Affranchi des dogmes shoegaze, le duo Trailer Trash Tracys se tourne vers des sons exotiques sur un deuxième album toujours plus hypnotique. Rencontre à Londres.
Ces dernières années, les vacances d’été sont de moins en moins un désert pour les sorties de disques : c’est pendant la période estivale 2017 qu’on a pu découvrir les nouveaux albums de mastodontes comme Arcade Fire ou Lana Del Rey. Plus confidentiel mais d’une beauté envoûtante, le deuxième album des Trailer Trash Tracys, Althaea, vient illuminer ce mois d’août. Les membres fondateurs nous accueillent dans le quartier du nord-est de Londres, où ils ont élu domicile.
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« Une ville qui autorise toutes les excentricités »
Elle, c’est Susanne Aztoria, chanteuse suédoise, héritière de Liz Fraser, regard bleu pétillant et coupe à la garçonne. Lui, c’est Jimmy Lee, guitariste anglais d’origine philippine, tempérament bouillonnant et connaissance encyclopédique de la musique. Susanne a grandi à Göteborg, Jimmy à Leicester. Même si des centaines de kilomètres les séparaient, ils disent avoir ressenti pendant leur adolescence le même ennui, la même désillusion, le même besoin de s’évader d’une vie toute tracée.
“Londres a ses inconvénients et ses frustrations, mais je ne me suis jamais autant sentie chez moi qu’ici, parmi toutes les bizarreries, remarque Susanne, qui porte pour l’occasion une moustache postiche. Je suis arrivée quand j’avais 19 ans, sans forcément avoir l’intention de rester, juste pour m’échapper. C’est une ville qui autorise toutes les excentricités.”
Leurs deux albums ne reflètent pas du tout la capitale anglaise. Ils rêvent d’ailleurs.
“Le commentaire politico-social sur Londres, on le laisse à d’autres groupes qui font ça beaucoup mieux qu’on le ferait, explique Jimmy. On aime créer une musique qui fait voyager, ou qui fait penser à des scènes de cinéma. Ce n’est pas vraiment un choix conscient : c’est juste notre façon de composer.”
Ce songwriting de mirages enivrants, entre ombre et lumière, a nourri leur premier album, le vaporeux Ester (2012) – on le renommerait bien “Ether”, à une lettre près. Tout droit sorti d’un fantasme de David Lynch, le duo n’y cachait pas sa passion pour le shoegaze, la dream-pop, le générique de Twin Peaks, les mélodies pop des fifties et My Bloody Valentine.
Un groupe métamorphosé
Après la tournée d’Ester, ils ont envie d’écrire un nouvel album rapidement. Ils commencent par tâtonner pendant quelques mois.
“C’est tellement un cliché, rit Susanne. Avant, on préférait la simplicité, très peu d’accords, des ambiances dépouillées. On s’est dit qu’on allait essayer l’extrême inverse.” Jimmy : “On s’est mis à faire une sorte de prog-rock dingue avec un peu trop de changements d’accords, mais on a fini par abandonner ce projet. L’idée de la formule guitare-basse-batterie nous ennuyait profondément et on ne voulait pas non plus se répéter avec des chansons de style shoegaze. On a travaillé à droite et à gauche en freelance. Je me suis mis à programmer des soirées concerts, en invitant des musiciens que j’apprécie. C’est là que j’ai rencontré Beibei Wang, une percussionniste chinoise qui joue sur notre nouvel album. En parallèle, j’écoutais beaucoup d’electro japonaise des années 1980, Mariah, les collaborations entre Ryuichi Sakamoto et David Sylvian.”
Plusieurs séjours aux Philippines inspirent également Jimmy. Il y rencontre le réalisateur Raya Martin (souvent décrit comme le David Lynch philippin), qui conçoit un projet avec le groupe. En plus d’être le nouvel album des Trailer Trash Tracys, Althaea est aussi la bande originale d’un film du même nom – seul le trailer est disponible pour l’instant. En attendant le long métrage, les dix chansons montrent un groupe métamorphosé. Ici, les Trailer Trash Tracys tournent le dos aux guitares électriques et s’entourent d’instruments exotiques. Leurs précédentes influences ne s’évaporent pas tout à fait mais cohabitent désormais avec des sonorités asiatiques et latines. Entre minimalisme et luxuriance, Althaea regorge de merveilles, comme le prodigieux Betty’s Cavatina ou le spectral Gong Gardens.
Rares sont les artistes qui parviennent avec autant d’aisance et de grâce à concilier pop accessible et expérimentations d’avant-garde. En ce sens, ils s’inscrivent dans la lignée de Kate Bush, sans les acrobaties vocales. Aussi sensuelle que mélancolique, plus majestueuse que jamais, la voix céleste de Susanne transperce le cœur en un simple murmure tout au long de cet album resplendissant.
concert le 26 septembre à Paris (Point Ephémère)
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