Pour un bel album et bientôt un concert à Paris, l’alliance rare et tranquille entre la kora du griot sénégalais Ablaye Cissoko et la trompette de l’Allemand Volker Goetze.
C’est une histoire ouest-africaine qui remonte au XIIe siècle, époque où émerge l’empire du Mandé. Le jeune Kimintang, guidé par un rêve de paix, part au point du jour en direction du soleil levant, aussi rouge qu’une orange sanguine à cette heure. Ayant atteint les berges du grand fleuve, il y rencontre un génie des eaux qui l’encourage à recouvrir une calebasse d’une peau de bête. Puis d’y associer un manche en bois et un chevalet en métal sur lequel il doit tendre trois séries de sept cordes. Ainsi naît un instrument baptisé kora dont le djinn fluvial assure qu’il “apporte la paix dans le coeur des hommes”.
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Depuis sa tendre enfance, cette légende du Griot rouge poursuit Kimintang Mohamadou Cissoko, plus connu sous ce nom d’Ablaye, qui est tout ce qui lui reste d’une mère disparue quand il avait 2 ans. Son premier album, en 2003, s’intitulait Diam (“paix”) ; le second, en 2005, Le Griot rouge. Pour autant, penser que ce musicien sénégalais de 42 ans puisse rester enfermé dans un mythe créatif vieux de huit cents ans, perpétuant une tradition exclusive à une caste de musiciens dont l’essor demeure scrupuleusement endogamique, est mal le connaître.
Avec le trompettiste allemand Volker Goetze, Ablaye est l’auteur d’Amanké Dionti, mariage heureux entre deux mondes et deux textures instrumentales, l’une héritée d’un jazz post-Miles Davis, l’autre émanant d’une tradition mandingue évolutive. Ils se sont rencontrés il y a une dizaine d’années lors d’un festival de jazz à Saint-Louis du Sénégal, où vit Ablaye, point de départ d’une amitié née sur les bases d’une fascination mutuelle, celle du trompettiste pour la magie sonore de la kora, celle du joueur de kora pour la trompette, instrument au son duquel il a dû pourtant se réveiller chaque matin pendant toute son enfance.
“Mon père dirigeait l’orchestre de la Gendarmerie nationale du Sénégal !”, précise le longiligne griot. En rien martiale, leur collaboration célèbre plutôt, à la manière d’un ballet sonore, une harmonie entre le corps agile et féminin de la kora et celui, chaloupant et masculin, de la trompette. Volker, qui a suivi un enseignement dispensé à Cologne par le trompettiste Markus Stockhausen, fils de Karlheinz, semblait depuis toujours prédisposé à vivre ce type d’expérience. “Mon attirance pour la musique africaine date de l’époque où, adolescent, j’écoutais les disques de Don Cherry, de Hugh Masekela, de Manu Dibango…”
Si un premier album du duo – Sira – a pu constituer une ébauche, Amanké Dionti parfait une esthétique du clair-obscur en accord avec l’esprit général de ce recueil, où le chant plaintif d’Ablaye tient une place non négligeable. La chanson-titre traite en malinké d’un sujet douloureux, à la fois local et vaste comme le monde. Ablaye : “Amanké dionti’ signifie ‘Ce n’est pas votre esclave’. J’y attire l’attention sur un fléau qui frappe toute l’Afrique de l’Ouest : chaque année, des centaines de jeunes villageoises gagnent les grandes villes pour chercher du travail. Surexploitées comme domestiques, elles vivent un véritable enfer.”
C’est à ce genre de vérité non édulcorée que s’attache Ablaye. C’est à travers cette vertu essentielle et ancestrale du griot porteur de sagesse qu’il se dit aujourd’hui “fier de représenter le passé et heureux de vivre (son) époque”. À noter qu’une partie des bénéfices de l’album sera reversée à la fondation Tostan, pour la santé et les droits des femmes africaines.
Concert : le 1er février à Paris (Café de la Danse)
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