Barbu, grave et groovy, le duo Dan le Sac vs Scroobius Pip a inventé un étrange hip-hop anglais, à la fois fêtard et patraque. Idéal pour surboum sur le Titanic.
Depuis des années, avec perversité, on recherche désespérément un rap anglais digne et affranchi, refusant l’importation de clichés pour vivre et produire au pays. Et on l’a parfois trouvé, chez Roots Manuva, The Streets, Kano ou Dizzee Rascal, qui ont tous réussi à adapter aux coutumes anglaises des us US. En racontant le désoeuvrement lo-life de la génération PlayStation, en ricanant de leur misère sexuelle là où les Américains exhibent leurs bites et leurs fortunes, ces paroliers n’ont, après tout, avec toute l’absurdité et l’acuité qu’il ordonne, fait qu’entretenir sur d’autres champs lexicaux le songwriting anglais, ce journalisme de terrain romancé de noir.
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Mais personne n’avait encore atteint le niveau de non-sens et d’acidité de Scroobius Pip, pâle barbu à la dégaine de serial-killer du Nevada, octobre 1973. On l’avait découvert, émerveillé, associé à son complice en beats et boucles Dan Le Sac, sur une superbe “list-song”, Thou Shalt Always Kill, single de l’année 2007 et irrésistible leçon de savoir-vivre à l’usage de la jeunesse : “Tu ne placeras aucun musicien sur un ridicule piédestal… Les Beatles ? Juste un groupe. Les Clash ? Juste un groupe. Les Smiths ? Juste un groupe. Radiohead ? Juste un groupe.” Typiquement le genre de chanson gimmick et tordante dont on fait un one-hit wonder. Mais dans leurs grandes barbes, Dan Le Sac et Scroobius Pip avaient encore quelques tours en stock et leur deuxième single, The Beat That My Heart Skipped, recentrait très nettement le débat vers un hip-hop crevard, white-trash, geeky.
Même si de nombreux titres de leur premier album prennent de la distance avec les codes (il sample Radiohead, sort parfois la grosse électricité), le hip-hop reste une chose sérieuse pour Scroobius Pip qui, sur la pochette, cite quelques héros absolus du hip-hop underground américain (El-P, Sage Francis) ou des pionniers comme “KRS One et Rakim qui mettaient de la passion et du coeur”, comme il chante. “Pour moi qui suis passé du punk-rock au hip-hop, il existe une vraie logique entre les deux mouvements originaux – je ne parle pas de leur récupération par la mode et l’industrie. Tous deux attiraient des gens survivant dans la marge, tous deux pronaient l’unité, tous deux défendaient une identité très “clivante”, qui n’était pas imposée par les adultes.”
Il remercie au passage The Streets pour avoir remis le “commentaire social” à l’ordre du jour, même s’il se sent “plus comme un éditorialiste que comme un journaliste de terrain. On ne peut pas faire abstraction de ce qui nous entoure, comme le fait si bien la société anglaise : les suicides d’ados, les meurtres au couteau… Mais on peut aborder ces sujets avec humour.”
Pour expliquer son débit frénétique, hérité d’années à jouter lors de slams furieux, Scroobius Pip confie qu’il est né sévèrement bègue, qu’il en a beaucoup souffert à l’adolescence et que la rééducation l’a obligé à anticiper les mots plus vite que son ombre : “Je dois penser constamment cinq ou six mots en avance, pour éviter ceux sur lesquels je risque de buter. Ça m’oblige à sans cesse réfléchir à des synonymes. Ça a énormément enrichi mon vocabulaire.” Typique d’une génération pour qui les autres membres du groupe ressemblent souvent à des timbres-poste sur une page Facebook, Dan Le Sac vs Scroobius Pip est ainsi, la plupart du temps, un groupe strictement virtuel, procédant par échanges de fichiers. Etonnant de la part de deux garçons venus du même petit village. “Même si nous nous croisons depuis le lycée, même si nous avons travaillé dans la même librairie, nous n’avons commencé à collaborer que des années plus tard, en se revoyant par hasard sur MySpace. Notre collaboration est donc le plus souvent virtuelle – ça évite les engueulades.”
Le village en question, où le rappeur vit encore chez sa mère, s’appelle Stanford Le Hope – et le hope (“espoir” en français) du nom plaît à Pip, optimiste contrarié. “C’est un endroit idéal pour moi, anonyme et neutre. Pour la culture, depuis l’adolescence, j’étais obligé de venir à Londres, de sortir de force de mon confort. J’ai pris l’habitude d’y traîner, d’y faire le voyeur et, riche de ces informations, je courais vers mon refuge écrire mes textes. A Stanford, il n’y a ni mode ni musique. Même Michael Jackson ne serait pas reconnu dans la rue.”
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