Tout le monde parle de Merriweather Post Pavilion, nouvel album d’Animal Collective. Mais celui qui en parle le mieux est sans doute le groupe lui-même : on lui laisse le temps et la place ici, pour une interview au long cours.
Merriweather Post Pavilion, dont vous trouverez la chronique ici, est sans doute déjà l’un des albums de l’année -2009 commence donc très, très fort. Animal Collective semble avoir passé un stade, le monde entier parle, des étoiles plein les yeux, du petit coup de force des Américains. Mais personne n’en parle mieux que le groupe lui-même ; Avey Tare nous a accordé il y a quelques semaines une interview dont vous retrouverez la longue intégralité ci-dessous.
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Comment vous sentez-vous, en tant que groupe, et comment te sens-tu, en tant qu’individu ?
Bien. C’est d’une certaine manière la première fois depuis le début de l’aventure Animal Collective que je regarde en arrière et que je repense à tout ce qui s’est passé ; sans doute parce que les interviews me poussent à le faire. J’arrive désormais à me connecter à notre passé, à voir que nous avons fait neuf albums. J’ai pour la première fois l’impression que nous ne sommes pas en train de continuer quelque chose ; il y a toujours eu des étapes importantes dans notre carrière, mais nous ne prenions pas le temps de les considérer, nous avons toujours avancé sans nous retourner. Jamais eu le temps, jusqu’ici, de me rendre compte que nous avions une histoire. Je sens désormais que nous sommes là depuis quelques temps, que nous sommes un « vieux groupe ».
Et quelle impression générale tires-tu de ces années, ces albums, ces moments ?
Le travail. Ca a toujours représenté beaucoup de travail, dans un sens positif. Il y a évidemment eu des moments sombres, des choses très négatives, il nous a chacun fallu traverser des périodes difficiles, mais le tout constitue une sorte de trip global.
Ces moments sombres transparaissent souvent dans vos albums…
Nos disques les plus sombres, Here Comes the Indian ou Danse Matinee, le sont parce que nous laissions notre propre confusion guider nos pas, infiltrer nos chansons. Ces albums reflétaient notre état mental, et la manière dont on essayait, tous ensemble, de s’en tirer, ou d’en tirer profit.
Et en tant que musicien, qu’as-tu appris ?
Beaucoup de choses, et une fois encore c’est quelque chose dont je me suis rendu compte assez récemment. Mon approche d’une chanson, du fait de jouer avec les autres membres du groupe, mon approche de la scène ont changé. Je comprends maintenant mieux en quoi consiste mon job d’entertainer, de musicien, je fais mieux [attachment id=298]le lien entre ma musique et les gens qui l’écoutent. Dans le passé, on n’y pensait pas du tout, on montait sur scène et on faisait ce qu’on voulait ; et c’est d’ailleurs toujours un peu le cas, même si c’est d’une manière un peu différente, ce que je trouve totalement incroyable. Nous avons toujours désiré, d’une manière ou d’une autre, être des entertainers. Mais je n’étais pas, dans le passé, conscient de la responsabilité que cela représente.
Vous existez depuis des années, et on vous a toujours considéré comme un groupe d’avant-garde. Penses-tu que cela soit encore vrai, ou que cela ne l’ai jamais été ?
Ces termes, avant-garde ou expérimental, a toujours été vrai pour les artistes faisant la musique qu’il leur plaisait de faire, de la manière dont il voulait la faire. Quelqu’un comme Ariel Pink est quelqu’un d’expérimental ou d’avant-garde, parce qu’il a toujours voulu être à la limite, créer une musique lui étant totalement personnelle, qui ne ressemble véritablement à aucune autre. Mais des gens associent l’avant-garde ou l’expérimentation avec des artistes ou groupes versant dans le noise, qui jouent avec les sons, ou le free-jazz ; mais après un temps cette musique finit toujours par se répéter. Est-elle alors encore de l’avant-garde, de l’expérimentation ? Je ne pense pas. Donc pour moi l’avant-garde ou l’expérimentation ne concerne que les gens qui font exactement ce qu’ils veulent, qui prennent ce risque ; et au niveau musical, ce n’est pas pour moi forcément une musique que d’autres considéreraient comme expérimentale. Quant à Animal Collective, on a toujours fait en sorte d’essayer de ne pas la classifier, c’est de toute façon très difficile pour nous.
Mais as-tu l’impression qu’Animal Collective a une place très à part, très spécifique, dans l’histoire de la musique ?
Ah… J’aimerais bien… Que des gens se réfèrent à nous, ce n’est pas désagréable. Je pense aux surréalistes, par exemple ; un groupe de gens qui se sont à un point de l’histoire de l’art réunis et qui ont fait surgir quelque chose d’incroyablement créatif. C’est sans doute une idée qui nous attire, en tant que groupe, même si on ne cherche pas ça volontairement, et même si on ne cherche pas non plus spécifiquement à être à part, ou en dehors de quoi que ce soit.
Il y a de plus en plus de groupes comparés à Animal Collective…
Oui, c’est un nouveau sujet pour nous, mais ça nous gêne, ça nous semble étrange plus qu’autre chose. Si d’autres groupes disent aimer Animal Collective, nous prennent pour influence, ça nous fait évidemment plaisir, mais c’est un peu étrange pour nous, c’est difficile de dire que tel ou tel groupe est clairement influencé par ce que l’on fait.
Vos albums ont été très divers, très différents…
Ce sont les mêmes personnes faisant des disques –enfin, pas toujours les mêmes personnes. Je pense que nous sommes très ouverts aux circonstances, souvent personnelles, qui ont toujours changé et continuent d’évoluer. Ces dix dernières années, ces circonstances ont beaucoup influencé tous nos disques ; si nous étions par exemple tous restés à New York, je pense que notre musique serait très différente, que notre confort de travail serait peut-être trop grand pour essayer de trouver de nouvelles voies. Il y a toujours eu, pour chaque album, un fait particulier qui l’a modelé. Noah et moi avons toujours été présents, mais sans que les décisions soient conscientes, ou parce qu’il le fallait, Josh ou Brian ont parfois décidé de prendre des pauses… C’est encore le cas avec cet album : Josh a eu besoin de faire un break, et ça nous a poussés à changer notre approche du songwriting, à trouver des méthodes différentes. Mais ce qui ne change jamais, c’est la manière dont nous sommes tous liés, tout reste en permanence positif et bon.
Vois-tu un lien, un fil rouge dans votre carrière ?
Ce qui nous permet de fonctionner, en tant que groupe, que collectif, est que nous voulons tous en permanence avancer, aller plus loin, nous voulons toujours laisser derrière ce que nous avons déjà fait. Si l’un des membres du groupe écrivait toutes les chansons, comme c’est le cas dans beaucoup d’autres groupes, il n’y aurait pas autant de place pour les changements, ces désirs d’évoluer. Et ce sont ces désirs qui nous poussent à faire ce que l’on fait.
Y avait-il une idée spécifique derrière Merriweather Post Pavilion, ou est-ce encore une histoire d’adaptation du groupe aux circonstances ?
Nous avons clairement été inspirés par ce qui s’était déroulé avant, par la période Strawberry Jam et ce qui a suivi, par le Person Pitch de Panda Bear notamment. Nous voulions clairement quitter ces territoires, mais ils nous ont tout de même clairement influencés. Josh, notre guitariste principal, a décidé de prendre sa pause -Animal Collective ayant toujours été un groupe très basé sur les guitares- nous sentions également qu’il était justement le temps pour nous de tourner un peu le dos aux guitares, on avait déjà essayé sur Strawberry Jam de faire sonner des guitares comme si elles n’en étaient pas… Il a fallu s’adapter, et nous voulions de toute façon le faire.
Tu parles de Josh au passé : est-il encore membre du collectif ?
Oh, oui, il n’a pas quitté le groupe. Il est en pause. Il voulait simplement s’éloigner un peu, les tournées ont été harassantes, son père est mort, on avait commencé à travailler sur un nouveau projet –il a eu l’impression, à raison, qu’il n’y aurait jamais aucune pause dans nos activités, alors qu’il en avait terriblement besoin. Il n’en pouvait plus. Il n’avait même plus de foyer, il avait besoin de respirer. Mais c’est quelque chose qui est constant dans l’histoire du groupe. La perte d’un père est quelque chose de très lourd à encaisser, surtout quand on est très jeune, c’est un véritable bouleversement. Et dans les cas qui nous concernent, c’est arrivé très soudainement, rapidement, ce qui rend la chose encore plus compliquée. Il faut faire ce qu’on a à faire. Et je crois que nous avons tous réussi, d’une certaine manière, à renverser l’événement et à en tirer quelque chose de positif. La pause de Josh a été bonne pour lui, et elle l’a également été bonne pour nous. Nous étions tristes pour Josh, triste qu’il laisse un peu le groupe, c’est quelqu’un de si agréable, mais il y avait une grande tension entre nous tous, comme lorsque le père de Noah était décédé –il était clair qu’on ne laissait pas à Noah le temps dont il avait besoin, et ça explique en partie la raison de son déménagement au Portugal.
Tout ceci est donc à la base de l’album…
Oui. Nous avons parlé d’idées de base, de concepts généraux. Une idée simple peut venir de n’importe où. Nous étions cette fois fascinés par les ballets, par la dance music, par tous types de dance music d’ailleurs, par la musique classique également, les opéras. On parlait de ces trucs là, par e-mails, on s’échangeait des impressions, des idées. Puis Noah et moi avons écrit quelques mélodies, qu’on a envoyées à Brian par e-mail également, puis dans l’autre sens. Les trois premiers morceaux de l’album, ainsi que le dernier, Brothersport, ont été les premiers à avoir été conçus comme ça. Et on s’est rendu compte qu’ils avaient une certaine vibration commune, nous avions donc quelque chose qui pouvait, sans doute, mener à un album. On savait que ce serait quelque chose de différent, et nous prenions clairement la direction électronique que nous voulions prendre.
Pourquoi cette direction électronique ?
Le départ de Josh, évidemment, le fait qu’on se retrouve à trois seulement. Il y a eu la manière dont Noah a fait Person Pitch, également ; sa manière d’utiliser les samplers, nous voulions aller vers ça, surtout sur scène. Mais nous ne voulions pas le faire comme Noah l’avait fait, nous voulions nous sampler nous-mêmes, plutôt que de sampler des éléments extérieurs. Nous voulions aussi utiliser beaucoup plus de sons acoustiques, Strawberry Jam ayant été un album assez brutal, dense. Il était déjà électronique, mais ce n’est pas celle que nous voulions cette fois : nous voulions quelque chose d’électronique, mais qui sonne acoustique. Et quelque part, c’était quelque chose de nouveau pour nous : Brian utilise beaucoup de sons enregistrés sur le terrain, mais pas vraiment de sons réellement acoustiques, c’est quelque chose que nous voulions pousser un peu plus loin.
Et beaucoup de ces chansons ont déjà été jouées l’année dernière sur scène…
[attachment id=298]Oui. On s’est retrouvés ensemble à peu près un mois après avoir fini Strawberry Jam, et nous devions tourner aux Etats-Unis. On avait une semaine devant nous, et nous aimons toujours écrire de nouvelles choses avant de partir sur la route –et cette fois nous le devions, Josh n’étant pas cette fois de la partie. On avait le choix entre jouer de vieilles chansons à trois, mais elles ne passent pas forcément, ou en écrire de nouvelles. On a choisi la deuxième solution. Même si on joue un peu plus d’anciens morceaux sur scène, depuis quelque temps, parce qu’on ne veut pas non plus que nos concerts ne contiennent que des choses inédites pour le public. Plus le public grandit, plus il est difficile de ne pas lui donner quelque chose à quoi s’accrocher. Je peux désormais me mettre à la place d’un fan, je me vois aller à un de nos propres concerts, m’attendant à quelques trucs que je connais, et devant faire face à une chose totalement inconnue –même si cet inconnu n’est pas spécialement difficile ou agressif, ça peut être difficile…
On a eu du bol : on a bossé sur neuf morceaux inédits, au final, qui constituent pour la plupart les squelettes des chansons finales de Merriweather Post Pavilion.
Peux-tu m’en dire plus sur cette fascination pour les ballets, la musique classique, l’opéra ?
C’est surtout la manière dont nous voulions orchestrer notre musique. On en a beaucoup parlé, théoriquement. La naissance des tons, les crescendos, la manière dont la musique classique se meut, évolue, nous intéresse beaucoup plus que la manière dont le rock le fait… Rythmiquement, la musique classique envahit tout l’espace, c’est tout l’inverse des rythmes rock, qui ne nous ont jamais réellement intéressés. Et j’aime l’idée d’une œuvre cohérente, des mouvements ; c’est comme ça que nous considérons un album, comme une chose globale. Même si les albums intéressent de moins en moins de monde, c’est toujours ce qui nous motive, c’est comme ça que nous avons appris la musique, en écoutant des œuvres globales. Il est difficile de prendre des morceaux dans une œuvre classique. Et nous avons voulu connecter tout ça à la dance, comme sur Brothersport ou Summertime Clothes, on voulait des titres qui fassent bouger les gens. Une sorte de ballet moderne, futuriste… C’est pas vraiment un concept ou une idée, juste des mots qu’on utilise entre nous…
Mais il y a toujours eu cet élément dansant, dans votre musique…
Clairement, oui. Créer un mouvement, faire en sorte que les gens puissent bouger a toujours été important pour nous. Mais c’était pour nous des rythmes simples –beaucoup disent « tribal », ça vient aussi de la techno, même si les deux sont assez similaires, et s’utilisent parfois avec les mêmes objectifs. Nous avons toujours recherché cet élément de transe, sous quelque forme que ce soit. Nous avons toujours été passionnés de musique d’un peu partout dans le monde, et on trouve la transe partout –même aux Etats-Unis, dans la musique amérindienne notamment.
Il y a des moments sombres et des moments brillants dans Merriweather Post Pavilion.
Je trouve l’album émotionnel. Il y a des moments assez sombres, effectivement. Mais ça vient de nos personnalités, Noah et moi, il y a toujours un contraste assez flou entre le bonheur et la tristesse –même quand tout semble brillant, on peut toujours trouver des zones d’ombre. J’ai en revanche l’impression que notre approche de la tristesse est positive. Nous avons tous eu à affronter, à un moment ou à un autre de notre vie, des choses très dures, très sombres, des personnes très proches qui meurent, et ça se retranscrit évidemment dans notre musique. Mais nous avons toujours vu la musique comme l’élément lumineux et positif de notre vie ; nous n’avons donc jamais vraiment voulu générer de tristesse avec nos morceaux, même quand les gens, a posteriori, pensent que nous étions totalement totalement sombres. Même quand les choses semblent tristes, elles recèlent le positif du processus créatif, et c’est pour nous quelque chose de vraiment positif. Nous aimons aussi les choses un peu tordues, les recoins, les contre-pieds : ce serait difficile pour nous de faire un album totalement béat.
Tu disais plus tôt que ça pouvait être difficile pour un fan de vous suivre, sur scène. Tu n’as pas peur de perdre des gens en cours de route ?
[attachment id=298]Nous sommes habitués à perdre régulièrement nos propres fans ! Ca fait partie du jeu. Je pense que ça a commencé avec Here Comes the Indian : pour nous, et c’est toujours le cas aujourd’hui, ça reste notre album le plus sombre. Les gens ont pourtant bien répondu, ça me surprend encore, les chroniques du disque étaient très bonnes. Pour moi, c’était un disque étrange et tordu… Et c’était encore plus le cas sur scène : moi et Noah donnions des concerts totalement chaotiques, c’était totalement différent de l’album, et c’est aussi ce qui plaisait. Je pense que pas mal de monde est resté scotché sur cette sauvagerie, cette improvisation primale. Puis on a fait Sung Tongs, et de plus en plus de monde venait nous voir, mais ils n’entendaient pas forcément ce qu’ils cherchaient. Au tout début, nous ne jouions que pour nous amis : le challenge était de leur présenter à chaque fois quelque chose de totalement neuf, de différent. On leur devait cela. Ca a marqué nos méthodes pendant longtemps… Pour la tournée de Sung Tongs, Josh était de nouveau avec nous, ça a de nouveau totalement modifié nos sets et nos morceaux, Noah jouait de la batterie… Evidemment, ça rend les choses confuses pour les gens qui venaient nous voir. Impossible de savoir à quoi s’attendre. Mais il n’y a jamais eu de réaction totalement viscérale et négative non plus. On en perd certains, on en gagne d’autres ; on n’a jamais vidé une salle et les gens applaudissent quand même. La prochaine tournée, le cas est totalement inverse, et c’est une première pour nous : nous allons retrouver la scène sans avoir véritablement écrit de nouveaux morceaux… Ca va être étrange pour nous.
Vous êtes donc en pause : c’est plutôt rare, non ?
Pas que nous ne travaillons pas : nous bossons sur un projet visuel, avec notre ami Daniel Perez, qui a fait quelques clips pour nous. C’est quelque chose de totalement neuf pour nous. On envoie des idées à Daniel, et il s’en nourrit pour les films étranges, « Animal-Collectivesques » qu’il crée. Ce n’est pas un clip, ce n’est pas non plus quelque chose de narratif ; on ne voulait donc pas faire la bande-originale de quoi que ce soit. C’est un disque visuel : c’est sans doute la meilleure définition que l’on puisse en donner –on ne se filme pas en train de jouer, mais notre musique accompagne des visuels assez extraterrestres, presque science-fictionnels. On a bossé dessus ces six dernier mois, mais ce n’est pas quelque chose que l’on va jouer sur scène, ce serait impossible, et ça n’a pas été conçu pour ça. Notre tournée, en janvier, devrait donc se baser sur des morceaux que les gens connaissent. Il y aura peut-être un ou deux inédits, des morceaux que l’on aurait voulu inclure à Merriweather Post Pavilion mais que l’on n’a pas pu. On va aussi retravailler certains vieux morceaux, on veut que notre set soit quand même neuf, différent. Ce sera quand même une expérience nouvelle pour les gens qui nous connaissent bien. Mais il est encore trop tôt pour nous pour penser à un nouvel album ; j’ai l’impression que nous n’avons fait que ça ces dix dernières années, penser à la suite, et cette fois je crois que nous ne sommes pas encore prêts.
Tu n’as pas peur de te lasser, sur scène, si vous ne présentez que des morceaux que vous maîtrisez parfaitement ?
Non. Beaucoup de nos nouveaux morceaux offrent de grandes plages de liberté, des fins ouvertes, on peut donc toujours improviser, on peut encore essayer de nouvelles choses pour les morceaux.
Que peux-tu nous dire de Ben Allen, du rôle qu’il a eu sur Merriweather Post Pavilion ?
Au départ, il est ingénieur du son. Quand nous entrons en studio, nous nous fixons toujours une limite temporelle : nous avions un mois pour enregistrer l’album. On essaie d’en faire le plus possible, en termes de production, avant même d’entrer en studio –qui est pour nous l’endroit où nous capturons et mettons en boîte les sons, les chansons, leur dynamique finale, comme nous les imaginions. Nous avons choisi Ben parce qu’il avait enregistré l’album de Gnarls Barkley, et nous savions qu’il savait comment enregistrer quelque chose de hip hop, évidemment, mais aussi quelque chose de dance, d’un peu dub. Tout ça nous a aussi beaucoup influencés. En cherchant plus, on a aussi découvert qu’il avait travaillé avec Puff Daddy, et ça nous a paru assez intéressant. Lui comme nous voulions un peu sortir de nos mondes respectifs, le projet l’a donc intéressé. Et les choses ont très bien collé. Il a à peu près notre âge, il n’est pas non plus totalement éloigné de ce que nous faisons, on se comprenait parfaitement sur pas mal de choses. Avoir quelqu’un comme ça dans le studio était un grand pas pour nous –quand on utilise des ingénieurs du son, ce sont des gens que l’on connaît déjà parfaitement, qui sont totalement dans notre truc, qui viennent souvent du même monde que nous. Ben, lui, venait de tout à fait ailleurs. Et c’était parfait, avoir des oreilles fraîches, capables de nous dire quand nos idées ne sont pas bonnes, quand elles ne mènent a priori nulle part, ou au contraire pour nous aider à amener nos morceaux exactement où nous voulions les voir aller, sans pouvoir le faire nous-mêmes. Lui aussi a du s’adapter à nos méthodes : il est habitué aux séquenceurs, aux bidouilles sur ordinateur, quand les choses ne vont pas, alors que nous aimons jouer de nos instruments, faire les choses totalement. Il était un peu surpris : rien qui ne rentre dans des cases, pas de métronome, beaucoup de feeling. Il a saisi ça et ça l’a je crois beaucoup inspiré, ça lui a donné pas mal d’idées.
Etait-il plus important que les précédents producteurs ou ingénieurs du son que vous avez connus ?
Oui, je le crois. Il a pris beaucoup plus de décisions que les précédents –on ne les aurait pas laissé faire. Il ne nous a pas donné de ton, mais à certains moments, nous voulions changer l’esprit ou l’ambiance d’un morceau, et il nous a beaucoup aidé. Quand on entre en studio, nous avons généralement enregistré la plupart des éléments, on a des idées claires de ce que l’on veut, il reste à orchestrer et à mixer tout ça. Mais arrive toujours un moment où on veut finalement autre chose. On fait les mixes, on les écoute le soir chez nous, et il nous semble parfois que les choses ne fonctionnent pas. Ben nous a beaucoup aidé là-dessus, il comprenait parfaitement tout ça, il nous demander d’essayer ci ou ça, ou le faisait lui-même, et il nous laissait décider. Pas mal de ses décisions fonctionnaient parfaitement. La seule limite qu’on lui a imposée est celle du niveau des voix ; il les voulait beaucoup plus en avant, mais c’est pour nous hors de question. Ca lui vient du hip hop, je pense.
Et le succès commercial ? Penses-tu que Merriweather Post Pavilion soit votre album le plus mélodique et accessible à ce jour ?
Je ne sais pas. Nous ne pensons pas de cette manière. Même si c’est effectivement, sans doute, notre album le plus mélodique. Mélodique de bout en bout, les morceaux s’enchaînent de manière harmonieuse. Donc si on veut associer ça au mainstream, à l’accessibilité ; peut-être en sommes-nous plus proche que jamais. Mais ça n’a jamais été un but, une décision, on ne fonctionne de toute façon pas comme ça. Quand on a fait Strawberry Jam, on était très loin de penser que les gens l’aimeraient à ce point –beaucoup nous ont dit que c’était loin d’être le meilleur album d’Animal Collective, et d’autres nous ont expliqué, à notre plus grande surprise, que Peacebone était la meilleure chanson pop que nous ayons jamais écrite… Alors que je la pensais vraiment tordue… C’est la même chose pour Merriweather Post Pavilion : certains aimeront, d’autres pas. Et certaines de ses chansons me semblent quand même encore très bizarres ; Also Frightened, Guys Eyes ont quand même des moments assez… étranges. On ne sait jamais ce à quoi les gens accrochent ou n’accrochent pas.
Y a-t-il une quelconque pression de la part de Domino, votre label ?
Absolument pas. La première et la plus forte des pressions vient de toute façon toujours de nous. Nous voulons faire des choses dont nous sommes fiers, qui nous excite, qui nous semblent neuves. Nous apprécions Domino et voulons qu’ils soient derrière nous, qu’ils nous appuient. Et c’est ce qu’ils font. Dès nos premières rencontres, on a compris qu’ils pourraient nous aider à changer de niveau, à faire entendre notre musique à plus de monde, mais eux ont également compris qu’on voulait gérer les choses comme on l’a toujours fait –nous sommes de vrais petits control freaks. Ils se sont adaptés, ils ont du le faire, même si on a un tout petit peu lâché la bride sur certains points –ils sont un label, ils savent comment vendre et distribuer un disque. Et nous, nous savons les enregistrer…
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