[Spécial Bruxelles] Ils sont frère et sœur mais aussi les parfaits représentants de la nouvelle scène musicale bruxelloise. Pour leur première interview ensemble, Angèle et Roméo Elvis font le bilan de débuts de carrières dont le succès n’était qu’une question de temps.
C’est une famille d’artistes à succès. La mère, Laurence Bibot, est comédienne. Le père, lui, a fait sa carrière de chansonnier sous le nom de Marka. Aujourd’hui, le fils fait du rap et la fille de la pop. Ils ont grandi avec une petite chienne, Poulette, qui enchaînait sûrement de merveilleuses cabrioles dans la banlieue sud de Bruxelles, leur ville. Mais les dimanches en famille appartiennent à une époque révolue.
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A 25 ans, Roméo Elvis est disque d’or avec son dernier album, Morale 2luxe, et arpente les routes de France et de Belgique avec une grosse tournée déjà complète (hors festivals). Angèle a 22 ans et, avec deux morceaux seulement (et un featuring sur l’album de son frère, à écouter dans le lecteur ci-dessous), a franchi les 10 millions de vues sur YouTube. Sur Instagram, même genre : elle compte les likes par dizaines et dizaines de milliers. Le tout en faisant tourner la tête d’une industrie musicale dépassée par ce genre de popularités fulgurantes.
Leur normalité à tous les deux, ce fut d’abord de voir leurs parents sur scène. “Ils ont eu le gros de leur carrière avant qu’on naisse, raconte Angèle. Je n’ai aucun souvenir de parents absents. Ils partaient le week-end en nous laissant à nos grands-parents. Et, parfois, on partait avec eux. Tout le monde nous chouchoutait dans les loges. C’était la meilleure vie.” Après un passage en coup de vent dans un collège catho, cette normalité les dirigera rapidement, chacun de leur côté, vers les carrières qu’ils mènent désormais.
“Dans son école, Angèle tutoyait ses profs, se souvient Roméo. Et dans la mienne, les profs, ils fumaient presque des joints en classe. Le gros cliché de l’éducation alternative !”
Après une tournée au piano avec son père, et alors qu’elle poste déjà des bouts de chansons sur Instagram, Angèle est contactée par une ancienne nounou. Aujourd’hui, sa manageuse. C’est elle qui lui a trouvé ses premiers concerts dans des bars de Bruxelles. Une ville dans laquelle Roméo Elvis ne peut déjà plus marcher tranquillement dans la rue, mais où les musiciens continuent de se retrouver pour former un vivier unique depuis quelques années. Comme le dit Angèle : “Berlin est devenue trop chère !”
C’est la première fois que vous faites une interview tous les deux. C’est bizarre ?
Roméo Elvis — Non… Enfin, je ne sais pas. Angèle, tu trouves ça bizarre ?
Angèle — Non, c’est rigolo. Le shooting photo aussi, c’était rigolo. On n’avait pas connu cette proximité physique depuis longtemps !
Roméo Elvis — C’est vrai qu’on a moins le temps – et l’âge – d’être toujours collés. On se voit moins.
Angèle, beaucoup de gens t’ont connue l’année dernière avec le morceau J’ai vu, présent sur l’album de ton frère. Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Angèle — Tout. Il y a un an, je n’avais même pas rencontré le producteur avec qui je suis en train de préparer mon premier album. J’avais des demos mais aucun morceau n’était prêt. Et puis à l’époque, je ne faisais que des petits concerts à Bruxelles et des vidéos sur Instagram. Sortir un featuring avant mes propres morceaux, je ne l’aurais fait avec personne d’autre que Roméo. Mais c’est pour ça que les gens ont aimé, ils ont senti la complicité entre nous.
Toi, Roméo, le public te connaissait déjà à ce moment…
Roméo Elvis — Oui, mais les choses ont changé pour moi aussi. Cette année, c’est la première fois que je peux payer mon loyer avec le rap. J’ai créé une société, j’ai employé des gens… Des choses concrètes se sont faites. Il y a un an, je n’avais ni les disques d’or, ni les salles de concerts remplies que j’ai aujourd’hui. Même si j’ai plus d’expérience qu’Angèle, le succès est arrivé au même moment.
Alors, qui fait le plus de vues sur YouTube aujourd’hui ?
Roméo Elvis — J’ai beaucoup plus de vues parce que j’ai plus de clips, mais proportionnellement, avec La Loi de Murphy et Yeux disent, Angèle me bat.
Angèle — Yeux disent… (rires)
Roméo Elvis — J’ai dit quoi ? Merde, c’est Je veux tes yeux ! Yeux disent, c’est Lomepal. (rires)
Et qui reçoit le plus de déclarations d’amour sur Instagram ?
Angèle — Franchement, je ne sais pas. Roméo, à mon avis. Mais j’ai un bon level aussi.
Roméo Elvis — J’en reçois beaucoup mais en général, ce sont des filles de 16 ans qui idéalisent un mec qu’elles ont vu une fois en concert. Bon. Je pense qu’Angèle, en tant que fille, est plus amenée à être victime de drague sur internet.
Angèle — Ouais, c’est toujours un peu lourd. Mais pour l’instant, ce n’est pas violent…
Roméo Elvis — En fait, chacun de notre côté, on affiche assez clairement le fait qu’on est en couple. Ça calme un peu les esprits conquérants !
Comment vos parents voient tout ça ?
Roméo Elvis — D’un œil curieux. Mais ils sont très fiers, évidemment. C’est drôle de voir que même pour notre père, qui est musicien, notre parcours est intrigant. Ce qu’on fait n’a rien à voir avec ce qu’il a connu. La chance qu’on a eu par rapport à d’autres artistes, c’est qu’on n’a pas eu besoin d’imposer tout ça à notre famille. Dire à ses parents “Je veux être chanteur” ou “Je veux être chanteuse”, c’est souvent compliqué.
Angèle — Ça a même été le contraire pour nous. On a toujours baigné dans l’art. C’est ce qui nous a rendus aussi ouverts à ça. Je pense que de la même façon, une famille d’avocats, ça aide à devenir avocat. Tu sais comment faire pour le devenir et ça aide psychologiquement à y croire. On pense souvent que c’est une question de piston, mais non. Ce qui a le plus de valeur, ce sont les exemples et les conseils.
Ça vous arrive de travailler ensemble ?
Roméo Elvis — Pas de façon “officielle”, mais oui. Angèle est venue en studio écouter des morceaux, elle m’a dit ce qu’elle en pensait. A l’inverse, je lui ai dit très vite de garder l’humour comme étendard et de pousser ça à fond. Quand on est frère et sœur, c’est simple de communiquer.
Angèle — Justement, je ne sais pas si on peut dire que tout ça est du travail. C’est du partage. C’est naturel.
Vous n’avez jamais le sentiment que les choses sont allées trop vite ?
Angèle — (rires) Si, complètement. Ça va toujours trop vite, d’ailleurs. Ça peut rendre fou. Et encore, j’ai l’impression d’avoir beaucoup ralenti les choses. J’ai tout fait dans l’ordre, mais très vite. C’était important pour moi d’écrire, puis de faire des concerts dans des bars, puis de signer avec un éditeur, puis de sortir des clips, puis de préparer une tournée. L’étape d’après sera l’album. La seule chose pas logique, c’est le chaos et la quantité de regards qui se sont posés sur un projet à peine naissant.
Roméo Elvis — De mon côté, ça fait sept ans que j’écris, donc je ne trouve pas du tout que ça va trop vite ! Comme on le disait, ça s’est accéléré depuis un an, mais ça fait des années que je travaille en studio et sur scène avec le reste de la scène bruxelloise.
Vous avez l’impression que votre reconnaissance est liée à celle de cette nouvelle scène bruxelloise ?
Roméo Elvis — Avec Damso, JeanJass, Caballero et d’autres, je fais clairement partie du rap qui émerge depuis quelque temps. Et si je me permets de parler pour Angèle, je dirais qu’elle est tout autant liée à l’émergence culturelle du moment, qui est arrivée après Stromae. Il a révélé la culture belge. On est tous liés par un même engouement. On cultive ce belgicisme. De surcroît, Angèle et moi, on est les seuls artistes belges à être autant écoutés en Flandre qu’en Wallonie. Et ce n’est pas parce qu’on est frère et sœur, mais parce qu’on se débrouille un peu en néerlandais. On fait l’effort. C’est une façon de faire très bruxelloise.
En France, les jeunes musiciens revendiquent rarement l’appartenance à une “scène”. Ils ont même tendance à rejeter complètement cette idée…
Angèle — Pour ma part, j’ai l’impression que ce serait très égocentrique de rejeter cette appartenance. Il y a clairement un lien. Je ne peux pas dire que Damso et Roméo n’ont rien fait pour moi. Quand le clip de La Loi de Murphy est sorti, ils l’ont tous relayé. Mais Bruxelles, c’est une petite ville. Tout le monde se connaît.
Roméo Elvis — C’est vrai. La scène française est beaucoup plus large qu’ici, même si beaucoup de musiciens se connaissent entre eux. Mais c’est ça l’esprit belge, c’est bon enfant !
C’est quoi vos points communs, au sein de cette scène ?
Roméo Elvis — L’approche. On a de l’autodérision.
Angèle — Pas tout le monde…
Roméo Elvis — On n’est pas tous à péter de rire, mais quasiment tous les rappeurs ont de l’autodérision. Même Damso et Hamza si tu écoutes bien.
Angèle — Après, on a la chance de vivre un moment où Bruxelles est hype, tout en ne plaisant pas uniquement aux gens hype. Quand j’ai sorti mon premier single, j’ai eu l’impression d’avoir un tapis rouge devant moi, juste parce que je venais de Bruxelles. En France, il y a plus de concurrence. Surtout à Paris. Quand tu viens de Bruxelles, tu n’as pas plus de fraîcheur que celui ou celle qui vient de Bordeaux, mais c’est différent.
Et d’un point de vue générationnel, qu’est-ce qui a permis l’explosion de cette scène selon vous ?
Roméo Elvis — Le point commun, ce sont les réseaux sociaux. On est maîtres de notre image, du coup ce sont les gens qui viennent vers nous, et pas l’inverse. Les labels se sont mis à nos pieds. Ils ont été gentils et mielleux parce qu’ils ont dû faire avec nos conditions. Quand on n’a pas besoin d’eux, on les envoie chier… Je parle de manière un peu véhémente alors que je suis sur un gros label, mais je le pense vraiment. On s’autosuffit. Et ça remet tout le système en question. Certains artistes fonctionnent encore traditionnellement, mais si tu es malin et que tu es bien entouré, tu peux faire quasiment tout en indé. Lomepal, par exemple, il a eu son disque de platine tout seul.
C’est quoi une journée parfaite à Bruxelles pour vous ?
Angèle — Quand il ne pleut pas !
Roméo Elvis — Je n’y suis plus beaucoup, mais une journée parfaite serait une journée à marcher tranquillement dans la rue sans me faire emmerder.
Angèle — Han…
Roméo Elvis — C’est un peu défaitiste de dire ça, mais c’est vrai ! J’idéalise la ville que j’ai connue quand j’étais plus jeune. J’aimerais vivre une journée qui se termine avec les frites du dimanche qu’on faisait avant, à la maison.
Angèle — C’est vrai qu’on avait cette tradition…
Angèle, où en est ton album ?
Angèle — Il approche. Comme je le disais, j’ai ralenti certaines choses pour me concentrer dessus. On m’a proposé énormément de promo ces derniers mois mais j’avais besoin de choses à dire et à défendre. Parler des heures sur deux titres, c’est bizarre. L’album sera en très grande partie écrit, composé et produit par moi. Il sortira cette année.
Roméo, tu es en pleine tournée. Tu penses déjà à la suite ?
Roméo Elvis — Je travaille sur mon premier album solo, sans Le Motel. Ce sera quelque chose de très introspectif. Une nouvelle étape.
propos recueillis par Maxime de Abreu
Albums Angèle, à venir ; Roméo Elvis, Morale 2luxe (Daring Music/Barclay)
Concerts Angèle, le 26 avril à Bourges, le 30 à Bruxelles, le 22 mai à Paris (Trianon), les 23 et 24 novembre à Paris (Trianon), les 26 et 27 Ancienne Belgique ; Roméo Elvis, le 28 avril à Bruxelles, le 3 mai à Paris (Bataclan)
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