Trois ans après Noble Beast, l’Américain revient avec Break It Yourself, sixième album insouciant, libéré et intense. Entretien et écoute intégrale.
Comment as-tu vécu le fait de retourner enfin en studio après deux longues années de tournée ?
C’était étrange parce que je ne suis pas entré en studio juste après la tournée de Noble Beast. J’ai voulu prendre une année sabbatique pour essayer de ne rien faire, je dis bien essayer.
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Tu as réussi ?
Pas vraiment. Je voulais seulement jouer aux jeux vidéo et fumer des joints pendant un moment mais ce n’est pas ce que j’ai fait finalement. Je suis rentrée d’une tournée en Asie et je me suis arrêté sur la côte Ouest. Je ne suis pas rentré à la maison, je ne voulais pas. J’ai loué une maison à Venice Beach à Los Angeles et j’ai écrit des chansons pour un film. J’ai fait quelques reprises aussi. J’ai bossé sur des trucs marrants.
Pourquoi tu ne voulais pas rentrer chez toi ?
Parce qu’il y a une certaine attente quand tu rentres d’une longue tournée. Je savais qu’après avoir passé autant de temps loin de chez moi, Chicago pouvait devenir pesante pour moi pour des raisons que je ne préfère pas expliquer… J’avais besoin d’être dans un endroit qui ne m’était pas familier. L’été, je suis rentrée dans ma ferme près de Chicago avec mon groupe. Notre ingénieur du son est arrivé avec plein de vieux équipements, des enregistreurs vintages, des vieux claviers Yamaha… rien de fou. On a juste commencé à jammer ensemble. D’habitude, je ne laisse jamais à mon groupe l’occasion de jammer. J’arrive avec les morceaux en tête et je leur dis quoi faire. Là, je savais qu’on avait le temps puisque j’avais pris une année sabbatique, et puis, je ne voulais surtout pas repartir sur les routes. On a donc commencé à jammer sans savoir où on allait, sans pression. L’été était magnifique, très chaud, on jouait les fenêtres ouvertes. On a joué comme ça pendant sept ou huit jours en laissant tourner les bandes et c’est plus ou moins devenu l’album que tu as devant les yeux. J’aurais pu sortir directement ce qu’on avait enregistré cette semaine là, mais j’ai voulu continuer à travailler dessus. Pour tout te dire, on a même fait une autre session en août dernier pour tout mettre à plat et nettoyer l’album, mais on a tout enregistré de la même façon : tous ensemble, dans une grand pièce, comme pour un concert.
Est-ce que cette façon d’enregistrer a rendu ta musique plus spontanée ?
Mes musiciens ont une sensibilité jazz donc leurs premiers instincts sont toujours les meilleurs. La première idée de chanson que mon bassiste a eu était très bizarre mais fonctionnait parfaitement par exemple. Mes musiciens ne savent jamais quel genre de chanson je vais jouer. En général, je commence par un loop, quelque chose sur quoi je travaille depuis quelques temps voire même quelques années, et ils s’adaptent. Ils ne savent jamais quelle forme va prendre la chanson. C’est donc effectivement très spontané.
C’est la première fois que tu laisses autant tes musiciens participer au processus créatif ?
Oui, c’est vrai que c’est la première fois que je les laisse autant prendre le contrôle, même si je suis toujours celui qui contrôle vraiment à la fin. Je ne faisais pas confiance aux musiciens avant.
Et pourquoi le faire maintenant ?
Parce que je m’en fichais au départ. Non, en fait, pas parce que je m’en fichais mais plutôt parce que c’était le moment de faire un album qui ait un vrai souffle. Dans mes albums précédents, il pouvait se ressentir sur certaines chansons, mais ces chansons n’étaient au final que des sculptures précautionneusement construites et taillées. Cet album n’est pas comme ça. C’est une performance, quelque chose de bien moins produit.
Certaines chansons paraissent bien plus produites que d’autres… Eyeoneye semble être extraite d’un live alors que Desperation Breeds est plus arrangée…
Et pourtant elles ont été enregistrées pendant la même session, de la même façon, en live. L’introduction de Desperation Breeds a été un peu plus travaillée ceci dit, tout comme Orpheo Looks Back, qu’on a enregistrée à la ferme mais en plusieurs fois. Ces deux là sont plus sculptées que le reste de l’album. Et il y a Danse Carribe aussi qu’on a enregistrée à Brooklyn avec un batteur différent. C’était super d’enregistrer comme ça, tellement fou. Je ne pensais pas que cela donnerait un tel résultat.
C’est un processus très expérimental…
Il y a bien plus d’improvisation, c’est sûr. D’habitude, j’improvise jusqu’à trouver une idée que je rejoue jusqu’à en être satisfait et l’enregistrer. Là, c’était un peu différent parce qu’on ne faisait qu’improviser et enregistrer directement.
Cet album semble bien plus joyeux et positif que tes précédents disques.
Il l’est oui. Pendant l’enregistrement, certaines chansons ont pris une tournure sombre, sont devenues ces moments d’introspections plutôt difficiles et je me suis dit « non, sérieux mec, reprends-toi, rigole un peu ».
Est-ce que tu considères ta musique comme très visuelle ?
Je n’ai pas l’impression. Je crois que quand j’écris une chanson, mes pensées sont un peu plus profondes que ce que j’ai simplement devant les yeux. Je sais que je vois mes morceaux comme des scènes de film par contre, pas des scènes narratives, mais plutôt des sortes de clips, comme si chaque chanson était le trailer d’un film. Je me dis « ok, ça c’est la première scène, ça la seconde » et ensuite, j’essaie de construire une histoire.
Tu te vois comme un conteur ?
Non, pas vraiment. Je crois que je suis dans le camp narratif, mais comme je l’ai dit, mes chansons laissent de la place à celui qui écoute pour qu’il se construise sa propre fin d’histoire. Pendant très longtemps, j’ai été fasciné par les vieux ballets. Je les étudiais, j’adorais leur façon de raconter une histoire, mais c’est très dur de construire de tels morceaux à mon tour. Et puis avec ce genre d’œuvres, une fois que tu as entendu toute l’histoire, tu la digères et c’est terminé. J’aime l’idée de pouvoir interpréter une chanson de façon différente chaque fois que tu la joues, qu’elle évolue à chaque écoute, qu’elle te laisse assez de place pour faire qu’il se passe quelque chose de nouveau.
Est-ce que ta relation avec la musique en général et ta musique plus particulièrement évolue au fil des années ?
Oui je crois. Je reviens au violon en ce moment. Je l’avais laissé de côté pendant un certain temps parce que je ne voulais plus qu’il soit le centre de l’attention. Je voulais me concentrer sur mon songwriting et je voulais aussi aller à l’essentiel, distiller mes idées pour ne garder que le plus important. Je continue de faire ça aujourd’hui mais je m’en fiche un peu plus qu’avant. Je veux juste m’amuser maintenant et ça signifie revenir à mon instrument.
Et ta voix ?
J’ai toujours été très frustré par les enregistrements pour ce qui est de ma voix. Je me suis toujours dit que je n’arrivais pas à chanter aussi bien que ce que je pouvais réellement faire sur mes disques. C’est bien d’avoir ce sentiment je pense, ça évite de trop se reposer sur ses lauriers. Le plus frustrant en studio, c’est que tu enregistres ta voix dans une toute petite pièce, souvent avec un casque sur la tête et que tu entends le moindre son que tu fais. Tu sculptes donc ton chant, tu construis la façon dont ta voix sonne et ce processus là m’a toujours paru pas très sincère. En général, quand tu réécoutes ta voix quelques années plus tard, tu ne te reconnais pas, tu te demandes qui est ce mec qui chante. Pour cet album, comme nous avons enregistré en live et que la batterie était à cinq mètres de moi, j’ai du chanter fort, comme pendant un concert où il faut atteindre le public. C’était bien plus honnête.
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