Fille fantasmée de
PJ Harvey et Jeff Buckley,
la Londonienne Anna Cal vi
révélée au dernier
Festival des Inrocks,
sort un premier album
audacieux. V olcanique
en concert, effarouchée en
interview : une chanteuse
toute en contraste.
Enfant, tu as passé des mois à l’hôpital. En quoi cette expérience t’a-t-elle transformée ?
Je suis née avec les hanches disloquées, j’ai donc dû subir une opération afin de créer des cavités cotyloïdes pour chaque jambe. Sans ça, je n’aurais jamais pu marcher. J’ai donc passé mon enfance plâtrée jusqu’au cou et supporté trois années de soins. Mes premiers souvenirs sont des chambres d’hôpital : leur odeur, aujourd’hui encore, me rassure. Ça a complètement affecté le reste de ma vie. Le besoin de créer mon propre monde, de me réfugier dans les chimères, vient de là. Quand on est enfant et qu’un truc aussi traumatisant vous tombe dessus, on utilise forcément le rêve, le dessin pour ne plus avoir peur. La créativité est alors devenue essentielle. Je griffonnais sans arrêt, c’était un acte de survie. Ça ne m’a jamais quittée : sans créativité, je deviendrais folle, je mourrais.
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Comment s’est matérialisé ce besoin d’évasion par la suite ?
J’aimais les films irréels comme Retour vers le futur. Je passais des heures sur ma bicyclette, je jouais au football. Attaquante ! Plus tard, ma passion pour le cinéma m’a entraînée vers des cinéastes comme Gus Van Sant ou Wong Kar-wai, qui ont beaucoup influencé ma musique.
Tu as été élevée par une mère anglaise et un père italien. Te sentais-tu entre deux cultures ?
Je ne me suis jamais sentie totalement anglaise. J’étais attirée par des choses qui repoussaient les enfants de mon âge : la musique classique indienne ou le flamenco, dont j’ai emprunté l’imagerie sur scène… Comme chez Piaf, j’aime l’absence de retenue, de décence, cette passion brutale – c’est si peu anglais que ça m’attirait. En ce sens, je me sens parfois très latine, je vois la différence entre moi et une Anglaise typique, effrayée par le drame, alors que moi, j’adore ça ! Du coup, à l’école on me prenait pour une follasse et je ne faisais pas de gros efforts pour être populaire.
Comment se passe l’écriture des textes ?
J’attends que l’inspiration vienne me chercher. Je ne suis pas inquiète quand elle me laisse en plan, je me dis qu’elle est en train de recueillir des informations, qu’elle se nourrit. Quand elle se rappelle à moi, c’est un vrai plaisir. Mais il y a des règles à suivre. Comme par exemple ne jamais écrire dans une pièce avec de la moquette : j’en suis totalement incapable. Il me faut du plancher et une grande fenêtre.
Une grande fenêtre pour rêver ?
Oui, je passe des heures à laisser mon imagination vagabonder. D’où la discipline que je m’impose au travail. Mes parents ont un film de moi, je suis petite, c’est un spectacle de danse. Soudain, en plein milieu du ballet, je quitte la danse, je suis là, sur scène, perdue dans mon rêve. C’est pour ça que je ne conduis pas (rires)… C’est ma réaction d’autodéfense. Quand je trouve les gens, les situations ou les lieux ennuyeux, je m’enfuis dans ma tête. Ça fait de moi une grande handicapée de la vie, incapable de gérer la paperasse, le quotidien…
Ecoutes-tu la musique avec une oreille strictement professionnelle ?
J’ai cessé de disséquer les chansons : je l’ai fait pendant longtemps et ça tue le plaisir. L’émotion, ça ne s’explique pas, ça ne s’analyse pas, ce n’est pas quantifiable, ça ne répond pas à des règles et des faits. Là où je peux progresser, c’est au niveau technique, en studio. J’ai assisté à chaque seconde de l’enregistrement de mon album, je voulais tout savoir, tout comprendre, tout contrôler. Pour les cordes, au lieu de faire appel à un orchestre symphonique, c’est moi qui joue chaque violon, l’un après l’autre, trente-deux au total… Je savais exactement dans ma tête où devait aller l’album, tout était déjà prêt, le son, les arrangements… Ça a dû être très dur pour l’équipe en studio, je ne leur ai laissé aucune liberté… Le producteur, Rob Ellis (PJ Harvey, Scott Walker, etc. – ndlr), n’avait encore jamais travaillé avec quelqu’un aux idées si précises, si arrêtées. Je suis incapable de déléguer, même les petits détails. La dilution de l’inspiration est une hantise. Je peux être très dictatoriale.
Ta musique est à la fois très animale et cérébrale. Ça te représente ?
Je ne cherche que la beauté. Parfois, ça s’exprime par la volupté, la luxuriance ; d’autres fois, c’est plus brutal, plus dur, plus cru. Je suis une combinaison de tout ça. Il y a quelque chose de très sexuel, d’animal que j’exprime dans ma musique. Vous voyez, je rougis quand je l’évoque, je suis même incapable d’en parler. Mais quand ça devient musique, ça ne me dérange plus du tout.
Concerts : le 8 février à Paris (Nouveau Casino), le 29 mars
à Metz, le 30 à Dijon
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