Fille fantasmée de
PJ Harvey et Jeff Buckley,
la Londonienne Anna Cal vi
révélée au dernier
Festival des Inrocks,
sort un premier album
audacieux. V olcanique
en concert, effarouchée en
interview : une chanteuse
toute en contraste.
As-tu été aussi disciplinée avec l’apprentissage de la guitare ?
Je travaillais plusieurs heures par jour pendant des années. J’ai tendance à être un peu… obsessionnelle (rires). J’ai ainsi passé des mois à n’écouter que Django Reinhardt, puis Jimi Hendrix, puis Ravi Shankar, puis la musique d’Afrique occidentale… Je veux en percer le mystère. J’ai toujours eu un appétit féroce pour la musique, le son. Il faut dire que j’ai grandi dans une maison pleine de disques : Led Zep, Bowie, les Stones… Plus tard, une amie m’a fait découvrir Jeff Buckley, Cocteau Twins, Van Morrison. J’avais 16 ans.
A quel âge as-tu composé ta première chanson ?
Vers 8 ans… Mais comme je me pensais incapable de chanter, j’ai vite rejoint des groupes où j’étais guitariste… Ça a été une longue suite de déceptions, de frustrations. Par exemple, nous répétions le vendredi soir. Eh bien moi, j’en rêvais toute la semaine, il y avait un mélange d’excitation et d’anticipation que normalement on ne ressent à cet âge-là que pour son anniversaire. Systématiquement, j’étais déprimée le samedi car je savais qu’il faudrait attendre une semaine avant la prochaine répétition. A l’évidence, cela comptait plus pour moi que pour les autres. J’ai toujours été plus motivée, plus impliquée. Le seul groupe dont je sois fière aujourd’hui s’appelait Koto. J’avais 18 ans, je maîtrisais enfin l’écriture et ma guitare, j’étais heureuse d’être compétente. Mais même là, je ressentais le poids du compromis. J’avais une vision très précise de la direction que devait prendre notre musique mais je savais que je ne pouvais m’appuyer sur personne. C’est là que je me suis rendu compte que la seule issue était une carrière solo. Il fallait donc chanter.
Tes parents se sont-ils inquiétés que tu consacres autant de temps à la musique ?
Ils s’étaient habitués depuis longtemps à ce que je joue dans mon coin, dans ma bulle. Ils savaient à quel point j’étais heureuse avec la musique, à quel point elle me nourrissait. A la maison, mes parents m’ont laissé le grenier, un vaste bordel où j’ai entassé mes instruments, mes peintures, mes souvenirs d’enfance. La plupart des maquettes de l’album y ont été enregistrées, c’est paisible et rassurant, c’est mon univers, ma bulle, mon refuge. J’y passe ma vie… Car je me considère comme une bonne à rien quand je ne travaille pas sur ma musique, je culpabilise dès que je n’ai pas un instrument en main. C’est un artisanat fragile, qu’il faut entretenir avec discipline.
Le vis-tu comme un sacerdoce ?
Oui, je pense parfois au sacrifice que ça représente. J’ai tout donné à la musique. Elle m’a apporté tant de richesses. Chaque chanson est un univers, un monde à part. Ça valait le coup d’attendre.
Sur scène, tu plonges dans ce monde intérieur, tu es presque en transe.
Mes parents sont hypnothérapeutes et m’ont soumise très jeune à l’hypnose. J’étais un peu leur cobaye, je connais donc ces états seconds… C’est pour ça qu’en sortant de scène, il me faut de longues minutes de solitude totale pour me remettre d’aplomb – parfois en m’enfermant dans les toilettes.