Echappé de la famille électronique berlinoise, Tarwater flotte dans un monde sonore foudroyant de beauté surréelle. Animals, suns & atoms, nouvel album teinté electro-pop, rapproche plus encore le duo des grands espaces défrichés par Kraftwerk et Wire. La musique des Berlinois Ronald Lippock et Bernd Jestram, alias Tarwater, se distille toute seule, sans port d’attache, […]
Echappé de la famille électronique berlinoise, Tarwater flotte dans un monde sonore foudroyant de beauté surréelle. Animals, suns & atoms, nouvel album teinté electro-pop, rapproche plus encore le duo des grands espaces défrichés par Kraftwerk et Wire.
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La musique des Berlinois Ronald Lippock et Bernd Jestram, alias Tarwater, se distille toute seule, sans port d’attache, ni drapeau de ralliement. Elle a débarqué entre nos oreilles en 1998, au moment où sortait le quatrième album du duo, un Silur hanté et sombre, qui conjuguait les genres et donnait à danser, à vivre, à aimer. Tarwater y invoquait les esprits de Portishead et William Burroughs, de Pierre Henry et Bernard Herrmann, pour assembler et créer un univers sonore singulier, à la fois fluide et compact. Le mercure s’imposait d’emblée comme le maître-étalon, jauge originelle et indépassable de toutes les fièvres, de tous les soubresauts.
Deux ans plus tard, Tarwater refait surface avec Animals, suns & atoms. Un album qu’on affirme plus pop, c’est-à-dire encore mieux ciselé, encore plus beau, plus éclairé. Tout à coup, à l’écoute de ce disque, on se dit que le groupe s’est fait installer des fenêtres, a percé des puits de luminosité dans les murs de son studio berlinois : tout ici respire la clarté et fleure bon l’apaisement serein, comme si la lumière du jour se construisait une place entre les cliquetis analogiques et les boucles qui craquent. En scrutant de plus près les manuels d’histoire, on se risque à une comparaison. Le cheminement de Tarwater, toujours plus près de la clarté, est exactement similaire à celui d’un Kraftwerk qui délaisse l’hermétisme de ses deux premiers albums pour écrire des chansons, qui sont autant de tubes pop. La comparaison pourtant, s’arrête là : nulle volonté, chez Tarwater, de domination du monde. C’est par inadvertance et presque par hasard que les compositions prennent de plus en plus la forme de chansons, de pop-songs quasi spontanées, comme l’explique Ronald Lippock : » Silur était davantage inspiré par des méthodes de DJ, avec pas mal de boucles et de morceaux qui se croisaient et se combinaient. Animals, suns & atoms ressemble davantage à un album de facture classique mais nous ne cherchions pas du tout à faire un disque pop. En terminant un enregistrement, on a toujours l’impression d’être face à un test de Rorschach : on y voit ce qu’on a envie d’y voir. Le mystère de ce nouvel album n’est d’ailleurs toujours pas résolu : on n’arrive pas encore à définir ou à comprendre ce qui s’y passe. »
Incrédule devant son œuvre, le couple Tarwater esquisse des débuts d’explication, croque des repères, tisse des liens, qui sont sans doute autant de fausses pistes, pour eux comme pour nous. Ronald Lippock évoque les connexions les plus hétéroclites, les moins attendues en tout cas. Tour à tour, parlant de ses textes, il convoque les esprits de Rimbaud ou Mallarmé, se plie d’admiration devant la poésie surréaliste. Sans jamais virer dans la forfanterie, jamais faussement humble : « Il n’y a pas de sens caché dans nos textes. Il n’y a rien à y comprendre au-delà de ce qu’on entend, aucune symbolique derrière les mots. Ces textes sont ce qu’ils sont, à la manière des textes surréalistes. »
« L’homme est la machine la plus adaptable de l’univers », entonne-t-il, monocorde, dans At low frequency. Cette phrase pourrait être la devise même de Tarwater, qui puise son art à toutes les sources : Lippock et Jestram recyclent en permanence leurs expériences les plus saugrenues, pour en faire de la chair à sampler. « The Trees date de notre tournée en Pologne. On s’est retrouvés un jour dans un cinéma, à regarder un film polonais sous-titré en anglais. C’était tellement étrange et excitant que je me suis mis à recopier tous les sous-titres. C’était très incongru : débarquer en plein milieu du film, sans avoir la moindre idée de ce dont il s’agissait. Les sous-titres semblaient complètement décalés par rapport aux images. On pouvait lire des choses du style « La forêt sait se confesser ». On ne sait vraiment rien de ce film. A se demander même si on n’a pas halluciné, à force de boire de la vodka polonaise. »
Voleurs de sous-titres incompréhensibles, Lippock et Jestram s’en prennent à tous les clichés patentés de la société du spectacle, subtilisent des accroches commerciales glanées au hasard des magazines de mode et les transforment en paroles, répétées jusqu’à la lie : « J’ai eu l’idée de Seven ways to fake a perfect skin en apercevant une publicité pour des cosmétiques supposés rajeunir la peau. » Détournement et recyclage de textes vont de pair avec les processus de construction musicale en œuvre chez Tarwater, assez éloignés de ceux des autres membres de la famille, de To Rococo Rot à Mapstation, en passant par Kreidler, ces groupes frères ou cousins, se partageant les musiciens comme si chaque disque était un repas de famille : « On a des méthodes de composition différentes selon les projets et les groupes. Tarwater a commencé comme un projet de studio, sans intention de faire des concerts. De ce fait, on essaie toujours de recréer des situations de studio, comme si on était dans un laboratoire, entourés par nos machines et toutes nos sources sonores. On rassemble les choses les plus variées et on fait en sorte de les coller ensemble. Les structures rythmiques viennent en premier. Ensuite, s’ajoutent les voix. »
Sur Noon, une des pièces maîtresses du nouvel album, on entend tout d’abord quelques notes de piano, mises en boucle, auxquelles se greffe une rythmique abreuvée de réverbérations et d’échos. Débarque ensuite la voix de Lippock, monocorde, monotone, vite suivie par un chant féminin, qui ressemble à une litanie marmonnée du bout des lèvres. Le résultat est tout à la fois spartiate et éthéré, obsessionnel et éclaté : les chants croisés rappellent la plainte de deux amants, partant chacun dans une direction, sans jamais atteindre l’orgasme salvateur et unificateur. Porté jusqu’au bout par la rigueur toute minimale et ascétique des notes de piano samplées, Noon, vers la fin prend des allures de mantra indienne, sous l’apparition de bruits empruntés à des sitars. Le morceau virevolte, s’élève, la voix de Lippock disparaît, une plainte féminine demeure, et puis, tout s’arrête, d’un coup.
La musique de Tarwater laisse traîner derrière elle un sentiment de vide maculé, semblable au manque laissé par des amours perdues trop tôt. Lascif, jamais poussif, ce sentiment rappelle les émotions violentes et fugitives que ne suscitent qu’une poignée de disques ou de groupes. En écoutant Tarwater, on songe décidément de plus en plus à Wire, à la période du fondamental 154 : même appétit pour les espaces vierges ; même sens de la repartie harmonique cachée derrière les fagots ; même regard critique empreint d’un humour tout détaché ; même goût, surtout, pour les mélodies tronquées au milieu de morceaux dits sérieux ou expérimentaux. « L’important, c’est de faire en sorte que les choses puissent se développer naturellement : le processus doit être organique. » Animals, suns & atoms crée de toutes pièces, de toutes notes, un écosystème singulier, humain et faillible, fragile et vivant. Une bonne raison, enfin, d’être écolo.
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