Affranchi de toute contrainte, l’Américain Andrew Bird brise les barreaux de sa cage dorée avec un septième album insouciant, habité et intense. Critique et écoute.
Après la tournée de Noble Beast, j’ai voulu prendre une année sabbatique pour essayer de ne rien faire. Juste fumer des joints et faire des jeux vidéo. Je ne suis pas rentré à la maison, je ne pouvais pas. Je savais qu’après tout ce temps loin de chez moi, Chicago pouvait devenir pesante.” Andrew Bird se tait : on n’en saura pas plus sur les circonstances qui ont poussé le si discret Américain à fuir son tranquille Illinois natal pour le clinquant quartier de Venice Beach, à Los Angeles, où il s’est caché pendant plusieurs mois. On apprendra en revanche qu’il n’aura pas tenu bien longtemps loin de sa ferme perdue dans la campagne de Chicago, ce cocon où il s’est isolé il y a plusieurs années déjà pour mettre au point les techniques de boucles caractéristiques de son jeu de violon.
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C’est là qu’en plein été il a enregistré Break It Yourself (“Brise-le toi-même”), septième album au titre infiniment révélateur : il a rompu les chaînes de son perfectionnisme et de ses habitudes de rat de studio solitaire pour expérimenter les joies de l’enregistrement live, libre et collectif. “D’habitude, je ne laisse jamais à mes musiciens l’occasion de jammer. J’arrive avec les morceaux en tête et je leur dis quoi faire. Là, je savais qu’on avait le temps. On a donc commencé à jouer sans savoir où on allait, sans pression. On a improvisé comme ça pendant sept ou huit jours en laissant tourner les bandes et c’est plus ou moins devenu l’album. Mes musiciens ont une sensibilité jazz, leurs premiers instincts sont toujours les meilleurs, mais j’avais du mal à faire confiance à qui que ce soit avant”, explique-t-il dans un demi-sourire.
Enregistré dans des conditions live, Break It Yourself n’est pas l’oeuvre d’un seul homme mais le résultat d’heures de tâtonnements, de ratés, de moments d’épiphanie inattendus et collectifs – un processus expérimental et spontané dont Bird semblait avoir besoin après tant d’années de pointillisme. “C’était le moment de faire un album qui ait un vrai souffle. Dans mes disques précédents, il pouvait se ressentir sur certaines chansons, mais ces morceaux n’étaient en fait que des sculptures précautionneusement construites et taillées. Cet album est une performance.”
Une performance qui passe aussi par celle, vocale, d’Andrew Bird. Frustré par les conditions d’enregistrement studio de ses précédents albums, où il dit avoir passé des heures à ciseler son timbre, il n’a pas eu d’autre choix que d’affronter sa voix à nu, de la pousser dans ses retranchements comme lors de ses concerts – difficile de rivaliser avec une batterie lorsque celle-ci est située à cinq mètres de soi.
Album de la libération, Break It Yourself est aussi celui de l’insouciance. Jeune papa, Andrew Bird a repoussé les nuages noirs, mis au placard l’autopsychanalyse pour laisser place à l’instinct et au plaisir. On sent la légèreté des nuits d’été derrière Desperation Breeds et Orpheo Looks back, l’envie de lâcher prise dans le nonchalant Fatal Shore et le plus surprenant Danse carribe, où Bird s’essaie à la country. “Pendant l’enregistrement, certaines chansons ont pris une tournure sombre. Elles sont devenues ces moments d’introspection plutôt difficiles. Je me suis dit : ‘Sérieux mec, reprends-toi, rigole un peu !”, confie-t-il.
Son enthousiasme est communicatif. D’une grâce inouïe, Break It Yourself restera comme un témoignage rare de l’alchimie qui unit, l’espace d’une chanson, d’un instant, une poignée de musiciens. Au milieu des craquements de bois de la grange, des chuchotements, on entend le violon d’Andrew Bird flirter avec la guitare, sa voix défier les percussions. On découvre ce moment précieux où l’improvisation bascule : d’une simple pop-song, Eyeoneye devient ce titre électrisant lorsque chacun réalise que tout est à sa place et que l’euphorie collective prend le pas sur la concentration. “C’est dur de se forcer à se foutre de ce que l’on est en train de faire mais je crois qu’on a réussi, et c’est comme ça qu’on est arrivés à des mélodies que l’on n’aurait jamais trouvées sinon”, concède Bird. La cage est ouverte, l’oiseau s’est envolé.
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