[Best of musique 2020] A seulement 34 ans, le Turinois avance en solitaire sur les sommets de la pop italienne et tutoie les sommets du top albums 2020 des Inrocks.
Avant de tutoyer l’immensité, il a fallu faire le vide. Chez lui, à Turin, le jeune Andrea Laszlo De Simone s’est débarrassé des disques qui l’entouraient puis, en pur autodidacte, s’est inventé sa propre grammaire pop.
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“Je n’ai pas d’influence précise, car je n’achète pas d’albums, et je n’ai d’ailleurs pas une grande connaissance de la culture musicale en général. Peut-être qu’inconsciemment je fus avant tout influencé par l’atmosphère du cinéma. Quand j’étais enfant, mes parents m’ont fait découvrir les grands classiques du cinéma néoréaliste italien et français. Une grande partie de mon imaginaire vient probablement de là. Je me souviens également que la musique classique et le jazz qu’écoutaient ma mère et mon père m’ont toujours accompagné. Mais j’ai grandi en pensant que la musique est quelque chose qui se crée avant tout”, confie-t-il. Ses créations, c’est la nuit qu’il les compose. L’environnement sonore nocturne – ses bruits ouatés et intimes – est “page blanche”.
Ce ne fut pas toujours le cas : “J’ai commencé à jouer dès l’âge de 4 ans – enfant, je faisais des percussions sur toutes les casseroles de la maison. Puis un jour, mon oncle m’a offert une batterie, et je suis donc devenu batteur pendant de nombreuses années. Je n’ai jamais eu le désir d’être musicien, j’ai grandi en m’amusant avec la musique et je ne me suis jamais arrêté.”
C’est uniquement grâce à l’acharnement d’une poignée d’amis qu’il se décide enfin à partager sa musique avec le monde
Fils d’un photographe cinéphile et d’une professeure d’Italien originaires du Sud de l’Italie, il vécut quelque temps à Roseto degli Abruzzi, une ville nichée sur les bords de l’Adriatique ; ce sera sa seule infidélité à la capitale du Piémont, où il est né et compte bien rester à l’avenir. C’est donc à Turin qu’il découvre véritablement la musique grâce à son frère aîné (musicien lui aussi). En 2006, il collabore avec Matteo et fait ses premières armes au sein de son groupe, Nadàr Solo, en tant que batteur.
Une plongée à travers le cosmos, un regard porté vers l’infini
La formation se taille un succès local mais, soyons honnêtes, l’indie rock du trio n’a rien de foncièrement originale. Andrea ne se sent pas légitime en tant que musicien, c’est uniquement grâce à l’acharnement d’une poignée d’amis qu’il se décide enfin à partager sa musique avec le monde. C’est en 2012 avec Ecce Homo, premier disque autoproduit, que le Turinois dévoile sa capacité unique à créer de somptueux arrangements lyriques et inventifs. Suivra Uomo Donna en 2017, magnifique disque de pop irréelle et intemporelle, puis Immensità, paru en mars dernier.
Immensità, c’est d’abord une pochette en forme de note d’intention : une plongée à travers le cosmos, un regard porté vers l’infini. Ce nouvel EP, composé de quatre amples morceaux de pop symphonique, questionne le cycle de la vie et de la mort, “l’idée de circularité du temps, de renaissance”. L’immensité ne tient ici qu’en vingt-cinq “petites” minutes (la version vinyle est agrémentée de cinq courts interludes instrumentaux, entre chaque chanson). C’est bien assez pour être profondément marqué par la beauté, l’ambition et l’humanité de cette poignée de morceaux – des titres singuliers et captivants comme les scènes métaphysiques peintes par Giorgio de Chirico.
L’immensité dans l’intimité d’une chambre d’enfant
Fuyant pourtant l’écueil de la citation savante, De Simone préfère se livrer à ses expérimentations en solitaire. Son idée de l’immensité demeure toute personnelle ; c’est d’ailleurs l’attente de la naissance de sa fille qui a eu un rôle moteur dans l’écriture de ces morceaux. Cet automne, l’Italien moustachu a d’ailleurs fait un retour inattendu et touchant avec une chanson enregistrée il y a deux ans, et inspirée par la paternité :
“Dal giorno in cui sei nato tu (“depuis que tu es né”), c’est ma véritable déclaration d’amour paternel. Le clip de la chanson a été tourné en Super-8 avec mon fils Martino. Par la suite, nous avons décidé ensemble de dédier le tout à l’arrivée de ma fille, Lucia. Ma famille n’est pas ma source d’inspiration musicale, c’est ma source vitale. Ce qui me permet d’être un homme adulte, responsable. La musique par rapport à tout ça, n’est rien.” Ici, l’immensité tient dans l’intimité d’une chambre d’enfant ou dans la solitude d’un studio improvisé à la maison.
Difficile pourtant de croire qu’il puisse juger cet art “mineur” à l’écoute de ces titres si finement ciselés. Il existe un décalage frappant entre son détachement bravache face à la musique, cette revendication inlassablement répétée d’une normalité au quotidien et l’intensité des sentiments infusés dans chacun de ses morceaux, le souci du détail accordé à chaque note, comme si sa vie en dépendait. Immensità trace son propre itinéraire à travers l’éther musical, dérivant au travers de délicats arrangements de cordes, de nappes de synthés en apesanteur et de chœurs lumineux.
https://www.youtube.com/watch?v=68cGtxEiYKs
Etendue trop vaste pour être facilement mesurée, elle contient en son sein tout le meilleur de la pop italienne et anglo-saxonne, de celle qui a toujours cherché à défricher et creuser son propre sillon. Et si le Turinois ne goûte guère au jeu des références (seul le Boléro de Ravel a droit à un court hommage sur le titre Conchiglie), sa musique nous ramène naturellement à cette avant-garde classieuse de la pop italienne seventies, notamment aux immenses Lucio Battisti et Franco Battiato. Même s’il ne l’avouera jamais, il partage avec ce dernier une désinvolture charmante, cette manière de tenir l’équilibre sur la mince ligne qui sépare le grandiose du ridicule, cette façon d’être moderne et à contre-courant tout à la fois.
“J’aimerais essayer de comprendre ce que seront nos vies”
Que voulait-il raconter avec Immensità, et aurait-il envie d’écrire la même chose plusieurs mois après la sortie du disque (en pleine crise sanitaire inédite dans le monde, et notamment dans son pays natal) ? Oui, le message reste le même, nous répond-il sans hésitation. “Aujourd’hui, pour moi, le sens des paroles est plus fort que jamais. Ce sont des chansons qui naissent comme une consolation, comme une clef pour construire une lutte. Immensità, c’est un regard enchanté sur la réalité.”
Concernant ses projets à venir, il nous livre une nouvelle réponse en forme d’ellipse philosophique et rêveuse : “J’aimerais essayer de comprendre ce que seront nos vies.” Tout simplement. Depuis Chris Bell (cofondateur de Big Star), qui s’affichait seul face aux crêtes enneigées d’une montagne sur la pochette de son unique et bouleversant album solo (I Am the Cosmos), rares sont ceux qui ont tutoyé les sommets de la pop avec autant d’élégance. En signant ces symphonies de poche, merveilles de sincérité et d’émotion, Andrea Laszlo de Simone livre un grand disque.
Immensità (Ekleroshock & Hamburger Records/Caroline)
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