Annette Messager : Faire Parade 1971-95. Musée d’Art moderne de la ville de Paris.
Le même jeu cruel pour l’héroïne et pour ses victimes.
Dans sa dernière Parade (1994-95), une petite fille fait des grimaces devant l’objectif. Annette Messager, née en 1943, conserve dans son prénom quelque chose de l’enfance. Quoi d’autre ? Le goût de (se) faire peur. Une certaine forme de cruauté envers plus petit que soi les moineaux morts baptisés Mes pensionnaires qu’elle habille, protège et emprisonne, châtie à la fois. Surtout, une capacité certaine à se raconter des histoires. Justement, elle qui a choisi de « faire de sa vie de femme et d’artiste le sujet et l’objet de son travail », fait aujourd’hui montre d’une uvre de plus de vingt années, présentée dans sa ville, Paris, avant de l’être à Los Angeles, New York et Chicago. A ses débuts (« Je pensais que j’étais une artiste dévaluée en tant que femme. J’avais envie de mettre cette dévalorisation en évidence, je sentais que c’était à cela qu’il fallait que je m’attache »), elle conjuguait l’humour très sérieux des diptyques Les Hommes que j’aime, Les Hommes que je n’aime pas (1971) et l’illustration pragmatique de ses exploits de bricoleuse (Quand je fais des travaux comme les hommes, 1974). Collectionnait des collections dans des albums intitulés Les Livres qui me font frémir (n° 61), Tout sur les coquillages (n° 54), Mes propositions de bonheur (n° 17) ou Mes informations pour trouver une voiture d’occasion en juillet 73. Mais déjà s’y mêlaient le catalogue complice des Tortures volontaires, sa vengeance délectable contre des beautés sur papier glacé (Mes jalousies, 1972) et, de moins en moins anodins, Les Qualificatifs donnés aux femmes (1974). Jusqu’à la violence exercée contre Les Enfants aux yeux rayés, contemporaine de la poétique Petite pratique magique quotidienne. La belle brune brodeuse de proverbes se voit ensuite en héroïne perverse (Les Effroyables aventures d’Annette Messager Truqueuse) et, si elle s’exhibe nue, fait courir sur son corps des araignées (1975). Puis elle joue à l’ogresse découpant la chair, amoncelant dans la série Mes voeux d’innombrables photos noir et blanc d’un œil, d’une bouche, d’une main, d’un sein, d’une oreille, d’un sexe féminin (« promesse ») ou masculin (« mensonge »), bordées de noir façon deuil, pendues au bout de longues ficelles. Donne à lire Les Lignes de la main (1988), trace des inscriptions cabalistiques sur ses Trophées, se révèle méchante fée collant à la paroi d’horrifiques Chimères (1982-84), clouant au mur poupées, peluches (Mes petites effigies) ou abandonnant dans un coin ces jouets, jetant sur eux comme un sort l’image de membra disjecta. Déclenche encore L’Attaque des crayons de couleurs (1992) crevant la paroi. « Le spectateur, dit-elle, est de plus en plus intégré dans le travail. Pour moi je souhaite qu’il se sente gêné, dérangé (…). L’observateur connaît, reconnaît bien tous les éléments qui lui sont présentés mais il n’est pas en mesure de « recoller les morceaux ». L’embarras, la gêne viennent de là. » Une fable, pour finir. Un écureuil empaillé puis empalé, encagoulé, projetait sur un pan de mur son ombre, aussi jolie qu’il était pathétique. Dans la salle suivante, non loin des figurines rangées pour la Parade en cercle, en suspens ou en tas, sur des piques, sous des filets, dans des bas noirs, trois étudiantes, assises par terre, papotaient. Moralité : entre une indifférence totale à cet art féroce et l’excessif apitoiement provoqué par une bestiole malmenée, reste l’espace nécessaire pour que tout ce qu’Annette a fait produise ses effets.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Anne Bertrand
{"type":"Banniere-Basse"}