DJ et producteur phare de la mouvance acid-house anglaise, Andrew Weatherall, décédé à 56 ans le 17 février des suites d’une embolie pulmonaire, avait fait de sa passion pour la musique son métier et de son refus de se plier aux règles un gage de liberté. Reste derrière lui une carrière exemplaire.
Andy Weatherall, DJ et producteur anglais, n’avait pas qu’un talent de fou, il avait une classe folle qui résumait à la fois toutes ses influences, sa liberté et son génie. Jean brut aux revers retroussés, tatouages vulgaires de marins plein les bras, béret correctement positionné, barbe fournie, moustaches en pointes garanties sans wax et inévitable spliff au bec, le mec avait la beauté insolente des lads anglais. Un style rare qui résumait parfaitement ce qu’il était et qu’il incarnait avec toute la splendeur qu’on lui connaît. On sait peu de choses sur l’enfance d’Andy, ses parents, ses études et ses premiers pas d’adolescents à 40 kilomètres de Londres (il est né à Windsor, dans le Berkshire), une amnésie certainement volontaire qui correspond pile-poil à son caractère, un poil renfrogné, un poil généreux, un poil élitiste, un poil mainstream, un poil rock, un poil disco, un poil extraverti, un poil timide. Et son refus tout au long de sa carrière de se voir étiqueter, instrumentaliser, ranger dans une case et céder aux sirènes de la célébrité facile.
Les bases du clubbing moderne
Andy Weatherall, adolescent, a trouvé sa voie à travers l’acid-house, le mouvement qui, avec le punk, a plus secoué l’Angleterre bon teint et transformé complètement la pop-culture, mais il revient de loin. Né en 1963, il se prend en pleine gueule à l’adolescence le mouvement punk qui explose à la face de l’Angleterre comme un crachat, alors qu’il a grandi religieusement avec dans les oreilles des groupes de brit-funk comme les Olympics Runners ou Hi-Tension, et toute la northern-soul, cette déclinaison typiquement britannique de la soul américaine qui, tranquillement à l’époque, pose les bases du clubbing moderne. “La scène punk, déclarait Andy à la RBMA lors d’une conférence en 2011, était extrêmement politique, mais à l’origine c’était un mouvement initié par tous ces soul boys qui étaient épuisés par le mouvement soul anglais et qui aimaient se fringuer. C’est ce que j’étais vraiment à 14 ans, un soul boy désabusé qui aimait s’habiller. J’avais le haut de la tête décoloré en blond à l’eau oxygénée, les tempes brunes, des pantalons serrés, des sandales en caoutchouc et un pull en mohair. Autant dire que c’était risqué à l’époque, on était en 1978, de se trimballer dans la rue habillé comme ça, il n’y avait qu’en club que tu te sentais en sécurité.”
Habité par la soul qu’écoutent ses parents, et qui anime le son de l’Angleterre des années 60’s, Andy est pourtant intrigué par le rock & roll et ses dérivations. “Quand j’ai découvert le glam-rock, poursuivait-il pour la RBMA, j’ai tout de suite pigé que ce n’était plus ni moins que du blues avec des pantalons pattes d’eph’ et des chapeaux ridicules, et ça m’a tout de suite parlé, j’avais 11 ans à l’époque je pense, et quelques années plus tard, j’ai découvert les Cramps qui m’ont entraîné vers le rockabilly (…) mais si vous écoutez des artistes comme Johnny Burnette, vous réalisez rapidement, que c’est le même son que les meilleurs disques de disco. C’est pour ça que ça m’amuse quand on vient me voir après mes sets et qu’on me dit : ‘Mais comment tu peux aimer autant le rockabilly et le disco’. Alors que ce sont deux composantes de la dance music qui reposent sur la même chose, les percussions qui vivent dans un temps et un espace mystérieux.”
Dans les années 70’s et 80’s, avant que Londres ne succombe à l’invasion de l’acid-house, Andrew n’est qu’un soul boys comme les autres, un garçon issu de la classe anglaise blanche et prolo, grand fan de musique et clubber impénitent, un jeune mec partagé entre son amour pour le psyché-rock des années 60’s et la nothern soul et qui se pose la question existentielle de savoir s’il est un punk ou un soul boy. Enfant de la nuit, slalomant entre discothèques et concerts dès l’âge de 14 ans, Andrew, logiquement, commence à mixer même s’il s’agit plutôt d’enchaîner des disques, et se retrouve en 1987 dans l’aventure éphémère du fanzine Boy’s Own qui va poser les bases de l’acid-house, des pages photocopiées à la main, où une bande de jeunes mecs parlent de football évidemment, mais de mode, de disques et de soirées avec un humour clairement potache. Un fanzine qui, face au succès, deviendra quelques années plus tard un label de disques où va passer de The Orb à One Dove, de Primal Scream à Underworld, toute la crème de l’acid-house et même Bocca Junior, premier groupe de Weatherall.
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Mais la véritable carrière d’Andrew Weatherall commence en fait à l’automne 1987, quand le jeune DJ Paul Oakenfold accompagné de ses meilleurs potes, Danny Rampling, Johnny Walker et Nicky Holloway, reviennent d’un été à Ibiza, des étoiles plein les yeux, où ils ont vu sous ecstas mixer en pleine journée, dans un club en plein air et au sol constellé de crottes de chèvres, le DJ Alfredo qui peut enchaîner les Résidents comme les Woodentops, Lucio Battisti, Roxy Music et George Kranz. De retour à Londres, toujours pas redescendus de leur trip de MDMA, ils décident de retranscrire cette ébullition dans un Londres morose qui déprime de la crise économique et de la politique du gouvernement.
De Throbbing Gristle aux Happy Mondays
Danny Rampling ouvre le Shoom, qui va devenir le club phare du mouvement acid-house et invite logiquement Andrew à mixer pour la palette musicale qu’il peut proposer, puis c’est The Trip, le club que Nicky Holloway a monté, qui le réclame aussi et tout s’enchaîne. “J’étais DJ depuis dix ans déjà, j’en avais marre du concept de DJ rare groove donc j’ai tout envoyé chier. Je suis devenu un DJ professionnel par défaut, déclarait Andy à la RBMA, quand j’ai commencé à vraiment passer des disques c’est quand Danny Rampling qui organisait les soirées Shoom avec Paul Oakenfold est venu me chercher car il savait que j’avais une collection de disques indie, qui les intéressait.” DJ phare du mouvement acid-house londonien, figure importante du mouvement déjà légèrement en retrait par son style, un peu à part avec ses racines rock & soul, son look et son érudition qui le fait aduler autant Throbbing Gristle que A Certain Ratio, AR Kane que les Cramps, les morceaux rares du disco que le post-punk, Andrew est le producteur tel que les années rave en rêvent. Le mouvement acid-house vient le chercher, et même s’il n’y connaît rien, il se retrouve à faire ses premiers pas de producteurs aux côtés de Paul Oakenfold, avec qui il transforme le Hallelujah du groupe de rock Happy Mondays en hymne pour la génération rave.
“Quand j’ai réalisé Hallelujah avec Paul, la raison pour laquelle on est venu me chercher c’est parce que j’avais un background soul, même si j’avais beaucoup traîné dans la scène punk, post-punk et indé. J’étais comme une sorte de superviseur et finalement c’est ce que je fais toujours depuis.” Dans le même élan il va se retrouver à produire l’album Screamadelica des Primal Scream, et son single Loaded, disque hautement ecstasié qui va devenir un classique du Madchester où les guitares rock commencent à se frotter au psychédélisme de l’acid-house, un disque où il sublime l’écriture hautement inspirée du groupe en lui ajoutant loops, samples, écho et dub, le transportant directement sur les dancefloors des clubs d’Ibiza.
C’est le point de départ pour Andrew Weatherall d’une longue série de productions (One Dove, Leftfield, Beth Orton, New Order) mais aussi de remixes à droite et à gauche (Björk, Saint Etienne ou l’incroyable Soon de My Bloody Valentine classé depuis par le NME parmi les 59 meilleurs remixes jamais réalisés).
C’est aussi pour Weatherall, le début d’une longue carrière, en dent de scies musicales et critiques partagées, entre rock, pop et house, mais aussi la naissance d’un style qui lui est propre, où le beat est ralenti, où la musique est envahie de basses, bourrées d’écho et de delay, où les percus sont rejouées, où une trompette qui joue faux peut-être rajoutée juste pour désorienter l’auditeur, qui vont influencer d’un même élan toute la vague trip-hop des 90’s comme le big beat porté par des groupes comme Chemical Brothers. En même temps Andy, prolifique comme jamais, se lance dans son premier album solo en 1993 avec The Sabres of Paradise sur le label Warp -, mélange de musique baléarique passée au Kärcher de l’électronica et devenu depuis un classique des compiles Café Del Mar -, lance les soirées Sabresonic, monte le label du même nom, puis Rotters Golf Club plus orienté électro, tout en multipliant tout au long de sa vie les projets, comme Two Lone Swordsmen avec son vieux compère Keith Tenniswood, et une tonne de groupes sous pseudos : the Asphodells, the Woodleigh Research Facility, Klart, Aramchek, the Chairman. Comme si, grand timide malgré sa carrière imposante, le bonhomme ne voulait pas se mettre en avant et brouiller les pistes.
Homme de l’ombre caché derrière ses platines, ou dans l’intimité des studios, modeste avant tout et respecté pour son érudition, loin d’être uniquement musicale, on pourrait penser qu’Andrew, bien qu’il ait d’une certaine manière changé la face de la pop anglaise, a loupé le coche de la célébrité, ne devenant ni un DJ superstar, ni un producteur de renom. Mais l’homme s’en moquait, préférant sillonner sur les voies de traverses de la musique, comme il le déclarait au Guardian en 2016, “Quand est-ce que tout ce truc de DJ superstar a commencé en fait ? Les DJ’s des héros ? Les gens sont à ce point désespérés ? Je sais que le monde a besoin de héros mais là c’est vraiment ridicule. Bien sûr que tout cet argent facile est tentant mais c’est un miroir aux alouettes. Disons plutôt que je n’ai pas une grande ambition, tout va bien, je suis heureux de ma vie. Quand ta passion devient une carrière, et ce dans n’importe quel business, alors ça veut dire que tu vas devoir rencontrer et travailler avec des gens que je n’ai pas envie de voir.”
Avec son mélange de grooves soul, de rock psyché, d’acid house, de raretés disco, et son habilité à faire voyager les clubbers, Weatherall se sera toujours tenu sur le bord du dancefloor, refusant la compromission facile, et traversant les modes et les années avec une aisance et une classe folle. Toujours capable de se passionner comme un gamin (il adorait Battant, qu’il décrivait comme les nouveaux Siouxsie and the Banshees), il se lançait en 2009 dans la production du deuxième album de Fuck Buttons, montait en 2013 son propre festival à Carcassonne, ville dont l’histoire le fascinait, organisait les soirées DIY Wrong Meeting avec Ivan Smagghe dont les posters s’arrachaient, nous régalait depuis 2014 chaque mois avec son show Music’s Not for Everyone sur la radio en ligne NTS, fourmillait de projets, d’idées de compilations ou de soirées et continuait tranquillement son petit bonhomme de chemin, sortant il y a trois ans l’incroyable album Convenanza et encore plus récemment Qualia où il distillait ce son lourd, house et rock, ralenti, dub et psychédélique, qui désormais n’appartient qu’à lui.