Sous la houlette du producteur Rick Rubin, le duo Angus & Julia Stone s’est reformé pour composer un troisième album qui oscille entre satin et électricité. Rencontre, critique et écoute.
C’’est l’histoire d’un frère et d’une soeur. Elle a le prénom d’une chanson des Beatles, Julia. Lui porte celui d’un célèbre guitariste de l’histoire du hard-rock, Angus. Angus et Julia grandissent en Australie, le long des plages qui s’alignent au nord de Sidney. Leurs parents séparés, ils emménagent dans deux maisons différentes. Mais tous deux restent très proches de leur père. C’est lui qui fonde puis dirige l’orchestre de l’école de ses enfants. Lui, ensuite, qui les pousse à pratiquer d’un instrument et jouer de la musique.
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“Notre papa aime la musique encore plus que nous. Il mourrait pour elle. Il est du genre à traverser le pays pour voir un concert. Ou à déclarer la guerre aux salles de poker qui se multipliaient en Australie au détriment des salles de concerts.”
Des débuts fulgurants
Le bac en poche, chacun des enfants Stone vaque à ses activités. Angus fait les quatre cents coups, fugue, travaille comme ouvrier. Plus sage, Julia enseigne la trompette. Il faudra un séjour commun en Amérique latine, où cette dernière était partie rejoindre un petit ami, pour que les deux Stone se retrouvent ensemble.
Quelques concerts et un excellent bouche à oreille plus tard, le duo sort un premier album en 2007, dont il a confié les manettes à Fran Healy, de Travis. En 2009, le monde est Stone : propulsé sur les ondes internationales, le carton du single Big Jet Plane les hisse au sommet des charts. Ils vendent 150 000 albums en France et partent trois années sur la route.
Apprendre à être seul sur scène
C’est beaucoup, bientôt trop : un peu paumés, Angus et Julia décident de mettre leur collaboration en veille et s’octroient chacun une envolée en solitaire. Julia, qu’on a en outre entendue sur le dernier album de Benjamin Biolay, sort deux albums solos (The Memory Machine, By the Horns), tandis qu’Angus publie Smoking Gun puis Broken Brights.
“Nous avons tourné chacun de notre côté pendant un an et demi. Ça a été une expérience forte : il a fallu apprendre à être seul sur scène, à assurer le show sans se reposer sur l’autre. Avec Angus & Julia Stone, il y avait toujours cette possibilité d’être à la fois acteur et spectateur de ce qui était en train de se passer. Et si le navire coulait, alors c’était la faute de l’autre.”
Une rencontre providentielle
Les deux musiciens auraient pu continuer leur chemin, rédigeant en parallèle de sympathiques chapitres discographiques. C’était compter sans l’entrée en scène d’un illustre barbu. Pas le père Noël, mais presque. Chez un ami, le producteur américain Rick Rubin découvre la musique d’Angus & Julia Stone. Il se renseigne sur le duo et finit par se rendre à leurs concerts solos. Au Troubadour, salle mythique du Santa Monica Boulevard de Los Angeles qui hébergea les débuts de Tom Waits et des Byrds, il part écouter Angus et succombe au timbre fragile du garçon.
Même béguin lors du concert de Julia, qui se produit au Hollywood Forever Cemetery. A chaque fois, le scénario est le même : Rick assiste au concert, tombe sous le charme et passe la journée du lendemain avec les Australiens. Ensemble, ils parlent de la vie, de l’amour, très peu de musique. Subtilement, conscient sans doute qu’il aborde là un sujet délicat, Rick finit par évoquer le projet d’un nouvel album en commun. L’époustouflante biographie du producteur suffira à convaincre Angus et Julia.
“Nous ne sommes pas le genre de personnes à regarder les noms des producteurs. Aussi, au départ, on ne savait pas très bien qui était Rick. Puis on s’est rendu compte qu’il avait été à nos côtés depuis si longtemps, sans qu’on le sache. Il était derrière tous ces disques qui nous avaient accompagnés : chez nous, dans les fêtes, à l’école… »
Tout faire ensemble
A ceux qui, comme Angus et Julia, auraient besoin d’un rappel, on évoquera les grandes lignes de l’impressionnant CV du producteur : cofondateur du label Def Jam, il a produit les disques de Jay-Z, des Beastie Boys, de Public Enemy, de Metallica ou des Red Hot Chili Peppers. C’est lui qui, en 1986, fit se croiser Run DMC et Aerosmith pour le tube Rock This Way, lui aussi qui produisit les American Recordings de Johnny Cash.
Lui, enfin, qui fut sacré producteur le plus important des vingt dernières années par la chaîne MTV. Résolu à apporter “du groove” à Angus & Julia Stone, Rick Rubin les encourage à développer l’écriture à quatre mains. Jusque-là, chacun composait dans son coin les chansons qu’il présentait ensuite à l’autre.
“Un frère et une soeur qui partagent les mêmes hôtels, se retrouvent dans les mêmes endroits perdus, partagent leur quotidien pendant des mois, ce n’est pas commun et pas toujours facile. Du coup, nous avions toujours écrit chacun de notre côté pour garder un peu d’intimité. Cette fois, ce fut le contraire. Riches de nos expériences solos, nous avons délibérément tout fait ensemble.”
Privilégier l’électricité
A Palisades, en Californie, le duo organise, en plein milieu de l’été 2013, une première session d’écriture et de répétition, s’entourant de nouveaux musiciens. Quelques semaines plus tard, il pousse la porte du studio Shangri La, où travaille Rubin à Malibu. Dans l’entrée, trône un vieux tour bus seventies de Bob Dylan. A l’intérieur, les instruments vintage côtoient de vieux billards.
Rubin leur fait écouter des albums de Talking Heads et leur présente un nouveau batteur, échappé de la sphère hip-hop (il a joué avec Lupe Fiasco et Frank Ocean). Surtout, le groupe décide de ranger ses ballades folk-rock pour privilégier l’électricité. De loin le plus vibrant chapitre de sa discographie, cet Angus & Julia Stone voit ainsi le duo dévoiler une facette plus brute, qui va chercher la sensualité dans les angles droits, à l’image d’un My Word for It qui rappelle les plus grandes heures des Kills.
“On a commencé par utiliser davantage de guitares électriques. Le batteur et le bassiste ont alors dû jouer plus fort. La voix, du coup, devait, elle aussi, porter davantage. Avant, on avait tendance à chanter pour nous-mêmes. Cette fois, il fallait chanter pour les autres.”
Chercher la perte de contrôle
De Death Defying Acts à Little Whiskey, les Stone agencent ainsi une belle chorégraphie de guitares saturées, s’autorisant tout de même de jolies parenthèses acoustiques (Wherever You Are, Other Things). Le ballet s’achève sur un Crash and Burn dont les déflagrations soniques, la mélodie en culbute et la fureur au ralenti établissent une nouvelle filiation entre le duo et Neil Young. Le titre fut joué et enregistré en une seule prise, lors d’une soirée arrosée et enfumée.
“Ce morceau n’était pas prémédité, on a appuyé sur le bouton ‘enregistrer’ et il est venu tout seul. C’est dans ces moments de lâcher-prise qu’on est souvent le plus inspirés, comme lorsqu’on donne un concert le lendemain d’une nuit très courte. Souvent, le processus créatif se résume à la recherche de cette sensation, de cette perte de contrôle. Ça revient à chercher cet espace qui se situe entre l’éveil et le sommeil : tout vous semble chaud, flou, vous n’appartenez plus à aucun des deux mondes.”
Au vu du résultat, souhaitons à Angus et Julia de continuer à courir à leur perte.
Concerts les 9 et 10 décembre à Paris (Casino de Paris)
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