, pour moi, sont toujours bleus. Mais je suis sans doute le seul à le voir comme ça.
Tu définis ta musique ? Si on te dit que tu fais de la techno, de l’ambient…
C’est aussi simple que ça. Techno. Ambient. J’adore cette musique. Je suis un fan absolu de Brian Eno et de tout ce qu’il y a derrière. Je pourrais passer des journées entières à écouter de l’ambient. En ouverture de mon nouvel ep, il y a mon premier morceau vraiment ambient. J’avais toujours rêvé d’en faire un, de faire ce clin d’œil à Eno.
Comment tu te vois dans 10 ans ?
Je ne me vois pas faire autre chose. J’ai envie de continuer à faire la même musique. Je suis un nerd de cette musique. Sinon, ce que j’aimerais, c’est faire des musiques de films. Mais je vais attendre un peu pour me lancer.
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