Fille fantasmée de
PJ Harvey et Jeff Buckley,
la Londonienne Anna Cal vi
révélée au dernier
Festival des Inrocks,
sort un premier album
audacieux. V olcanique
en concert, effarouchée en
interview : une chanteuse
toute en contraste.
Souvent, on a rêvé d’Anna Calvi. Comme, par exemple, quand on voyait sur scène PJ Harvey puis Jeff Buckley, en se disant que ça serait chouette qu’ils aient une fille. Anna Calvi, premier album de la frêle Anglaise, assouvit ce fantasme. Frêle ? Oui, dans la vie de tous les jours, où une timidité maladive n’empêche pourtant pas de pointer une personnalité majeure, au parcours et aux ambitions étonnants.
Frêle, certainement pas sur scène où depuis un concert de début 2010, ce rock fugueur d’une beauté, d’une musicalité et d’une liberté terrassantes, nous a littéralement envoûtés. Entre blues terrien et émeute électrique, les chansons d’Anna Calvi la transportent visiblement elle aussi très loin, très haut – ceux qui l’ont vue au dernier Festival des Inrocks peuvent en témoigner.
Des rockeurs de cette trempe, de cette audace, il n’en émerge que quelques-uns par décennie. Il suffit de parler à Anna pour mesurer à quel point elle est tout sauf une starlette catapultée par la grâce d’une seule chanson et d’un joli minois : travailleuse forcenée et boulimique de son, elle possède l’aplomb, la sagesse, les ambitions et la culture d’une pétroleuse taillée pour durer.
On n’est donc pas étonné d’apprendre que la Londonienne possède déjà, avant même la sortie de son premier album, un fan-club des plus huppés. On y retrouve Brian Eno, qui se présente comme son “protecteur”, ou Nick Cave qui l’a choisie pour assurer les premières parties de son groupe Grinderman. Le rêve d’Anna Calvi – jouer à l’Olympia comme ses idoles Jeff Buckley et Edith Piaf – est désormais à portée de doigts, de fée.
ENTRETIEN
Que représente la scène, pour toi ?
Anna Calvi – C’est ce qui me rend le plus joyeuse. C’est le meilleur moyen pour moi d’affronter le monde et d’en sortir indemne, saine d’esprit… Je ne me sens entière que lorsque j’en joue. Sur scène, je suis plus courageuse, plus fière que je ne le serai jamais dans la vie de tous les jours. A tel point que lorsque je regarde une vidéo de moi sur scène, je vois parfois une étrangère.
Que ressens-tu sur scène ?
Je tente d’entrer en contact, les yeux dans les yeux. Je ressens une telle impression de puissance… En même temps, chanter des choses aussi personnelles tout en regardant un inconnu, c’est au-delà de l’intimité. Dans la vie de tous les jours, je serais incapable de dire la moindre de ces choses à qui que ce soit : j’ai déjà du mal à regarder quelqu’un dans les yeux…
Tu as l’air de prendre la musique très au sérieux. Est-ce que ça a toujours été le cas ?
Pas quand j’ai commencé à jouer de la guitare : je n’avais que 6 ans ! Pourtant, même là, je m’amusais sérieusement : c’était ma plus grande source de plaisir, plus que toute autre activité. Puis mes parents m’ont mise au violon. C’était plus leur décision que la mienne, même si j’y trouvais beaucoup de joie aussi. Mais rien n’y faisait, encore et toujours cette guitare électrique qui traînait à la maison m’attirait.
A quel moment as-tu commencé à chanter ?
Il m’a fallu beaucoup de travail et de sacrifice pour chanter comme je le fais aujourd’hui. Pendant très longtemps, ça n’a pas été un plaisir. J’ai commencé à chanter à 23 ans : il fallait que je m’y mette, j’en rêvais depuis toujours. Je suis si timide que je pensais que ça resterait un regret. J’avais toujours été la plus timide, la plus effacée, absente de ma famille. Chanter, c’était plutôt contre nature. Pendant des années, dès que mes parents quittaient la maison, je fermais les rideaux, les lumières, je m’enfermais dans la pièce la plus calfeutrée de la maison et je vocalisais des journées entières sur les disques de Piaf ou d’Elvis… Je tenais même un journal pour suivre l’évolution de ma voix, savoir ce qu’il me fallait corriger… Je m’enregistrais et réécoutais sans répit ce qui clochait. Petit à petit, j’ai sculpté ma voix. Sans en changer l’âme, je l’ai transformée de soprano en une voix beaucoup plus grave et sombre. Ma motivation confinait à l’acharnement. Parfois, je me suis vraiment fait mal, notamment en essayant de chanter Be My Husband de Nina Simone… Personne n’était au courant, c’était mon secret. Je n’avais jamais chanté à l’école ou dans une chorale : même pas sous la douche.
La différence entre ta voix de chanteuse et celle de tous les jours est phénoménale. Est-ce troublant pour toi aussi ?
La voix de tous les jours représente vraiment qui vous êtes : on construit sa voix en fonction de ce qu’on a vécu. Je n’ai jamais été du genre à m’imposer dans la conversation, à me mettre en avant. Parce que je n’ai jamais beaucoup parlé en public, ma voix s’est en quelque sorte atrophiée. Je n’ai commencé à être à l’aise avec mon chant que l’an passé, après cinq ans de labeur. J’ai gagné la partie le jour où j’ai réussi à canaliser mes émotions dans mon chant, à les contrôler totalement. J’avais déjà ressenti ça quelques années plus tôt avec la guitare : l’impression qu’on peut aller partout, qu’il n’y a plus d’obstacle. Pendant longtemps, ma voix a été un animal sauvage que j’ai apprivoisé.