Sergeant pépettes. On a beaucoup parlé en amont de l’événement Beatles, chef- d’œuvre de marketing cynique. Mais qui parlera en aval de ce disque sexy comme une salle d’archives municipales ? Dans les semaines à venir, vingt millions de petits boîtiers en plastique vont opérer la plus extraordinaire (et la plus insignifiante) migration de l’histoire […]
Sergeant pépettes. On a beaucoup parlé en amont de l’événement Beatles, chef- d’œuvre de marketing cynique. Mais qui parlera en aval de ce disque sexy comme une salle d’archives municipales ?
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Dans les semaines à venir, vingt millions de petits boîtiers en plastique vont opérer la plus extraordinaire (et la plus insignifiante) migration de l’histoire du commerce rock : se transporter des rayons des disquaires vers les étagères des amateurs de rock pour y poursuivre la même existence plate, immobile et silencieuse. Après quoi, la poussière reprendra le dessus. Mais pour l’instant, place au délire, aux superlatifs, à l’hallucination collective. Guillaume Durand et Bruno Masure vous l’ont dit : la parution de ce premier volume de l’anthologie des Beatles constitue l’événement culturel de cette fin de siècle et si on se fie à la couverture médiatique, un truc à peu près équivalent à la chute du mur de Berlin ou à la libération de Nelson Mandela. Autant d’âneries qu’une étude rapprochée des morceaux présentés sur ces deux CD réfutera sans mal. Car si les volumes à venir au printemps réservent vraisemblablement quelques jolies surprises, le premier tome de The Beatles anthology n’a que peu d’atouts à faire valoir. Bien sûr, il y a Free as a bird, chanson-brouillon de Lennon gonflée aux hormones de la modernité par l’amicale des survivants sans scrupules. De ces quatre minutes volées au temps, composées le cœur léger par un Lennon qui venait (enfin) d’obtenir son permis de résidence sur le sol américain, on dira qu’elles font d’abord frémir, avant d’expédier l’auditeur dans un sombre cafard. Qu’aurait dit le cerveau des Beatles de cet habillage nouveau riche pondu par le très consensuel Jeff Lynne, de ces contre-chants bouche-trous servis par un McCartney décidément peu porté sur l’effacement ? Dans une interview à Libération, Fred Seaman, le dernier ami intime de Lennon, avance la réponse suivante : Free as a bird est « la dernière chose que John aurait souhaitée », un genre d’arnaque que celui qui demeurait fâché avec McCartney (surtout), Ringo Starr et Harrison (un peu moins) aurait probablement combattue avec la dernière énergie. Cette étrangeté musicale écartée, ne reste plus qu’à remonter le temps jusqu’à la genèse d’un groupe qui aura mis des années à s’affranchir de ses influences. Autant dire que les vingt-cinq plages restantes ne passionneront guère que les collectionneurs les plus ardents, lesquels possèdent probablement déjà la majorité des raretés présentées ici via les multiples pirates et autres Decca tapes et BBC tapes. Pour les autres, ceux qui ne connaissent pas déjà par cœur les treize albums studio des Beatles et les soixante et onze albums de leurs membres en solo, quel intérêt peut-il y avoir à entendre ainsi les (Not Yet) Fab Four singer Buddy Holly et les Coasters ou livrer fébrilement des versions immatures de leurs futurs hits ? Pire encore : à quoi bon écouter les Beatles rigoler et pérorer malignement devant des journalistes au garde-à-vous ? Chutes de studio, répétitions à la maison avec une qualité sonore qui ferait passer les disques de Robert Johnson pour des sommets de technologie , sessions d’essai pour maisons de disques et petits bouts d’interview : rien de tout ça ne montre l’essentiel des Beatles, cet extraordinaire brio mélodique que le groupe développera un peu plus tard, lorsque la confiance l’embrasera définitivement. Evidemment, les esprits les plus larges ne manqueront pas d’appeler à la rescousse le bon vieux concept du « document », alibi bien pratique pour faire avaler n’importe quelle couleuvre au public. Ce qui amènera fatalement quelques innocents à se jeter sur la chose, persuadés de tenir là l’album définitif des Beatles, un disque mille fois meilleur que Rubber soul ou Sergeant Pepper, ces drôles d’objets même pas vus en publicité sur TF1.
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