Guitariste à l’influence immense, Andy Gill, membre de Gang Of Four, est mort samedi 1er février, à 64 ans. Retour sur ce groupe essentiel du post-punk britannique.
A l’annonce de la mort d’Andy Gill, guitariste anglais légendaire et fondateur de l’essentiel groupe post-punk Gang Of Four à la fin des années 1970, c’est un déluge d’hommages qui s’est abattu sur les réseaux sociaux. Des plus inconnus aux plus célèbres, comme Mike Mills (R.E.M.), Tom Morello (Rage Against The Machine), Gary Numan, Graham Coxon (Blur), Dave Haslam, DJ culte de l’Haçienda, et on en oublie en route. Agé de 64 ans, mort d’une infection respiratoire samedi 1er février, Andy Gill, que les membres de Gang Of Four surnommaient non sans ironie “The Supreme Leader”, travaillait encore de son lit d’hôpital, écoutant les mixes d’un nouvel album du groupe, tout en planifiant une tournée à venir.
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Né en 1956 à Manchester, c’est à Leeds dans les seventies qu’Andy, alors étudiant à l’Université d’arts appliqués Fine Art Department, va trouver sa voie, inspiré par le punk qui vient de s’abattre sur l’Angleterre – et l’a secouée dans tous les sens -, et de sa fameuse doctrine qui consiste à dire que tout le monde peut s’improviser musicien. A l’époque, Leeds et la Grande-Bretagne sont plongées dans la crise économique, la criminalité, la montée du fascisme et du National Front, parti d’extrême droite, mais aussi l’IRA qui sème la terreur et les grèves qui paralysent le pays.
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C’est entre la fac d’art – où on discute avec passion d’Antonio Gramsci, de Louis Althusser, de Walter Benjamin, Bertolt Brecht, et même de Godard, où on se passionne pour le situationnisme – et le pub The Fenton – où on écoule pintes de bière sur pintes de bières, en craignant les descentes des skins du National Front qui viennent foutre leur merde régulièrement –, que se crée un noyau de musiciens. Une bande d’intellos hédonistes dont vont émerger Gang Of Four, The Mekons ou Delta 5, des groupes qui vont tous écrire le futur d’un punk qui commence à montrer des signes de fatigue.
“Disco perverti”
Accompagné par le chanteur Jon King, le bassiste Dave Allen qui, plus tard, formera l’incroyable Shriekback, et le batteur Hugo Burnham, Andy Gill forme Gang Of Four, qui emprunte son patronyme au surnom donné aux leaders de la révolution chinoise qui vont prendre les rênes du pays après la mort de Mao. La force de Gang Of Four – en plus du jeu de guitare très particulier d’Andy, qui remet au goût du jour celui de Wilko Johnson de Dr. Feelgood, ne lâche jamais son instrument et abuse de la réverb’, ou encore de la science de la basse de Dave Allen – est de projeter l’âme du punk encore plus loin, de la croiser avec le funk, le reggae et le dub, de marier guitares soutenues et rythmes métronomiques, bref d’inventer de toutes pièces ce qu’on va appeler le post-punk, que la presse de l’époque résume du lumineux “disco perverti” et ce à une époque où le genre, venu d’Amérique et musique honnie, est responsable de tous les maux.
Curieusement signé par la major EMI plutôt que par les labels indépendants qui pullulent à l’époque, et après une série de concerts énergiques et tumultueux où Gill s’amuse à balancer sa guitare dans la gueule des skinheads qui pensent que les membres du groupe font partie des leurs, à cause de leur look – Dr. Martens, bretelles et blousons Harrington –, Gang Of Four signe un premier album en forme de déflagration. Entertainment !, qui ne reçoit pas forcément les critiques qu’il mérite et que la presse musicale va résumer d’un laconique “Hendrix-meets-Marx”, va pourtant offrir au rock une nouvelle jeunesse. Et devenir au fil des ans un classique essentiel, la pierre angulaire du post-punk, un disque qui, en 2003, sera classé par le magazine Rolling Stone parmi les 500 meilleurs albums de tous les temps.
Suivront deux autres LP dans la même veine, Solid Gold (1981), plus apaisé, et Songs of the Free (1982), plus nerveux, pendant que Gang Of Four enchaîne les tournées tout autour de l’Europe, mais surtout aux Etats-Unis, où son influence auprès de formations comme R.E.M., Red Hot Chili Peppers ou Nirvana, va s’avérer décisive. “Je leur ai beaucoup volé”, déclarera un jour Michael Stipe de R.E.M., pendant que Kurt Cobain décrira Nirvana comme “une copie de Gang of Four et Scratch Acid” ou que Flea, le bassiste des Red Hot Chili Peppers, affirmera “qu’ils sont vraiment le premier groupe à qui il s’est identifié” !
Antiraciste
Pourtant, au début des années 1980, avec l’épuisement du punk-funk, la multitude de groupes qui essaient de s’y coller pour récolter les miettes du succès, mais aussi l’arrivée de la new-wave, plus sophistiquée, synthétique et maniérée, Gang Of Four prend un virage plus dance. Un peu à la manière de The Human League ou Cabaret Voltaire, qui ont fait évoluer le punk de leurs débuts vers des sonorités plus disco et funk, le groupe s’essaie, avec Hard, à une musique plus dansante, pour un album injustement incompris, qui pourtant trahit la passion de Gill pour la Motown. Comme il l’avouera dans une interview donnée en 2017 au magazine Vintage Guitar : “Quand j’étais jeune, Hendrix était une énorme obsession avec son jeu de guitare fluide, coloré et expressif. Mais, en même temps, il y avait des choses plus orientées vers le groove qui m’excitaient beaucoup, comme beaucoup de disques de la Motown, où la guitare ne menait pas le jeu, mais dont le groove me filait la chair de poule. Ou un guitariste comme Steve Cropper, trop sous-estimé à mon avis.”
Les eighties et l’échec relatif de leur quatrième album Hard (1983) voient Gill, désormais seul aux manettes de Gang Of Four – les trois autres membres s’étant fait la malle vers d’autres projets -, jouer sa carte de producteur. Les Red Hot Chili Peppers, grands fans devant l’éternel, l’appellent pour produire leur album du même nom. Dans la foulée, il travaillera aux côtés des Jesus Lizards, The Killing Joke, The Stranglers, Michael Hutchence d’INXS, ou encore de The Futureheads. Dans les années 2000, le succès de formations comme The Rapture, LCD Soundsystem, Franz Ferdinand, Bloc Party ou Radio 4, qui ont tout volé aux premiers disques de Gang Of Four, voit Andy Gill revenir à ce qu’il sait faire le mieux, son fameux punk-funk, mais malheureusement l’énergie n’y est plus vraiment.
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Reformé avec le line-up originel plusieurs fois pour des tournées à vocation plus commerciales qu’esthétiques, Andy s’éloigne aussi parfois du son de guitare qui a fait sa réputation, pour des projets qui révèlent une toute autre facette du personnage : des musiques de pub, la bande-son du film The Last of England (1987) de Derek Jarman, celle de la série documentaire Pandora’s Box (1982) d’Adam Curtis, ou ce drôle d’album en solo Genome (2004), quelque part entre le lounge et l’ambient, et heureusement passé inaperçu.
Mort trop jeune, Andy laisse derrière lui une femme journaliste et un frère, une carrière en montagne russe, un jeu de guitare dont l’influence n’est plus à prouver, un combat de toujours contre le racisme, “une gentillesse et une générosité sans merci, une intelligence hors du commun, un sens de la déconnade inégalé, des souvenirs de fou et un goût immodéré pour le Darjeeling comme tout bon anglais qui se respecte”, comme le souligne le communiqué publié par les autres membres de Gang Of Four. Mais surtout trois albums qui auront profondément marqué le rock comme la dance music. Trois classiques qui, comme l’explique le journaliste Simon Reynolds, balancent un rock de garçons violent et agressif, mais débarrassé du machisme et de l’oppression inhérents à ce genre musical.
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