Décédée en 2011, Amy Winehouse aurait eu 33 ans le 14 septembre. À Camden, le quartier de la diva, personne ne l’a oubliée. La fondation qui porte son nom organisait cette semaine un après-midi de festivités pour fêter la défunte et lever des fonds.
Ce mercredi 14 septembre restera comme le jour le plus chaud de 2016 à Londres. Dans le quartier de Camden, les fortes températures font suinter les trottoirs sales, les vendeurs d’encens et les dizaines de cuistots suant sous des tentes offrant gastronomie malaisienne, brésilienne ou éthiopienne. Au bord de la rue principale, un petit attroupement et quelques flashs attirent l’attention. Sur une Vespa, ornée de roses et d’un portrait d’Amy Winehouse, une quinquagénaire en haut fleuri, short beige et sandales de cuir se laisse prendre en photo. Non loin, un homme imposant, cheveux blancs à la Roger Sterling, lunettes rectangulaires et chemise à pois sourit poliment à une admiratrice excitée. La quarantaine bien sonnée, elle raconte le jour où « son adorable fille » la prit dans ses bras alors qu’elle promenait son chien. Stoïque, visiblement gêné, Mitch Winehouse s’éclipse pour donner une interview télé, pendant que son ex-épouse enchaîne les selfies.
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Si tout le monde fait bonne figure, les sourires rappellent ces rictus forcés, affichés à une veillée funèbre, tentant d’apporter un peu de chaleur. L’événement célébrant ce qui eut été le 33e anniversaire de l’enfant du nord de Londres se veut convivial. Mais on ne peut s’empêcher d’éprouver un certain malaise. Lorsqu’un cyclise lance, décomplexé, « c’est la mère d’Amy ?! » faisant glisser sa main sur son visage l’air de dire « elles se ressemblent tellement », on pense aux affres de la célébrité ayant pourri l’existence de la diva. Qu’importe. Il faut souffrir en silence et avec le sourire. Ce petit monde est là pour Amy, mais surtout pour la bonne cause.
Amy’s Place & Amy’s Yard
Le 14 septembre marque ici deux anniversaires : la naissance de l’icône londonienne et celle de la fondation qui porte son nom. La présentatrice alterne ainsi les « merci d’être venus pour Amy » avec les « je vous remercie d’être là pour les cinq ans de l’Amy Winehouse Foundation ». Lancée sept semaines après la mort de la chanteuse par overdose d’alcool, l’AWF est connue pour deux missions principales. Mis en place en juillet, le programme Amy’s Place aide des femmes de 18 à 30 ans à se réinsérer socialement au terme d’une cure de désintoxication.
Plus ancien, le projet phare Amy’s Yard est une sorte d’école pour jeunes défavorisés. Choyés dans le studio personnel d’Amy Winehouse, les « diplômés » rendent hommage à leur regrettée aînée. Les prestations live sont plus ou moins convaincantes, mais toujours sincères. Après tout, le véritable objectif est bien là : présenter à un large public le travail de l’association et en profiter pour récolter des dons. Ancien repaire à punks, gothiques et autres subcultures, le quartier du nord de Londres, désormais un haut lieu touristique semble l’endroit rêvé.
‘AMY WINEHOUSE IS CAMDEN’
Se concluant à 20h près de la maigre statue dédiée à la star locale, l’événement aura duré sept heures, occupant une équipe d’une vingtaine d’employés et bénévoles de l’AWF. Pendant les pauses musicales, on se rince le gosier de l’autre côté de la rue, aux Hawley Arms. De ses 18 ans à son décès, le pub sur Castlehaven Road était le local d’Amy Winehouse. Sa deuxième maison, où elle fut vue en train de rire, chanter, boire, pleurer, jouer au billard et parfois même servir des verres.
Sous un portrait en noir et blanc de la chanteuse et sur des airs de Bob Marley une jeune fille et son père interrogent une fan sur sa chanson préférée. Si la gamine préfère Frank, le premier LP, Diana, 47 ans, habillée, maquillée et coiffée comme son idole avoue s’identifier à Back to Black, titre du second disque d’Amy, celui de la gloire. Sirotant sa grenadine, elle explique : « J’avais un tel problème de drogue et d’alcool que j’ai du m’éloigner de Camden. Ça a failli me tuer. Mes amis n’arrivaient pas à me réveiller et ont du m’amener à l’hôpital, assure t’elle dans un accent purement North London. Puis mon meilleur ami s’est suicidé à l’héroïne. Ça te fait vite réfléchir à ta consommation de drogue ».
Réfléchir c’est bien, mais Diana avait besoin d’aide. Ce qu’aurait pu lui procurer la AWF si elle existait dans ses années d’errance. Aujourd’hui, elle est là pour soutenir son action et rendre hommage à son ancienne voisine : « On ne se connaissait pas bien mais on a bu quelques coups ensemble. On parlait de nos looks et on faisait le concours de celle qui avait les cheveux les plus hauts ! »
Des histoires sur Amy, tout le monde en a à Camden. À sa mort, un graffiti détournait une pancarte géante du quartier pour que chacun puisse lire : Amy Winehouse is Camden. En 2016, celle qu’on appelle encore « la reine de Camden » reste omniprésente. On voit des traces de son Rimmel partout : sur des posters, des devantures de magasin, des murs délabrés, des mollets, des biceps, des dos nus. Street artiste réputé, Pegasus partage aussi une anecdote : « avec Amy et mon copain on est monté sur le toit de Camden Market, au milieu de la nuit, juste pour boire entre potes. C’est mon meilleur souvenir avec elle« .
À peine la tragédie annoncée, l’artiste local, saisi par l’émotion prend ses bombes de peinture et grimpe au même endroit peindre un premier portrait hommage. Depuis, il reproduit le geste chaque année, bâfrant le quartier des grands yeux de sa défunte amie. Une manière de rappeler ce que Camden était selon lui : « un refuge pour les artistes, d’ici et du monde entier ». L’air triste, il explique :
« Ça a beaucoup changé depuis son décès. C’est devenu un peut trop commercial, beaucoup de lieux traditionnels disparaissent au profit de chaînes. Puis le Camden Market, qu’Amy adorait, n’est plus. Je pense qu’elle serait très triste de voir ça. »
Des canettes de bière au chaï latte
Des 70s au début du XXe siècle, Camden, peuplé par des hordes de freaks, puait le danger. Depuis une dizaine d’années, comme dans le reste de Londres, la gentrification ronge brique par brique l’âme du quartier. Adieu petit magasin indépendant mal géré, bonjour Urban Outfitters et Prêt à Manger. Symbole de l’agonie de l’identité alternative du quartier, la disparition du Camden Market, tant chéri par Winehouse. Autrefois un dédale malodorant de t-shirts du Clash, fripes et narguilés, le lieu est actuellement en cours de rénovation. Sont en cours la construction d’une école, d’un cinéma flambant neuf et surtout de 170 habitations, dont seulement 14 logements sociaux. Le débarquement d’une population nouvelle, capable de s’offrir le luxe de vivre dans du neuf non loin du centre-ville devrait offrir un lifting drastique au quartier.
Alors que Pegasus achève son quintuple portrait d’Amy dans un couloir, Janis Winehouse s’émerveille encore du« succès » de sa fille. Elle s’interroge en revanche toujours sur l’intérêt porté par la chanteuse au quartier :
« Elle adorait Camden. Je ne sais pas vraiment pourquoi, sourit-elle, haussant les épaules. Je me souviens juste du jour où elle a déménagé : on avait une dispute avec son père et il me dit ‘Amy a acheté un appartement’. Elle m’a dit de venir voir. C’était très sympa.”
Il n’est de toute manière pas aisé pour tout le monde de comprendre l’attrait généré par Camden. Largement démodée, l’imagerie rock, faite de piercings plein la gueule, de jeans déchirés, de vestes et bottes en cuir incite aujourd’hui au mieux à la moquerie, au pire au dédain. C’est pourtant ça qu’aimait Amy Winehouse : le côté sale et sauvage du quartier.
Diana, l’ancienne voisine, semble mieux comprendre la star éteinte. « Amy voulait être différente. Elle s’en foutait d’être célèbre. À son arrivée à Camden, elle ne faisait pas tâche. Comme si elle faisait déjà partie du paysage. C’est pour ça qu’elle se sentait chez elle, pose l’ex-junkie avant d’ajouter avec fierté, On est comme ça ici : un peu à côté de la plaque…” Dans l’émotion, Diana confond passé et présent. Si quelques pubs résistent encore, Camden n’est plus vraiment un repère de dégénérés. Les punks s’envoyant des canettes de bière sur le canal s’évaporent et font déjà place à des jeunes au look impeccable squattant des bars à céréales. Ils étaient pourtant Camden. Amy Winehouse était Camden. Mais pas celui d’aujourd’hui et encore moins celui de demain.
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