Les Silver Jews ne sont peut-être pas le meilleur groupe du monde, mais celui d’un monde meilleur, où Lou Reed serait roi. A la sortie de l’étincelant Starlite walker, en novembre 1994, on pouvait lire dans ces colonnes : “Ce groupe pacifique et bienheureux signe la trêve du jeu stupide qui consiste à chercher “le […]
Les Silver Jews ne sont peut-être pas le meilleur groupe du monde, mais celui d’un monde meilleur, où Lou Reed serait roi.
A la sortie de l’étincelant Starlite walker, en novembre 1994, on pouvait lire dans ces colonnes : « Ce groupe pacifique et bienheureux signe la trêve du jeu stupide qui consiste à chercher « le meilleur groupe de rock du monde ». Puisqu’on vient de le trouver. » David Berman, le philanthrope géant planqué derrière le paravent pseudonymique Silver Jews, discrédite effectivement la concurrence en deux coups de cuillère à pop et avec une désinvolture feinte car on n’enfile pas des joyaux pareils en se roulant les pouces et en se grattant le nez ne dissimulant pas longtemps une écriture d’une classe effarante.
A l’heure du troisième album, la constatation s’impose avec une netteté plus affirmée que jamais : ces Juifs-là sont peut-être d’argent mais ils enregistrent des disques d’or. Pas de ce métal (subal)terne dont on fait les trophées commerciaux récompensant les larbins de l’industrie mais de celui, autrement plus précieux, qui ne se dévalue pas avec le temps qui passe et les modes qui trépassent. On entend d’ici l’aphorisme admiratif que ne manqueront pas de proférer, dans cinquante ans, les enviables possesseurs de l’intégrale, que l’on souhaite voir devenir pléthorique, du groupe : oldies but goldies. De même, si l’expression « être cool », horriblement galvaudée à force d’assaisonnement aux sauces les plus avariées, retrouve un jour futur un peu de sa substance originelle, gageons que David Berman et son occasionnel comparse Stephen Malkmus (Pavement), tous deux d’un flegme à toute épreuve, auront joué un rôle non négligeable dans cette entreprise de réhabilitation sémantique.
Après l’épisode solitaire The Natural bridge, Berman a de nouveau fait appel aux services de la tête chantante de Pavement, en bien meilleure forme ici qu’aux commandes du dernier album de son groupe, pour aller puiser cette American water ô combien rafraîchissante et régénératrice. Jaillissant, vives et claires, d’une entente majuscule entre ces deux jolibrius branchés sur la même langueur d’ondes, des ballades velvétiennes que Lou Reed ne désavouerait pas s’unissent à des comptines subtilement déguenillées pour former un ensemble aussi cohérent qu’irrésistible, dont les deux morceaux situés en ouverture ne constituent pas les moins affolants appâts. Exalté par l’éclatante réussite d’American water et désireux de le faire savoir, on ne voit pas quel plus exact compliment tourner à l’adresse des Silver Jews que de les instituer « groupe d’un monde meilleur », un monde peuplé par d’étourdissantes myriades de jeunes filles en fleurs à l’ombre desquelles de transis songwriters en pleurs s’agenouillent en chantant des odes d’une beauté renversante, un monde à part, qui n’existe que dans l’imagination de quelques créateurs impropres à la diffusion de masse et celle de la poignée de fidèles entretenant leur culte avec l’abnégation de rigueur. Ceux qui achèteront American water en paieront le juste denier.
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